La lecture de la Paracha Mikets coïncide pleinement cette année, comme souvent, avec la fête de ‘Hanouka. Cette concordance de calendrier est d’autant plus remarquable que le message de notre Sidra est tout à fait cohérent avec la fête des lumières.
À travers les lumières que nous allumons à 'Hanouka, nous voulons symboliquement témoigner de la mission spirituelle du peuple juif : éclairer le monde à travers la Torah, les Mitsvot, et le raffinement des qualités morales. Alors que les nuits sont les plus longues, le peuple Juif vient rappeler à l’humanité que l’obscurité n’est jamais absolue, elle n’est jamais le dernier mot de l’histoire et elle finit toujours par reculer devant ceux qui, armés de leur foi et de leur courage, s’efforcent d’apporter de la lumière dans le monde.
Or, le nom de la Paracha « Mikets » « la fin » signifie précisément, nous disent nos Sages, que l’Éternel « a mis un terme à l’obscurité » « Sam Kets La’hochèkh », qui s’était abattue sur la vie de Yossef, de son père Ya'akov, et de sa famille qui va pouvoir échapper à la famine qui la menaçait. En outre, il s’agit d’une étape décisive pour le peuple juif, qui va être amené à réaliser la promesse faite par D.ieu à Avraham lors de l’alliance entre les morceaux (Brit Ben Habétarim).
Pour Yossef, l’obscurité est évidente, sa vie semblait lui échapper depuis des années, et la Torah n’évoque même pas ses réactions face aux évènements extrêmes qui lui arrivent : il est jeté dans un puits, vendu comme esclave, accusé injustement par la femme de son maître, enfermé en prison etc. Pourtant, en dépit de cette adversité, Yossef a continué à connaître une réussite extraordinaire, si bien qu’il était apprécié de tous et reconnu pour sa sagesse.
Bref, le sens des événements nous échappe, et face à cette incompréhension, règne un sentiment d’obscurité qui appelle un dénouement et une clarification. Mikets annonce donc la fin de cette obscurité, le renouveau du sens et de la compréhension, au moins partiel, des évènements que Yossef a vécus et qu’il va vivre. Il va enfin en comprendre les raisons.
Ce premier point est un enseignement important dont la valeur est intemporelle. En effet, au cours de sa vie, l’homme peut osciller entre des moments où les événements qu’il vit lui paraissent avoir un sens clair et évident, et des périodes où il ne comprend pas les évènements qu’il subit. Nous devons alors nous souvenir de Yossef et de son absence de révolte face aux évènements qu’il a endurés.
Mais nous devons également nous rappeler que cette absence de sens a eu un terme, et que le dénouement a donné un éclairage rétrospectif à tout ce qu’il avait vécu. En parallèle de la vie des hommes, il y a toujours le plan de D.ieu qui emprunte parfois des chemins que l’homme n’est provisoirement pas en mesure d’appréhender.
Dans Le réel et son double, le philosophe Clément Rosset montrait comment dans de nombreux récits mythologiques ou philosophiques, le réel est perçu comme une projection parfois dégradée du vrai monde (« le monde des idées » dans le mythe de la Caverne de Platon) ou parfois illusoire d’une logique qui ignore les hommes, voire se moque d’eux (Œdipe de Sophocle, les grandes tragédies grecques).
La Torah propose une lecture aux antipodes de ces approches, et elle rappelle avec force que la Providence divine n’abandonne jamais les hommes, elle ne les livre pas au hasard de la nature, ou à l’arbitraire d’une fatalité (le fatum, la moïra) impitoyable, mais elle prend soin d’eux, et les protège. L’obscurité n’est qu’une parenthèse de l’histoire, elle annonce une nouvelle lumière.
Aussi, ne faut-il jamais désespérer en tirant des conclusions pessimistes sur l’avenir en raison de l’adversité du moment présent. Si nous nous étions arrêtés à la lecture de la Paracha de la semaine dernière, Vayéchev, nous aurions eu une lecture tragique du destin de Yossef. Or, deux années plus tard, il atteint les plus hautes fonctions en l’Égypte, et il s’apprête à retrouver sa famille.
La « fin » dont il est question dans le terme « Mikets » peut ainsi désigner la réconciliation entre le sens de l’histoire tel qu'il est vécu par les hommes et le plan préparé par D.ieu. À partir du moment où l’homme retrouve un sens à sa vie et se conforme à la volonté de D.ieu, il a alors le sentiment de sortir de l’obscurité.
Voilà pourquoi également, lorsque Ya'akov envoie ses fils en mission en Égypte, il les bénit en faisant appel à un Nom de D.ieu bien spécifique : « E-l Cha-daï », et Rachi de préciser :
E-l Cha-daï (43,14) : Celui dont il suffit (Daï) que l’on reçoive de Lui le don de Sa miséricorde et qui possède assez (Daï) de puissance en Sa main pour donner, qu’Il vous fasse trouver grâce. Tel est le sens simple du texte. Quant au Midrach (Beréchit Raba 92, 1), il explique : Celui qui a dit à l’univers : « Daï » (assez !), qu’Il dise « Daï » à mes souffrances, car je n’ai pas eu de repos depuis mes jeunes années.
Ainsi, les souffrances, tout comme l’obscurité, n’ont jamais le dernier mot. D.ieu met toujours un terme aux épreuves des hommes ainsi qu’au sentiment d’absence de sens. C’est là un enseignement profond de notre Paracha, mais aussi de ‘Hanouka qui a mis fin à l’obscurité imposée par la culture grecque et qui rejoint, bien sûr, l’espérance messianique du peuple juif.
La venue du Machia’h apportera au monde une grande lumière qui éclairera et donnera un sens profond aux évènements vécus par les hommes. Nous pourrons alors accéder à une compréhension des évènements qui nous fait actuellement défaut, et qui dévoilera le Plan divin à l’œuvre depuis la création.
Nous ne trouverons de meilleure conclusion que les mots du prophète Daniel (ch.2, v.20-22) : Daniel prit la parole et dit : « Que le Nom de D.ieu soit béni d'éternité en éternité ! Car à Lui, appartiennent la sagesse et la puissance. C'est Lui qui modifie les temps et les époques, qui tour à tour renverse les rois et les élèves, et qui donne la sagesse aux Sages et la science à ceux qui savent comprendre. C'est Lui qui révèle les choses profondes et cachées ; Il connaît ce que recèlent les ténèbres, et la lumière réside avec Lui ».