La lecture de la Paracha Pekoudé est toujours un moment particulier dans la mesure où nous nous apprêtons à clore la lecture du deuxième livre de la Torah, le livre de Chémot (L’Exode) dont la narration nous a hissés à des sommets de tension et de sainteté.
Toutefois, depuis plusieurs semaines maintenant, comme nous l’avions noté dans un précédent commentaire, la deuxième partie du livre de l’Exode est consacrée à des descriptions techniques relatives à la construction du sanctuaire (Michkan ou Tabernacle).
Le texte biblique décrit cette semaine, notamment, la relation entre le Michkan (le Tabernacle) et la "nuée de gloire" divine qui le surplombait et l’accompagnait. Cette nuée est apparue miraculeusement en guise de consécration et d’approbation du travail réalisé par le peuple conformément aux recommandations de l’Éternel. Elle avait vocation également à guider les déplacements des enfants d’Israël dans le désert : lorsqu’elle se mettait en mouvement, le peuple avançait ; lorsqu’elle s’immobilisait, le peuple campait. Pourtant, le verset final parle de la nuée comme présente "dans tous leurs voyages", même lorsqu’ils étaient à l’arrêt. Rachi vient lever ici dans son commentaire ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe.
Si le peuple est arrêté, installé, en campement — pourquoi continue-t-on d’appeler cela un “voyage” (massa) ?
Comme le note Rav Jonathan Sacks, Rachi donne une réponse à la fois linguistique et existentielle : même le lieu d’arrêt fait partie du voyage, car il est temporaire par essence, et destiné à préparer le prochain départ. Ce n’est donc pas une rupture, mais une étape. Le campement est une pause, mais jamais un point final. Il appartient à la dynamique du mouvement.
Ce commentaire révèle une vérité essentielle de l'identité juive : le projet du judaïsme est de mettre le peuple en mouvement, pas à l’arrêt. Ainsi, nous ne sommes jamais totalement "arrivés", car la vie juive est faite de croissance, de remise en route, d’effort constant vers une destination spirituelle toujours plus haute.
Les patriarches vivaient sous des tentes, symbole de flexibilité, de mobilité, de passage. Le peuple d’Israël construit un sanctuaire portable, que l’on démonte et remonte à chaque étape. Le message est clair : la Présence divine accompagne le mouvement, pas l’enracinement figé.
Par ailleurs, nos textes se méfient du sentiment d’enracinement, d’installation profonde et confortable dans ce monde, dans le « 'Olam Hazé ». Ainsi, en est-il du patriarche Ya'akov, lorsque la Torah écrit « Ya'akov s’installa dans le pays où ses pères avaient vécu », les Sages nous précisent « il est dangereux pour un Tsadik de se sentir tout à fait à l’aise dans ce monde », et l’épreuve de la vente de Yossef ne tarda pas à arriver. De même, le prophète Ezéchiel, dans la Haftara Para, nous précise que lorsque « la maison d’Israël s’est installée dans "leur" pays », ce sentiment de possession et de maîtrise de la terre n’a pas permis de respecter ce lieu, et la conséquence fut qu’ils « l’ont souillée par leur conduite et leurs mauvaises actions » (Ezéchiel 36.17).
Bref, pour le dire avec les mots du Rav Sacks « Si nous vivons comme si la terre nous appartenait de manière permanente, notre séjour là-bas sera temporaire. Si nous vivons comme si elle n'était que temporairement la nôtre, nous y vivrons de façon permanente. »
Le 'Olam Hazé est un monde « provisoire », changeant, où la vérité est voilée, seuls D.ieu et Sa parole sont permanents. Ainsi, Emmanuel Levinas aimait à citer le verset suivant des Psaumes qui résume précisément cet enjeu, et la seule aspiration valable qui doit animer l’homme : « Je suis un étranger sur terre. Ne cache pas Tes commandements de moi » (Ps. 119:19).
Ainsi, notre Paracha nous enseigne que l’arrêt n’est jamais une fin, mais une préparation. Même les moments où l’on "s’arrête" — dans la vie, dans l’étude — doivent être vécus comme des étapes du voyage. L’essentiel n’est pas où l’on est, mais si l’on reste en marche intérieurement. Ce regard porté sur la vie est porteur d’une grande force d’espérance dans la mesure où l’existence humaine est une progression sans cesse renouvelée, une quête de perfectibilité, et une ascension spirituelle permanente.