La Paracha de cette semaine, Vayéchev, peut donner un sentiment paradoxal pour le lecteur familier avec le texte biblique. En effet, l’enchaînement des évènements présentés dans cette section de la Torah semble mener à une forme de tragédie pour Yossef et Ya'akov. Pourtant, nous savons que la lumière va poindre au bout du tunnel, et que toutes ces difficultés vont finir par être surmontées. La Torah, à travers l’histoire des patriarches et de Yossef, semble ainsi nous mettre en garde contre des lectures parcellaires, et à court terme de l’histoire. L’homme somme parfois l’histoire de dévoiler son sens immédiatement, alors qu’elle ne s’éclaire bien souvent que rétrospectivement, sur « un temps long », sur la longue durée.

Cette idée a fini par s'imposer même chez les historiens, avec l’apparition d’un nouveau courant, l’École des Annales portée notamment par l’historien Juif Marc Bloch, Lucien Febvre ou encore Fernand Braudel. Ce dernier a théorisé le concept de longue durée nécessaire pour appréhender le sens de l’histoire. Il écrivait ainsi : « La science sociale a presque horreur de l'événement. Non sans raison : le temps court est la plus capricieuse, la plus trompeuse des durées ».

Et, de fait, notre Paracha nous rappelle avec force combien l’histoire peut se retourner et révéler des trésors qui étaient enfouis sous les événements pris isolément.

Le premier épisode qui est porteur d’un tel enseignement apparaît lors de l’annonce tragique faite à Ya'akov par ses enfants de la « disparition » de Yossef. Lorsque ses fils lui rapportent la tunique ensanglantée de Yossef, et lui laissent croire qu’une bête sauvage a dévoré son fils, Ya'akov réagit par une tristesse profonde, il est inconsolable au sens propre. Alors que ses enfants tentent de l’apaiser, la Torah précise que Ya'akov refuse, elle emploie un verbe spécifique « Vayimaen ». Comme l’observe Rav J. Sacks, ce refus vient du fait qu’il n’a pas perdu espoir. En effet, nos Sages nous disent que tant qu’il y a un espoir que la personne disparue soit vivante, on ne peut pas être consolé, on continue à porter un espoir de la retrouver. Or,  Ya'akov ressent au fond de lui que Yossef est toujours vivant, et son refus de se laisser consoler n’est pas un déni de réalité, mais plutôt une forme de fidélité et d’attachement à son fils. Cet espoir invincible que Ya'akov porte en lui, aussi irrationnel qu’il puisse sembler à ce moment, finit par se révéler justifié : Yossef était bien vivant, et père et fils seront un jour réunis.

Plus que cela. Cet espoir porté par le père, transmet une force spirituelle au fils disparu. C’est ainsi que lorsque Yossef trouve la force de refuser les avances de madame Potiphar, la Torah écrit aussi « Vayimaen » « Yossef refusa… », exactement le même verbe que celui mentionné précédemment pour décrire le refus de Ya'akov de se laisser consoler. Ce refus de Yossef va le mener certes à la prison, mais c’est précisément là qu’il va trouver sa délivrance définitive et qu’il va mettre en place les jalons qui ont permis ses retrouvailles avec son père.

L’espoir est ainsi une force spirituelle extrêmement puissante qui oppose à la sécheresse d’un rationalisme désespérant, une énergie spirituelle capable de faire naître les plus grands miracles.

L’histoire de Yossef, elle aussi, incarne ce refus du désespoir, et de la résignation. Dès son jeune âge, Yossef connaît des épreuves d’une intensité terrible : il est confronté à la haine de ses frères et il est vendu comme esclave ; il est ensuite emprisonné sur la base d’une fausse accusation, et, enfin, il est oublié par l’échanson de Pharaon malgré la promesse de lui venir en aide.

Beaucoup aurai pu prévoir une descente inexorable vers le désespoir, un destin tragique où chaque éclaircie est suivie d’une nouvelle épreuve. Et pourtant, en regardant en arrière, nous voyons que chaque étape, aussi difficile soit-elle, a conduit Yossef vers un bien supérieur :

  • La vente comme esclave l’a conduit en Égypte,
  • L’emprisonnement a été l’occasion d’interpréter des rêves,
  • L’oubli temporaire de l’échanson a préparé le terrain pour sa rencontre avec Pharaon au moment le plus propice.

Finalement, Yossef devient vice-roi d’Égypte, sauve les habitants de la famine et accueille sa famille dans les meilleures conditions en Égypte.

Rétrospectivement, nous comprenons que ce qui aurait pu apparaître comme des épreuves insurmontables se sont révélées être les pièces du Plan divin pour accomplir la destinée du ‘Am Israël. Comme le dit Rav Jonathan Sacks, « la Main de D.ieu était à l'œuvre, même lorsque Yossef se sentait abandonné par tous les êtres humains qu'il avait rencontrés. »

Ces épisodes éclairent également la réponse que l’Éternel donnera à Moïse lorsqu’il demandera à « voir » l’Éternel. « Tu verras Mon dos mais Ma face ne peut être vue » (Ex. 33:23). Nos Sages suggèrent de comprendre cette réponse comme l’impossibilité, bien souvent, de trouver le sens de l’histoire immédiatement « face à l’évènement », mais celle-ci s’éclaire rétrospectivement.

Enfin, ces épisodes soulignent combien le judaïsme propose une vision de la vie à l’opposé des tragédies antiques. Celles-ci offraient une vision de l’existence humaine prisonnière d’un destin pré-écrit, et toute tentative d’y échapper était vaine, pire, elle accélérait la catastrophe. 

La Torah propose un autre regard, où l’homme conserve la possibilité par son mérite, sa prière, ses bonnes actions de renverser les mauvais décrets, de les déchirer, et de faire advenir la lumière après l’obscurité.

Aussi, le désespoir n'est-il jamais justifié. La souffrance n’est jamais le dernier mot de l’histoire, elle peut être le prélude à de grands bonheurs.

À l’approche de 'Hanouka, puisse l’Éternel apporter la lumière à tout son peuple, la libération des esclaves, la guérison des malades et la protection de tout le ‘Am Israël.