La Paracha de cette semaine reprend le récit de la construction du Michkan, après l’épisode tragique du veau d’or. Et, de fait, la construction du sanctuaire avait vocation notamment à venir réparer cette faute majeure.
Nos maîtres attirent notre attention sur la difficulté pour n’importe quel homme de se relever d’une faute, de retrouver une image positive de lui-même, et de renforcer la flamme du service divin. Cet écueil menaçait notamment les enfants d’Israël après la faute du veau d’or, et la brisure des tables de la Loi pourtant tant attendues. Pour se relever de cette sidération, pour parvenir à retrouver une dynamique collective porteuse de vie et d’espoir, il fallait une « thérapie » puissante, un sursaut profond qui permette au peuple de retrouver une image positive de lui-même, de renforcer sa dignité, et retrouver la fraternité et l’unité nécessaire à la vocation d’Israël.
Pour y parvenir, Moché Rabbénou ne va pas avoir recours à de grands discours, ni à des leçons de morale exaltantes, il va, à la demande de l’Éternel, mettre le peuple au travail. Ainsi, il « réunit tout le peuple » au début de notre Paracha, leur rappelle la Mitsva de respecter le Chabbath, puis leur confie une tâche : construire ensemble le Michkan, le sanctuaire. Cette entreprise collective n’est pas seulement une entreprise architecturale, un défi technique ; c’était également une aventure humaine. Il s’agissait de panser les plaies, de redonner du sens, de rassembler le peuple au-delà des différences dans un projet commun. Chacun avait vocation à apporter sa contribution, selon ses moyens, sa générosité, son talent. Et c’est notamment dans cet acte de construction commune que naquit une nation véritablement unie.
Rav Jonathan Sacks rapporte à cet égard une expérience ethnosociologique récente qui a mis en lumière les bienfaits du travail collectif. Il s’agit de l’expérience dite de Robbers Cave en référence au lieu où elle s’est déroulée, et menée par Muzafer Sherif en 1954. Dans cette étude, 22 garçons de 11 ans, répartis en deux groupes, ont d’abord développé une forte cohésion interne en vivant dans deux groupes séparés dans un camp d’été. Lorsqu’ils ont été mis en compétition, des tensions et de l’hostilité sont apparues rapidement : insultes, vandalisme et même refus de partager des repas. Les chercheurs ont alors tenté de les réconcilier par des interactions neutres, comme regarder des films ensemble, mais cela a échoué. Ce n’est que lorsqu’ils ont dû coopérer pour résoudre des problèmes communs (panne d’eau, bus en panne, collecte de fonds) que la méfiance a disparu et que des liens se sont créés. Cette étude a permis d’illustrer comment des groupes hostiles peuvent être unifiés à travers un objectif commun, et comment la collaboration sur une tâche partagée favorise la paix et l’unité.
Ce principe fondamental – celui de bâtir et de retrouver une solidarité et une unité face aux épreuves – est notamment ce que nous avons vu se déployer en Israël, et dans le monde juif en général, après le 7 octobre 2023. Ce jour-là, la brutalité des attaques a laissé une marque indélébile sur chaque famille, chaque rue, chaque ville du pays. Toutefois, au sein de la tragédie, un élan de fraternité et d’unité est apparu : une solidarité immédiate, totale, qui a transcendé les clivages et les appartenances.
Les frontières idéologiques se sont effacées, les sensibilités politiques sont devenues secondaires. Des volontaires ont afflué pour aider les familles déplacées, des citoyens se sont relayés pour livrer nourriture et vêtements aux survivants, des anonymes ont ouvert leurs maisons, leurs cœurs, leurs bras. L’espoir ne s’est pas seulement exprimé dans les discours ; il s’est incarné dans chaque action, chaque main tendue.
Et c’est précisément l'un des sens que l’on peut donner à la fameuse sentence rabbinique « les érudits accroissent la paix dans le monde », « Talmidé 'hakhamim marbim shalom ba'olam ». Et Rav J. Sacks de rappeler cette remarque de Rabbi Norman Lamm, ancien président de Yeshiva University, les érudits accroissent la paix dans le monde, non pas en s’accordant sur tout, mais en devenant des « bâtisseurs ».
Et de fait, l’histoire d’Israël a prouvé que l’espoir ne réside pas dans l’attente passive d’un avenir meilleur, mais dans la construction active du présent. Les moments où le désespoir guette sont aussi ceux où se forge une nouvelle espérance. Non pas une espérance abstraite ou idéaliste, mais une espérance ancrée dans l’action, dans la foi, dans la certitude que chacun, à son échelle, peut contribuer à rebâtir, à reconstruire, à réinventer.
C’est ainsi que se bâtissent les nations, et c’est ainsi que l’espoir a permis à Israël, porté par l’aide indispensable d’Hachem, de traverser l’histoire.