L’observation de la vie des patriarches est une leçon permanente de foi, de courage et d’espérance. En effet, les premiers couples de notre peuple sont bien souvent confrontés à des problèmes de stérilité. Ce fut le cas de Avraham et Sarah, nous le voyons cette semaine avec Its'hak et Rivka, et nous y assisterons également avec Ya'akov et Ra'hel.
Tout se passe comme si notre tradition voulait nous éveiller à l’idée que, dans la vie, tout ce à quoi un homme aspire ne lui est pas immédiatement donné. Obtenir ce que l’on désire ne relève pas toujours de la « normalité », de « la mécanique » du vivant, d’un « dû » de la Providence divine à l’égard de l’humanité.
Concernant la question de la fécondité, il est vrai que bien souvent, il semble automatique ou « classique » qu’un couple qui se marie ait plus ou moins rapidement des enfants. Cela semble être la norme, alors que la stérilité semble l’exception. Dans l’histoire biblique, c’est l’inverse : sur les trois premiers couples des patriarches, seuls Ya'akov et Léa semblent donner naissance à des enfants assez « facilement ».
Aussi, à défaut, d’obtenir rapidement et facilement ce qu’il désire, l’homme doit s’armer d’une grande force mentale pour ne jamais désespérer et continuer à croire en ses ambitions, en ses rêves. Cette détermination et cette ténacité lui permettent de puiser en lui-même des ressources qu’il ne soupçonnait pas, et de grandir.
La Paracha de cette semaine nous dit ainsi que « Its'hak implora D.ieu au sujet de sa femme, parce qu’elle était stérile ; l’Éternel l’exauça et elle devint enceinte » (Genèse, 25.21). Les Sages du Talmud se sont naturellement intéressés à cette question et ils ont apporté la réponse suivante : « Rabbi Its'hak disait : pourquoi les Patriarches étaient-ils stériles ? C’est parce que l’Éternel désire la prière des justes ». (Traité Yévamot, 64 a)
Évidemment, il est absurde d’imaginer une lecture simpliste de ce passage du Talmud qui signifierait que l’Éternel « désire être supplié ». Pour mieux illustrer l’enjeu de cette idée, Rav E. Munk rapporte le proverbe suivant : « Un arbre sauvage pousse de lui-même, un arbre fruitier doit être cultivé ».
Nous trouvons ici l’application d’une règle fondamentale dans notre tradition : l’homme a le choix du chemin qu’il souhaite suivre pour orienter son existence : la voie de la nature, ou la voie de la Providence divine qui le place au-delà des règles de la nature.
Et de fait, chacun peut ressentir durant son existence des périodes de vie où les règles classiques du fonctionnement naturel des choses ne sont plus opérantes à son échelle. Alors que ces règles semblent fonctionner pour la majorité de l’humanité, on a parfois le sentiment qu’elles ne marchent plus pour nous-mêmes : en dépit de ses diplômes prestigieux, un tel a des difficultés à trouver un emploi stable ; un autre se marie, mais ne parvient pas à avoir rapidement un enfant ; tel autre ne parvient pas à se marier, contrairement à ses amis…
Ces périodes de vie, souvent difficiles à traverser, appellent l’homme à sortir de la logique naturelle qui semble prévaloir dans la majorité des cas, et à écrire un narratif personnel porté par l’espoir et la confiance dans la Providence divine. Et, ce faisant, il prend conscience de réalités qui bien souvent lui échappaient auparavant, et il perçoit avec une plus grande acuité la présence de D.ieu auprès de lui dans sa vie.
En l’occurrence, les prières que semble attendre l’Éternel de la part des patriarches portent ce message : donner naissance à un enfant est tout sauf un évènement naturel, « normal », « standard ». Donner la vie est un privilège inouï dont l’Éternel a gratifié l’humanité et qui suppose une très grande responsabilité. Or, ce sentiment de responsabilité, cette maturité des parents doit être un préalable à la naissance d’un enfant. Voilà pourquoi, probablement, les patriarches doivent « implorer » l’Éternel afin de prendre toute la mesure de l’évènement qu’ils s’apprêtent à vivre.
À travers cette démarche spirituelle des parents, l’enfant qui va naître est déjà placé « sous le signe de la grâce divine » (R. E. Munk). Et, de fait, certains traits de caractère, certaines finesses de la sensibilité ne peuvent se travailler et s’obtenir que par la prière et l’intensité de la relation que l’on noue avec le Maître du monde. Or, il était nécessaire que les patriarches qui ont donné naissance eux-mêmes aux pères fondateurs du peuple juif soient porteurs d’une telle perfection dans la spiritualité, et d’une telle clairvoyance dans le rôle que D.ieu a dévolu aux hommes. C’est précisément grâce à ces prières si intenses que l’homme peut percevoir sa mission spirituelle et le rôle qu’il est appelé à jouer sur terre.
Puisse l’Éternel nous permettre de développer en nous cette force d’espérer, afin de continuer à grandir, à nourrir nos rêves, et à percevoir avec clarté la présence de D.ieu auprès de nous.