Avec la Sidra de Bé’houkotaï, nous nous apprêtons à clore la lecture du troisième livre de la Torah, Vayikra.
Cette Paracha est restée célèbre dans la mesure où elle rappelle à l’homme dans des versets très difficiles, l’impératif de la fidélité à l’alliance que les enfants d’Israël ont scellée avec leur Créateur. Cette lecture qui se tient à proximité de Chavou'ot, la fête du don de la Torah, n’est pas sans rappeler celle de la section de Ki Tavo avant Roch Hachana. Aux moments phares de notre calendrier, notre tradition nous rappelle avec une grande solennité les termes de cette alliance qui est la clef de voûte de la prospérité d’Israël dans ce monde.
Parmi les versets éprouvants de notre Paracha, nos Maîtres attirent notre attention sur un verset qui fonde la vertu de solidarité et de coresponsabilité qui a accompagné notre peuple à travers sa longue histoire.
Au chapitre 26 du Lévitique (verset 37), la Torah stipule « et ils trébucheront l'un sur l'autre comme à la vue de l'épée, sans que personne ne les poursuive » (Lévitique 26. 37). À l’image des dominos, lorsqu’un de nos frères chute spirituellement, c’est l’ensemble de notre peuple qui est fragilisé et qui tombe. Nous ne trébuchons pas seuls, mais nous trébuchons les uns sur les autres.
Il est ainsi rapporté dans le Midrach Raba, au nom de Rabbi Chim'on bar Yo'haï, dont nous venons de célébrer la Hiloula, une image saisissante qui illustre cette coresponsabilité de l’ensemble du peuple. Imaginons des hommes assis dans un petit bateau et, alors qu’ils sont en pleine mer, l’un d’eux prend un tournevis et fait un trou sous son siège. Les autres tentent de l’en empêcher et lui disent « Mais que fais-tu ? Tu vas tous nous faire couler ! » « Non, ne vous inquiétez pas, je fais un trou juste sous mon siège... ».
Cette métaphore vient nous rappeler que l’ensemble du peuple Juif est embarqué dans le même bateau, l’échec de l’un rejaillit sur les autres, les difficultés endurées par l’un obligent les autres. Nul ne peut détourner son regard. Nul ne peut prétendre s’affranchir des liens sociaux et œuvrer seul dans son coin au salut de l’humanité. La délivrance finale ne viendra pas par le seul mérite d’une minorité de savants. Elle viendra grâce au mérite collectif de l’ensemble du peuple.
Le livre de Vayikra nous a rappelé à de nombreuses reprises notre solidarité quant au bien-être matériel de notre prochain et la nécessité de l’aider à subvenir à ses besoins.
Elle nous rappelle dans cette dernière section notre responsabilité spirituelle également. Elle nous rappelle que l’observance et la fidélité à l’alliance conclue par Hachem et les enfants d’Israël nous engage collectivement. Nous partageons une communauté de destin.
À l’image d’une partition où chaque note trouve sa place et concourt à la symphonie d’ensemble, chacun d’entre nous a un rôle spécifique et indispensable à jouer, à travers l’étude de la Torah, la pratique des Mitsvot et le raffinement de nos qualités de cœur, pour construire notre destin commun, participer au « Tikoun Ha'olam » (la réparation du monde) et permettre la délivrance finale.
Cette solidarité est bien souvent désignée à travers l’expression talmudique suivante « Tout Israël est responsable l’un de l’autre » (Traité Sanhedrin 27b). Ces mots résument bien l’esprit de fraternité qui doit prévaloir au sein de notre peuple. De même que l’Éternel nous considère chacun comme Son enfant, nous devons également regarder notre prochain comme un frère. Son honneur, ses biens, ses intérêts et sa notoriété doivent m’être aussi chers que ceux de mon propre frère.
Cette ambitieuse exigence n’est pas qu’un vœu pieux énoncé afin de pacifier les relations sociales. Elle constitue, en réalité, un des ciments les plus puissants qui a permis à notre peuple de traverser l’histoire.
En effet, comment comprendre que, en dépit de milliers d’années d’exil, de dispersion, d’oppression, et d’acculturation aux contacts des pays d’accueil, le peuple Juif soit parvenu à demeurer un peuple aussi uni et solidaire ?
Comment expliquer que le peuple Juif ait traversé l’histoire en assistant à l’apparition et la disparition de tant de civilisations ?
Comment comprendre que le peuple Juif soit demeuré un peuple alors qu’il avait perdu son territoire géographique, sa langue, sa culture, sa vie nationale, ses institutions, son Temple ?
Comme le fait remarquer le Rav Jonathan Sacks, certes ils partageaient encore des souvenirs, des rêves ou des prières. Mais, en général, au bout de quelques générations, les souvenirs s’effacent, les rêves disparaissent et les prières non exaucées se muent parfois en silence. Qu’est-ce qui a donc continué à donner sa force vitale au peuple Juif ?
La réponse réside précisément dans les mots de notre Paracha. Ce qui a maintenu le peuple Juif miraculeusement en vie, à travers les siècles, c’est l’alliance scellée entre le Créateur et Son peuple au Mont Sinaï, au terme de laquelle chacun des enfants d’Israël est responsable de l’autre. Et peu importe que l’on partage la même langue, le même territoire, la même culture, nous sommes éternellement liés par une alliance irréversible.
Voilà pourquoi, aussi longtemps que durera l’histoire de l’humanité, quand nous entendrons mentionner le nom de l’un de nos frères, nous nous retournerons, nous sourirons, nous nous sentirons concernés. Lorsque j’entends son nom, j’entends en écho le mien. Cette voix ne me laisse pas indifférent, elle m’oblige à une vertu : la fraternité et la solidarité.
Notre identité se construit précisément dans ces échos successifs qui nous ramènent à la Voix originelle entendue par l’ensemble du peuple au Mont Sinaï.
Puisse l’Éternel nous permettre de renforcer notre fraternité afin de permettre à chacun d’entre nous de révéler son étincelle divine et de concourir ainsi à la délivrance finale.