La Paracha de cette semaine, 'Hayé Sarah, attire notre attention sur deux épisodes majeurs dans l’histoire d’Avraham Avinou, et dans l’histoire collective du peuple juif, bien qu’ils auraient pu être passés sous silence, ou évoqués plus brièvement, tant ils n’ont, à première lecture, rien d’héroïque. Et pourtant !

Il s’agit d’une part de l’achat d’un terrain pour enterrer Sarah, la future Caverne de Makhpéla à 'Hévron, haut-lieu de pèlerinage et de recueillement pour le peuple juif à travers toute son histoire, et la quête d’une épouse pour Its'hak, susceptible de l’accompagner dans sa mission spirituelle : assurer la postérité d’Avraham Avinou et donner naissance au peuple juif.

Pour comprendre, l’enjeu spirituel qui se noue autour de ces deux épisodes, et l’épreuve que cela représente pour Avraham Avinou, il faut se souvenir que l’Éternel lui avait adressé deux promesses : la première est qu’il hériterait de la terre d’Israël, la seconde est que sa descendance serait très nombreuse.

C’est ainsi, comme le note Rav J. Sacks, que chacune de ces promesses fait l’objet de cinq mentions dans le texte de la Genèse.

Tout d’abord, concernant la terre, nous pouvons trouver :

  • Le Seigneur apparut à Avram et lui dit : « Je donnerai ce pays à ta descendance. » (12:7)
  • Le Seigneur dit à Avram, après que Loth se fut séparé de lui : « Lève les yeux de là où tu es, et regarde au nord, au sud, à l'est et à l'ouest. Tout le pays que tu vois, Je te le donnerai, à toi et à ta descendance, pour toujours... » « Va, parcours le pays dans toute sa longueur et dans toute sa largeur, car Je te le donne ». (13 : 14-17)
  • Il lui dit : « Je suis le Seigneur, qui t'ai fait sortir d'Ur des Chaldéens, pour te donner ce pays et en prendre possession. » (15:7)
  • Ce jour-là, le Seigneur fit alliance avec Avram et dit : « Je donne à ta postérité ce pays, depuis le fleuve d'Égypte jusqu'au grand fleuve, l'Euphrate,… » (15 : 18-21)
  • « J'établirai mon alliance comme une alliance éternelle entre Moi et vous, et vos descendants après vous, pour les générations à venir, pour être votre D.ieu et le D.ieu de vos descendants après vous. Tout le pays de Canaan, où tu es maintenant étranger, Je te le donnerai comme une possession éternelle, à toi et à ta descendance après toi, et Je serai leur D.ieu. » (17:7-8)

Ensuite, concernant la promesse d'avoir des enfants, nous lisons ainsi :

  • « Je ferai de toi une grande nation et Je te bénirai ; Je rendrai ton nom grand et tu seras une bénédiction. » (12 : 2)
  • « Je rendrai ta descendance semblable à la poussière de la terre, de sorte que si quelqu'un pouvait compter la poussière, on pourrait compter ta descendance. » (13:16)
  • Il l'emmena dehors et lui dit : « Regarde les cieux et compte les étoiles, si tu peux les compter. » (15:5)
  • « Pour Moi, voici l'alliance que j'ai conclue avec toi : tu seras le père d'une multitude de nations. On ne t'appellera plus Avram, ton nom sera Avraham, car Je t'ai établi père d'une multitude de nations. » (17:4-5)
  • « Je te bénirai et Je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable du bord de la mer. » (22:17)

Et pourtant, lorsque nous commençons la lecture de la notre Paracha, Avraham ne possède pas la terre d’Israël, et il doit négocier âprement, et payer le prix fort, pour pouvoir enterrer Sarah à 'Hévron dans la grotte de Makhpéla. De même, il doit entreprendre une expédition risquée et dont l’issue semble incertaine à travers son serviteur Eliézer pour trouver une épouse à Its'hak et garantir ainsi la continuité de la lignée.

Comme nous le voyons, dans la Torah, les promesses de l’Éternel ne dispensent pas l’homme d’agir, et d’être un acteur dynamique et engagé de sa vie. Nul « fatum », nulle fatalité ne s’impose à l’homme et ne le réduit à être une marionnette de son histoire comme dans les tragédies grecques.

La Torah exhorte au contraire les hommes à déployer leur énergie, leur intelligence, leur finesse pour permettre aux promesses de l’Éternel de devenir des réalités.

Et de fait, avec l’aide d’Hachem, la descendance d’Avraham sera très nombreuse, elle traversera  l’histoire de l’humanité, et elle héritera de la terre d’Israël, mais ce sera au terme d’efforts humains soutenus, grâce à une volonté « un Ratson » inébranlable, et avec une détermination totale. La Promesse divine a ceci de spécifique : elle donne aux hommes l’espoir que leur objectif est atteignable, et que les difficultés parfois considérables qu’ils vont rencontrer peuvent et doivent être surmontées. Elle leur donne la force de ne jamais désespérer.

Rav J. Sacks souligne ainsi avec une grande acuité que ces deux enjeux - l’installation du peuple juif sur la terre d’Israël et la postérité spirituelle du peuple juif - ont de tout temps représenté des questionnements fondamentaux pour le peuple juif. Notre génération le comprend tout particulièrement, « les espoirs et les craintes d'Avraham sont les nôtres ».

Ainsi, aujourd'hui comme hier, l’alliance que l’Éternel a conclue avec le 'Am Israël ne signifie pas que nous pouvons nous retirer de l’histoire et « laisser l'avenir à D.ieu ». L'alliance est bien davantage un dialogue ininterrompu entre l’Éternel et Ses enfants, un engagement mutuel à agir dans l’histoire. La « Émouna », la « foi » n'est pas synonyme de passivité, elle est avant tout une certaine forme de « courage », le courage d'agir, d’espérer, et de ne jamais désespérer.

À côté de la foi de l’homme répond, si l’on peut dire, la « foi » de D.ieu. C’est ainsi que le Rabbi de Alexander (rapporté par Rav H. T. Rozenberg) commentait le verset des Téhilim : « Léhagid baboker ‘hasdékha veémounatékha baleilot » « Qu’il est bon de louer Hachem, pour dire Ta bonté le matin et Ta foi dans les nuits ». Pourquoi le roi David évoque-t-il « Ta foi » et non « notre foi » à nous les hommes ? Le matin, lorsque tout va bien, l’homme chante naturellement les louanges de l’Éternel. Toutefois, dans les nuits (les moments difficiles), l’Éternel a foi dans l’alliance qu’Il a conclue avec les hommes, et que, même si les temps sont difficiles, l’homme ne désespèrera jamais, mais restera habité par les promesses du Maître du monde.

Puisse l’Éternel nous donner la force de continue à œuvrer dans histoire pour permettre à toutes Ses promesses, notamment celle de la Délivrance finale, d’advenir dans l’histoire le plus rapidement possible.

[Inspiré d’un commentaire du Rav Jonathan Sacks, à l’occasion de sa Azkara qui coïncide avec cette semaine].