À la fin de la Paracha précédente, nous assistions au départ de Ya'akov Avinou de la maison paternelle, après avoir reçu la bénédiction de son père et avoir été désigné comme le dépositaire de l’héritage spirituel des Patriarches. Toutefois, à court terme, il doit quitter sa maison pour se mettre à l’abri, et fuir la rancune et le désir de vengeance de Essav.

Le Or Ha‘haïm Hakadoch propose, à cet égard, une lecture originale des premiers mots de la Sidra de la semaine « Vayetsé ya'akov mi Béer Shava, Vayélekh ‘Harana » traduit généralement de la manière suivante « Ya'akov est parti de Béer Chéva', et il est allé à ‘Haran ». Or, le mot ‘Haran peut aussi signifier « ‘Haron » « la colère », et le Or Ha'haïm de proposer l’interprétation suivante « Dès que Ya'akov est parti de Béer Chéva', la colère [de Essav] est partie ».

Cette interprétation nous invite à réfléchir à la dynamique des conflits entre les hommes, et aux moyens d’y mettre un terme. Le chemin le plus efficace pour faire retomber une « Ma’hloket », une dispute, est de ne pas l’alimenter, de se séparer, de partir afin de laisser la colère et le ressentiment s’estomper.

Le ‘Hafets ‘Haïm nous enseigne que, tant que les protagonistes sont face à face, le « mauvais penchant » va attiser les tensions en se servant notamment de deux armes puissantes : le désir de triompher, et la colère. Ces sentiments délétères aveuglent les hommes au point de les amener à recourir parfois à des chemins tortueux, vicieux et pervers pour obtenir « gain de cause », tout en les convainquant qu’ils sont dans leur bon droit.

Ceci est vrai pour les protagonistes principaux, et à plus forte raison pour tous ceux qui gravitent autour d’eux qui ne sont pas concernés directement par le conflit mais qui peuvent être tentés de prendre partie pour l’une des deux parties.

Nos Sages exhortent les hommes à se tenir le plus éloigné possible des disputes, de ne pas exacerber les tensions, et, si cela est possible, de s’employer à apaiser les parties, notamment en leur suggérant d’autres lectures possibles de la situation.

Dans son testament, Maïmonide encourage, dans des termes très forts, à s’éloigner des discordes et à rechercher la paix : « Ne salissez pas vos âmes par la Ma’hloket, la discorde, qui détruit le corps et l’âme, ainsi que l’argent de l’homme. J’ai vu des gens vieillir et s’affaiblir grandement [à cause de leurs soucis], des familles se séparer à cause des discordes, des ministres perdre leurs postes, des villes détruites, des hommes, des Tsadikim, perdre leur grandeur, à cause des querelles qui abîment tout ce qu’il y a de bon en l’homme. »

Lorsque la querelle apparaît, il faut immédiatement la faire retomber, car elle peut rapidement devenir incontrôlable. Aussi, plutôt que d’argumenter pour démontrer la justesse de son point de vue, d’essayer de restaurer son honneur que l’on estime bafoué, le plus sage est parfois de partir, afin de ne pas offrir de possibilité à la querelle de s’envenimer. Il peut s’agir d’un départ physique, ou simplement, d’un départ « intellectuel » « verbal » d’un espace de discussion que l’on sent fébrile, dangereux. Il ne faut pas hésiter à changer de discussion, ou à trouver une formule polie qui explique que l’on peut voir la situation sous différents angles, et embrayer sur un sujet plus consensuel. Une telle démarche est parfois suffisante.

On raconte ainsi qu’une fois, le 'Hafets ‘Haïm s’était approché de la Téva pour être le ministre officiant de la prière, à l’occasion de la Azkara de son père, comme cela avait été convenu. Un étranger entra alors dans la synagogue, et ne connaissant pas le Rav, le repoussa en arguant qu’il lui revenait de diriger la prière car c’était la Azkara de son père. Le ‘Hafets ‘Haïm descendit de l’estrade et rejoignit sa place. À la fin de l’office, ses élèves l’interrogèrent afin de comprendre pourquoi il n’avait pas fait valoir ses arguments, en l’honneur de son père. Il leur répondit ainsi : « Éviter une querelle apporte bien plus de Na’hat / satisfaction à l’âme du Niftar (défunt) que d’être ministre officiant. » (rapporté dans Ben Adam La’havéro, Rav S. Baroukh).

Lorsque l’homme prend un peu de hauteur, il réalise qu’en réalité l’Éternel dispose de moyens illimités pour restaurer son honneur et lui permettre de trouver grâce aux yeux des autres, et les rivalités entre les hommes lui apparaissent totalement vaines. Face à un conflit qui menace d’éclater, chacun a la possibilité de gagner un mérite immense en faisant preuve de souplesse et d’humilité pour éviter d’exacerber les tensions, et permettre le retour rapide à la paix.

Puisse l’Éternel nous permettre de nous renforcer dans ce chemin difficile afin d’œuvrer à la paix et à l’unité autour de nous et accroître ainsi le mérite du ‘Am Israël !