Avec le départ de Ya'akov Avinou de Béer Chéva' pour rejoindre 'Haran, commencent les grandes étapes et épreuves qui vont jalonner sa vie et faire du troisième patriarche le « père » du peuple juif, appelé également « les enfants de Ya'akov » ou « les enfants d’Israël » (prénom donné par Hachem à Ya'akov).

Dans un très beau texte « How light gets in », le Rav Jonathan Sacks s’interroge sur la raison pour laquelle Ya'akov Avinou s’est imposé comme le père du ‘Am Israël, davantage que les autres patriarches ou que Moché Rabbénou.

Pourtant, les contributions des premiers patriarches semblent considérables et déterminantes dans l’ADN du ‘Am Israël. Avraham Avinou a ravivé et propagé la foi en un D.ieu unique auprès de ses contemporains, et il a eu le courage de se battre, au péril de sa vie, contre la civilisation idolâtre qui l’entourait. Its'hak Avinou a fait preuve d’une abnégation surhumaine avec l’épisode de la ‘Akeda, Moché Rabbénou a été l’intermédiaire de l’Éternel pour faire le sortir le peuple d’Égypte et lui donner la Torah.

Il ne semble pas qu’il ait été donné à Ya'akov de mener des des actes aussi spectaculaires et héroïques ; en revanche, il a dû faire face de manière répétée à l’adversité, au danger, et à l’incertitude. Or, en ces instants de vulnérabilité (lorsqu’il rêve de l’échelle, ou lorsqu’il se bat avec l’ange), Ya'akov Avinou a toujours su trouver la force de continuer à se battre et à espérer. Et c’est notamment cette qualité qui lui a valu le titre de père du peuple juif.

Ainsi, le troisième patriarche a transmis à ses descendants une capacité unique de résilience, la conscience que la Présence divine accompagne les hommes en exil, dans les périodes les plus sombres. L’Éternel ne quitte jamais Ses enfants, même lorsque ces derniers font l’expérience de la solitude. Hachem est toujours près d’eux, Il leur tient la main, les protège et leur ouvre de nouveaux horizons de lumière.

C’est ainsi que l’on peut comprendre les versets relatifs au songe de Ya'akov au début de notre Paracha. À ce moment-là, Ya'akov a quitté sa maison, sa famille, il est seul au milieu de sa route. Il s’arrête pour dormir et place quelques modestes pierres autour de sa tête en guise de protection, et s’endort dans une situation de grande vulnérabilité.

Et le texte de poursuivre

« Il rêva : Vé-hiné ! – Et voici, il vit une échelle posée sur la terre, dont le sommet atteignait les cieux.

Vé-hiné ! Et voici, des anges de Dieu y montaient et descendaient.

Vé-hiné ! – Et voici, l’Éternel se tenait là et dit : “Je suis l’Éternel, le D.ieu d’Avraham ton père, et le D.ieu d’Its'hak. La terre sur laquelle tu es couché, Je la donnerai à toi et à tes descendants. Tes descendants seront comme la poussière de la terre, et tu t’étendras à l’ouest, à l’est, au nord et au sud. Par toi et par tes descendants, toutes les familles de la terre seront bénies.

Vé-hiné ! Et voici – Je suis avec toi, Je te protégerai partout où tu iras, et Je te ramènerai dans ce pays, car Je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que J’aie accompli ce que Je t’ai dit.” »

Ya'akov se réveilla de son sommeil et dit :

« Certainement, l’Éternel est en ce lieu – et je ne le savais pas ! » Il fut effrayé et dit :
« Que ce lieu est impressionnant ! Ce n’est autre que la Maison de D.ieu, et c’est la porte des cieux. »
(Genèse. 28:12-17)

Comme le souligne Rav Sacks, la répétition du mot Vé-hiné (en hébreu, « et voici »), tout comme l’emploi du verbe « Vayifga » traduisent une expression de surprise. Ya'akov ne s’attendait pas à une rencontre aussi intense dans cet environnement aussi peu rassurant.

Et c’est précisément là, l’apport fondamental de Ya'akov : savoir que, précisément lorsque l’homme se sent seul, D.ieu est toujours avec lui, et cette connaissance lui donne le courage de continuer à espérer et à rêver.

Cette même idée est exprimée avec force par le Roi David, dans le livre des Téhilim / Les Psaumes, lorsqu’il s’exclame : « Du fond de l’abîme, ô Seigneur, je T’appelle ! » (Ps. 130:1), « L’Éternel est proche de ceux qui ont le cœur brisé, et Il sauve ceux qui sont écrasés dans leur esprit. » (Ps. 34:18), « Mon sacrifice, ô D.ieu, est un esprit brisé ; un cœur brisé et contrit, Tu ne le mépriseras pas. » (Ps. 51:17), « [D.ieu] guérit les cœurs brisés et panse leurs blessures. » (Ps. 147:3)

Nous pouvons également penser aux écrits de Rav Na'hman de Breslev qui disait : « Une personne doit crier à son Père céleste avec une voix puissante, depuis les profondeurs de son cœur. Alors Dieu écoutera sa voix et répondra à son cri. Et peut-être que par cet acte, tous les doutes et obstacles qui l’empêchent de servir véritablement D.ieu tomberont et seront complètement annulés. » (Likouté Moharan 2:46)

Le message de Ya'akov n’a jamais cessé d’accompagner ses descendants à travers l’histoire. Il n’est pas de situation totalement désespérée, ni de solitude qui soit absolue. Durant tout son séjour sur terre, l’homme est accompagné, guidé par le Maître du monde Qui aime chacun de ses enfants comme un fils unique.

La vie matérielle, les limites inhérentes à la nature corporelle de l’homme, et sa prétention à tout comprendre jettent parfois un voile sur la Providence divine à l’œuvre dans le monde. Mais ce voile se déchire lorsque l’homme retourne vers lui-même, lorsqu’il perçoit les limites de son « pouvoir » et qu’il lève les yeux vers le Ciel. Il s’ouvre alors à la Présence divine qui l’enveloppe, le relève et lui rappelle la lumière unique qu’il doit apporter au monde.

Ainsi, Ya'akov Avinou nous a transmis cette force de ne jamais renoncer, de chercher la lumière même dans l’obscurité, et de toujours continuer à espérer.