La Paracha Béréchit introduit le trésor inestimable et intemporel que l’Éternel a livré à l’humanité : la Torah. Ce texte fondateur a été notamment à l’origine de la conscience morale qui s’est progressivement répandue dans le monde, bien qu’elle continue de donner lieu à des interprétations parfois bien éloignées du sens originel du texte biblique. Par ailleurs, ce message à vocation universel continue d’être complètement étranger à ceux qui propagent le mal, la violence et la haine dans le monde.

Dès les premiers versets de la Torah, la notion de « Ahavat Israël », « l’amour du prochain » apparaît de manière centrale dans le destin de l’humanité.

Tout d’abord, rappelons-nous les conditions dans lesquelles l’homme a été créé, selon le deuxième chapitre de la Genèse.

« L'Éternel-Dieu façonna l'homme, - poussière détachée du sol -, fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. » (Genèse, 2.7)

Et Onkelos, le fameux traducteur de la Torah en araméen, de nous préciser que cette notion d’ « être vivant » désigne en réalité un « être parlant ». En même temps que l’homme a acquis la vie, il a acquis la parole. Aussi, la parole et la vie sont consubstantiels, et nous pensons naturellement aux beaux versets du Roi David « Quel est l’homme qui souhaite la vie, qui aime les jours pour voir le bien ? Préserve ta langue du mal et tes lèvres des discours perfides… »

La parole est, en outre, le vecteur par excellence de notre relation à l’autre. À la différence de l’animal, l’homme est doué de la parole, ce qui fait de lui un être social. Selon l’orientation qu’il va donner à son langage, sa douceur ou sa sévérité, le raffinement des mots choisis, la bienveillance de son propos, l’homme va déterminer la nature de ses relations avec ses prochains.

Nous pouvons faire l’expérience de cette vérité dans notre vie quotidienne. Nous sommes parfois amenés à constater combien nous regrettons certaines paroles, combien nous sommes « esclaves » d’un écart de la langage, et combien nous avons du mal à effacer ce qui a été dit. Ce souffle immatériel qu’est la parole prend bien souvent une réalité très forte et peut susciter des conséquences matérielles significatives.

Ce qui est vrai dans le négatif, l’est tout autant dans le positif. Les bonnes paroles, les paroles porteuses d’espoir, d’affection, d’amour peuvent provoquer de merveilleux transports de l’âme, apporter le réconfort, ouvrir des horizons de bonheur, et susciter une joie profonde.

Révéler son amitié, ou son amour à ceux que l’on chérit fait partie des émotions les plus belles de la vie. Et pourtant, elles ne reposent que sur le merveilleux souffle de la parole.

Notre Paracha nous révèle ainsi dès ses premières lignes, un des secrets éternels de l’amitié et de l’amour : l’art de la parole.

Cet enjeu de l’amour du prochain va prendre une tournure dramatique dans notre Paracha à travers le meurtre de Abel par Caïn. Après la déception de Caïn devant le refus de son offrande, le verset nous précise ainsi le déroulé des évènements (chap. 4 v. 8) : « Caïn parla à son frère Abel ; mais il advint, comme ils étaient aux champs, que Caïn se jeta sur Abel, son frère, et le tua. » Avant le meurtre, il y a la parole. Ayant échoué à parler de manière apaisée à son frère, ayant échoué à faire de la parole un vecteur de paix, Caïn a succombé à une pulsion de mort à l’endroit de son frère, qui n’était plus qu’un concurrent à ses yeux, un adversaire, un ennemi. Il est significatif que lorsque Caïn parle à Abel, la Torah précise « à son frère, à Abel », et lorsque Caïn le tue, la Torah inverse les mots « à Abel, son frère ». Lorsque je parle à autrui, je reconnais notre humanité commune, notre fraternité. En revanche, lorsque la violence s’impose, la fraternité s’estompe derrière l’étrangeté de l’Autre.

La reproche ne tarde pas à poindre dans le verset suivant (chap 4. V 9) : « L'Éternel dit à Caïn : "Où est Abel ton frère?" Il répondit : "Je ne sais ; suis-je le gardien de mon frère?" » Caïn espérait échapper à la fraternité, il réclamait le droit de ne pas avoir à « garder, préserver, chérir » ce lien fraternel qui nous relie les uns aux autres. L’Éternel lui a rappelé que c’était impossible et que nous sommes tous les gardiens de nos frères.