La Paracha de Vayigach atteint des sommets d’intensité émotionnelle, en nous dévoilant le dénouement du drame familial qui a touché la famille de Ya'akov depuis plusieurs Parachiot. En outre, notre Sidra semble parvenir, enfin, à apaiser la relation fraternelle qui semblait conflictuelle depuis le début du livre de la Genèse, Caïn et Abel, It'shak et Ichmaël, Ya'akov et 'Esav, Yossef et ses frères.
Cette évolution est notable dès le début de notre Paracha , lorsque Yéhouda rappelle, dans son brillant plaidoyer pour la libération de Binyamin, qu’il s’est engagé personnellement à ramener son petit frère auprès de son père, sinon il « fauterait contre son père tous les jours de sa vie » (Béréchit 44. 32), perdant aussi bien ses mérites dans ce monde que dans le monde futur. Il est même prêt à prendre la place de son frère et à se sacrifier pour lui.
Au-delà de ce geste admirable et d’une exceptionnelle générosité, le Rabbi de Sokatchov pose une question : comment peut-on comprendre que le patriarche Ya'akov ait accepté que son fils prenne un tel engagement ? N’était-ce pas beaucoup trop risqué ? En effet, rien ne garantissait que Yéhouda réussisse sa mission, nul ne pouvait préjuger de la confiance à accorder au vice-roi d’Égypte, et beaucoup d’évènements auraient pu l’empêcher de mener à bien sa mission. Ya'akov devait-il accepter que son fils prenne le risque d’être exclu des deux mondes pour des raisons qu’il ne maîtrisait pas ?
Et le Rabbi de Sokatchov d’apporter la réponse suivante : Ya'akov voulait donner la possibilité à Yéhouda d’aller au bout de ses possibilités, et de découvrir ainsi en lui-même des forces qu’il sous-estimait. Si Yéhouda n’avait pas pris sur lui un engagement aussi fort, aussi vital, il se serait peut-être contenté de faire « son maximum » apparent, et il n’aurait pas été incité à aller au-delà, à ne rien lâcher pour sauver son frère.
Yéhouda révèle lui-même ce tumulte intérieur qui le déchire et l’oblige à réussir sa mission : « Car, comment pourrai-je retourner chez mon père sans que mon frère ne soit avec moi ? » (Béréchit, 44. 34). L’échec lui semble donc impossible, il ne l’envisage même pas. Il n’a pas d’autre choix que de réussir. Voilà pourquoi, il va créer, avec l’aide d’Hachem, les conditions de sa réussite.
Mais cette exclamation de Yéhouda revêt également une autre signification qui témoigne de l’enjeu spirituel qui relie les hommes les uns aux autres, et en font de véritables frères.
En effet, le Sfat Emet explique ainsi que lorsque Yéhouda s’exprime ainsi « Comment pourrai-je retourner chez mon père ? », il n’évoque pas seulement son père Ya'akov, mais également son Père qui est dans le ciel, l’Éternel.
Et sa question, finalement, concerne chacun d’entre nous, comment pourrions-nous nous présenter auprès d’Hachem sans que « nos frères ne soient avec nous » c’est-à-dire sans pouvoir présenter une relation apaisée et fraternelle avec nos prochains ?
Le grand maître Rabbi Yéhouda Tsadka avait une lecture complémentaire de ce verset : comment un homme pourrait-il retourner auprès de son Père, l’Éternel, sans pouvoir amener avec lui les mérites de ses « enfants », des « jeunes générations » qu’il laisse dans le monde après lui ?
C’est ainsi que Yéhouda, dans le cri du cœur qu’il adresse à Yossef, résume, en quelques mots, un des enjeux fondamentaux de la responsabilité humaine : assurer une postérité spirituelle dans ce monde, transmettre le relais de la tradition, de la foi aux futures générations afin qu’elles cheminent, elles aussi, dans les sentiers d’Hachem.
À travers son exaltation, et en se portant garant de son frère auprès de son père, Yéhouda a finalement eu une juste intuition de la responsabilité spirituelle de tout homme : voir dans son prochain un frère, s’efforcer de maintenir avec lui des relations bienveillantes, et aspirer à lui transmettre le relais de la tradition millénaire du peuple juif.
Puisse l’Éternel nous permettre de réussir dans cette voie !