La Torah raconte la création du soleil et de la lune : « D.ieu fit les deux grands luminaires, le plus grand luminaire pour la domination du jour et le petit luminaire pour la domination de la nuit… »[1]La Torah se réfère à la fois au soleil et à la lune comme aux « grands luminaires », mais déclare, immédiatement après, que le soleil était le plus grand des deux. La Guémara[2] explique qu’à l’origine, le soleil et la lune furent créés de taille égale. Par la suite, la lune se plaignit à Hachem, prétextant que deux rois ne pouvaient pas partager la même couronne – c’est-à-dire que les deux luminaires ne pouvaient pas rester de même taille.[3] À travers cet argument, la lune sous-entendait qu’elle était censée devenir le plus grand luminaire. Hachem accepta ce raisonnement, mais ordonna à la lune de devenir plus petite, tandis que le soleil resterait dans sa taille d’origine.
Cette Guémara très profonde donne lieu à de nombreuses interprétations.[4] Le Daat Zékénim propose une explication fascinante et relie ce texte à un autre passage de la Guémara, apparemment non lié à celui-ci. La Guémara dans Yoma[5] évoque la qualité admirable de la personne insultée ou à qui l’on parle de manière désagréable, et qui reste pourtant silencieuse. « Celui qui est insulté et qui n’insulte pas en retour (Hanéélavin Véénam Olvin), qui entend sa dégradation et ne répond pas, le verset[6] dit à son propos : "Et ceux qui l’aiment rayonneront comme le soleil dans sa gloire". » Ainsi, une personne qui ne répond pas à une dégradation sera renforcée, comme le soleil qui brille de mille feux au zénith.[7] Le Daat Zékénim suggère une autre comparaison avec le soleil. Celui-ci fit également face à l’infamie et resta silencieux ; en effet, le soleil n’a pas répondu à l’argument de la lune. En récompense pour son silence, le soleil devint le plus grand luminaire.[8]
Une question évidente se pose quant à la comparaison entre l’histoire du soleil et de la lune et la grandeur de celui qui ne répond pas aux insultes. Nous ne voyons nulle part que la lune insulta le soleil. Elle avança simplement un argument valable selon lequel il ne devrait pas y avoir deux sommités de taille égale – il n’y eut ni cris, ni insultes, ni propos dégradants de la part de la lune. Elle laissa juste sous-entendre que le soleil devait être diminué et qu’elle-même devait garder sa taille d’origine, mais cela ne constitue pas une injure.
Manifestement, le Daat Zékénim estime que lorsqu’une personne essaie de faire en sorte que son prochain soit rabaissé, sapé ou perde son statut d’une manière ou d’une autre, elle entre également dans la catégorie des insultes et de la dégradation. Par conséquent, si la « victime » de cette tentative de dévalorisation reste silencieuse et ne se défend pas, elle fait partie des « Néélavin Véénam Olvin » et reçoit une récompense sublime.
Par extension, on inclut dans cette catégorie les personnes qui savent ne pas répondre aux tentatives de rabaissement, les personnes qui acceptent d’être traitées ou considérées d’une manière non conforme à leur véritable statut, etc.
L’histoire suivante, racontée par le Rav Avishaï David[9], illustre cette idée. Pendant son adolescence, Rav Avishaï David jouait souvent au basket-ball tôt le matin, après la prière. Mais il portait quotidiennement une sacoche avec des livres et des manuels scolaires qu’il voulait savoir en lieu sûr pendant qu’il allait jouer. Il trouva un homme, à l’allure distinguée, qui étudiait la Guémara et il lui demanda s’il pouvait surveiller ses Séfarim et sa sacoche. Avishaï ne savait pas à qui il s’était adressé, mais l’homme en question commença à débattre de son statut halakhique de Chomer (gardien d’objet). Il fut conclu que l’homme serait un Chomer ’Hinam (gardien qui n’est pas payé).
Au cours de la journée, Avishaï remarqua que, partout où il allait, l’homme portait une Guémara d’une main et sa sacoche de l’autre main. Ce scénario se répéta durant quelques jours, jusqu’à ce qu’un autre homme – lui aussi à l’allure distinguée – apprenne l’arrangement entre Avishaï et le « gardien de la sacoche ». Choqué, il expliqua à Avishaï que son « gardien » n’était autre que l’un des Guédolim d’Amérique de l’époque, le Rav Aharon Soloveitchik et qu’il était tout à fait inapproprié de lui donner un tel rôle. Le jeune Avishaï reprit immédiatement ses affaires et s’excusa auprès de Rav Soloveichik, sans expliquer la cause de sa réaction subite. Incroyablement, le lendemain, le Rav Soloveichik vit Avishaï et lui demanda pourquoi il ne lui avait pas donné sa sacoche à surveiller ce jour-là. « Je peux t’assurer que j’ai assumé mes responsabilités en tant que Chomer ’Hinam. Je n’ai commis aucune infraction ni imprudence. » Rav Avishaï David fut étonné par ce géant en Torah qui ne voyait aucune difficulté à garder la mallette d’un adolescent et était bouleversé par le fait qu’il ait pu faire preuve de négligence dans sa garde et qu’à cause de cela, la sacoche lui ait été reprise.
Il eût été tout à fait compréhensible que Rav Soloveitchik refuse poliment la demande du garçon de garder sa sacoche, étant donné son statut de Roch Yéchiva. Qui plus est, il aurait facilement pu se sentir offensé du fait qu’un adolescent lui confie une telle tâche. Et pourtant, il était tellement humble qu’il ne chercha aucunement à défendre son honneur et à arguer qu’il serait un manque de Kavod Hatorah pour lui de surveiller cette mallette.
Il arrive à tout le monde de faire face à une situation où l’on se sent rabaissé ou miné. L’explication de la Guémara et du Daat Zékénim sur le soleil et la lune nous aide à nous souvenir que le fait de rester silencieux élève l’individu au niveau sublime de « Hanéélavin Véénam Olvin ». Même le fait de ne pas défendre son honneur, comme le fit Rav Soloveichik, peut mériter une louange similaire.
[1] Béréchit 1,16.
[2] ’Houlin, 60b.
[3] Voir Maharcha, Sanhédrin, 39a pour une explication sur cet argument.
[4] Inutile de préciser que le soleil et la lune n’ont pas vraiment de libre arbitre. Pourtant, nos Sages nous enseignent des leçons importantes à travers ces histoires.
[5] Yoma, 23a.
[6] Choftim 5,31.
[7] Voir Ritba, Yoma, 23 a qui propose cette explication.
[8] Voir Méiri, Yoma 23a, Guittin, 36 b, Aboudraham, Séder Téfilot Chabbat, pour une approche identique à celle du Daat Zékénim.
[9] Rav de Beth Téfila, Ramat Beth Chemech Alef.