Avec les deux Parachiot de cette semaine, Matot et Mass’é, nous allons achever la lecture du quatrième livre de la Torah, le livre de Bamidbar - Les Nombres. Et c’est ainsi que nous allons également clore le récit biblique avant sa reprise en condensé dans le cinquième livre.

Parmi les différents thèmes évoqués dans la Paracha Matot, une notion centrale concerne les vœux que l’homme formule afin de s’interdire de profiter de certaines choses. Il est intéressant de constater que la Torah achève son récit en revenant sur une des premières thématiques  du récit de la Création, la parole. Or cette faculté offerte par le Maître du monde à l’homme est un privilège inédit dans l’ordre de la Création, et qui est le fondement de ses relations sociales avec ses congénères. La parole est au cœur de la Mitsva d’amour du prochain.

Les premières lignes de la Paracha nous enseignent donc qu’il est possible pour l’homme, même si ce n’est pas souhaitable à priori, de s’ajouter des interdictions au-delà de ce que prévoit la Torah. Précisons en premier lieu que la Torah ne préconise pas l’ascétisme comme mode de vie, et elle a même tendance à réprouver le fait de se rajouter des interdictions, mais elle conçoit que certaines personnes peuvent avoir besoin, parfois pour une durée limitée, de s’interdire certaines choses qui les menacent ou les déséquilibrent.

C’est ainsi que l’homme par sa seule parole peut s’imposer des obligations auxquelles il n’a pas le droit de déroger, et qui ont une valeur presque semblable aux Mitsvot énoncées dans la Torah. Voilà matière à réflexion pour tous ceux qui pensent que les paroles ne sont que du vent et qu’elles n’engagent pas leur auteur. Le texte de la Torah évoque même explicitement la dimension sacrée de la parole humaine en exigeant de l’homme qu’il ne profane pas sa parole « Il ne profanera pas sa parole » (chap. 30, verset 3) que Rachi commente de la manière suivante :

 Il ne profanera pas sa parole : Il ne fera pas de ses paroles quelque chose de profane (Sifri).

Pour comprendre cette dimension sacrée de la parole, il faut se remémorer l’origine de la parole humaine, au tout début de la Torah. Lors de la création de l’homme, le texte nous dit que D.ieu « insuffla à l’homme une âme de vie et l’homme devint un être vivant ». La traduction en araméen, le Targoum, interprète ce verset comme signifiant que l’homme est devenu un « être parlant ».

La parole est donc intimement liée à la vocation spirituelle de l’homme et à sa proximité avec Hachem. Le souffle qui sort de la bouche de l’homme a une dimension divine et l’homme a donc la responsabilité d’en préserver la pureté et la sainteté.

Dès lors, de nombreuses règles viennent encadrer l’usage que l’homme doit faire de la parole : ne pas la souiller avec des propos inconvenants ou vulgaires, ne pas utiliser sa parole pour dénigrer ses prochains, et aussi, ne pas utiliser sa parole pour faire des vœux, prendre des engagements, qu’il ne tiendra pas.

Et inversement, il est recommandé que l’homme fasse un usage positif de sa parole, en témoignant de la sollicitude, de l’affection, des sentiments positifs à ses proches. Un usage sacré de la parole réside également bien sûr dans la prière et l’étude de la Torah.

La parole est si forte que notre tradition nous enseigne que le monde a été créé grâce à la parole : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut ». Le langage possède ainsi une force créatrice intrinsèque, « performative » selon les linguistes, que nous retrouvons parfois encore dans certains évènements de la vie, où il suffit que nous prononcions certaines phrases pour créer des réalités, notamment lors du mariage.

La législation relative aux vœux a également ceci de spécifique qu’elle prévoit les conditions d’annulation des vœux. Selon les cas de figure, différentes personnes sont habilitées à annuler les vœux qu’une femme ou un homme ont formulés. Ce qui est intéressant là encore, c’est de constater que la Torah n’appréhende pas l’homme comme une entité isolée, mais elle le considère toujours comme membre d’une société, d’un collectif. Et c’est uniquement grâce à l’intermédiaire d’un tiers, qu’elle a la possibilité d’être libérée de son vœu. Cette spécificité nous rappelle également que le langage a pour vocation de faire de l’homme un animal sociable, capable d’échanger avec ses semblables, et dépendant d’autrui. Dès lors, l’homme doit faire de sa parole un outil pour bâtir et enrichir ses relations sociales.

Lorsque Moché énonce cette législation relative aux vœux, il l’introduit en précisant « Voici la parole que D.ieu a ordonnée ». De même, notre Haftara commence par l’exhortation faite aux Enfants d’Israël d’écouter le « Davar » de D.ieu, la parole divine. Ces expressions renvoient à l’idée d’une parole forte, claire, limpide mais aussi éminemment constructive dans son objet. Ce sont là, les principales qualités que nous devons rechercher dans l’usage que nous faisons de la parole.  

Puisse Hachem nous aider à raffiner notre parole, à en faire un outil de construction pour développer des relations d’affection et de sollicitude au sein de notre peuple. En devenant ainsi des orfèvres de la parole, nous serons en mesure de développer cet amour gratuit entre les Enfants d’Israël, « Ahavat 'Hinam », auquel nous appelle notre tradition afin de permettre la reconstruction du Temple.