“Je suis collé contre Naphtali, mon grand frère, dans le wagon surpeuplé et étouffant, et je pleure sans cesse. Toute la nuit, le train nous a secoués, et enfin, il s’arrête. La porte s’ouvre dans un fracas métallique, et alors que les rayons des torches des SS se braquent sur nous, j’aperçois, semi-aveuglé, la crosse de leur fusil.
Nous sommes arrivés à destination, dans la ville ferroviaire de Tchanztokhowa, près de Lodz. Toutes les fabriques de l’endroit ont été transformées en un immense territoire industriel d’armement pour la Wehrmacht.
On nous jette dans l’une des cabanes du camp. Mon grand frère étend une couverture sur la terre et m’y couche.
Je pleure sans fin. Maman me manque terriblement.
C’est notre première nuit au camp, et c’est un Chabbath. Naphtali est à mes côtés, et de loin, on perçoit une mélodie, un air connu, à peine audible, mais familier. C’est le fameux ‘Hazan Yossef Mendelbaum qui chante, dans une cabane voisine, le « Lékha Dodi » de Chabbath.
La mélodie me berce et me transporte ailleurs, vers les souvenirs de la maison. Elle me fait oublier les terribles événements de ces derniers jours.
Mes paupières s’alourdissent et je m’endors, blotti contre mon grand frère”
L’incroyable périple de Loulek - le petit Israël Méïr Lau -, miraculeusement sorti vivant du camp de la mort de Buchenwald, nous interpelle.
Comment cet enfant, orphelin à sept ans à peine, a-t-il pu se hisser jusqu'à la très haute, et très lourde, fonction de Grand Rabbin d’Israël ?
Comment, éprouvé si jeune dans sa chair et son psyché, a-t-il malgré tout pu fonder un foyer et prendre sur ses épaules le poids de la vaste communauté de l'État d’Israël, devenant ainsi son berger ?
On parlera de résilience. En effet. Mais même les plus grands résilients, ceux qui ont réussi à sublimer leurs blessures par un talent, un art, un idéal, gardent d’énormes cicatrices de leur passé.
Dans le cas du Rav Lau, quelque chose en lui semble être resté intact,
ce qui lui a permis de remplir des fonctions prestigieuses, de côtoyer les “grands” de ce monde avec aisance, sans cesser d’écouter le désarroi d’une orpheline et de réconforter une rescapée, venue ouvrir son cœur devant lui.
La réponse réside sans doute dans le fait que lors des 7 premières années de sa vie, période charnière dans le développement d’un être, s’est inscrit en lui le modèle parfait du Bien et du Vrai.
Petit Loulek, bien équipé affectivement, repu d’amour et d’un exemple parental authentique, a pu ensuite, malgré les terribles affres subies, puiser dans des réservoirs émotionnels remplis, que l’horreur n’aura pas parvenu à assécher.
Le Rav et la Rabbanite Lau étaient des parents dans toute l’acceptation du terme. Accordant à leur progéniture chaleur et limites, ils étaient eux-mêmes des individus adultes, construits à merveille, rayonnants, dégageant autour d’eux un sentiment de confiance, de paix et de sécurité, offrant ainsi un terrain optimal à la bonne croissance du petit homme en devenir.
Leur positionnement juste en tant que couple et parallèlement, leur stabilité comme socle de l’édifice familial, seront pour leurs enfants, dès leur naissance, un référent absolu.
Cette réflexion nous amène à nous interroger sur ce que nous transmettons à nos enfants, car c’est avec prudence et circonspection qu’il faut écrire sur ces pages blanches.
Ce que nous leur offrons les construira à jamais, sur tous les itinéraires de leur vie, les hauts comme les bas (qu’ils ne soient toujours que passagers…).
Nos enfants absorbent, tel un buvard, ce que nous sommes, sans se tromper, et s’en nourriront tout au long de leur existence.
Soyons à la hauteur.
Car en tant que parents, c’est de l’éternité que nous fabriquons… Et que nous cueillerons en retour, dans quelques décennies.
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Shavoua tov
Pascale.