Il y a quelques années, ma femme et moi étions dans un remarquable supermarché. Il était plus grand que notre supermarché local, et contenait les mêmes sections que toutes les autres grandes surfaces : viande, poulet, poisson, fruits et légumes, plats cuisinés, articles d'épicerie, articles congelés, etc. La particularité de ce supermarché est que tout y est sous supervision rabbinique. Il y avait un rayon plein de vitamines Cachères. On y trouvait même un Mikvé pour tremper les ustensiles, si bien que si l'on achetait un nouvel ustensile nécessitant une immersion, il était possible de l'effectuer sur place.
Alors que je me trouvais dans cet immense magasin contenant une variété infinie de nourriture Cachère, de journaux juifs, de vitamines Cachères et même un jeu, le Monseyopoly (version juive du Monopoly), je me fis la réflexion que nous vivions une époque qui n'a jamais été aussi confortable pour les Juifs pratiquants.
Chaque aspect de la vie juive est devenu plus facile, plus confortable et exigeant moins de sacrifice. Nous avons des Souccot prêtes à l'emploi, des sets de quatre espèces préemballées pour Souccot. Nous achetons des sets de bougies et de Ménorot préemballées pour 'Hanouka. D'innombrables recettes traditionnelles de Pessa'h ont été remplacées par des Bagels, des céréales et des crêpes Cachères Lepessa'h. Nous achetons dix morceaux de pain déjà étiquetés pour la Bédikat 'Hamets.
Artscroll a révolutionné l'étude de la Torah, en proposant à un large public des textes autrefois réservés à une élite. Nous avons divers restaurants Cachères, une application pour nous aider à trouver des Miniyanim proches de notre location. Nous avons des horloges de Chabbath, des lampes et des réveils de Chabbath. D'une certaine manière, notre attachement à Hachem requiert moins de sacrifice, moins de compromis et moins d'efforts que jamais.
Il ne s'agit pas uniquement de commodités Halakhiques, il est simplement plus facile d'évoluer dans le monde aujourd'hui que jamais. Vous souvenez-vous du « Carrousel du progrès » de Disney ? C'était une exposition mettant en avant des inventions technologiques incroyablement innovantes, telles que des frigos et des fours programmables, des commandes vocales, les vidéoconférences, et des jeux vidéo incroyables. Je me souviens de les avoir observés lorsque j'étais enfant et de m'être émerveillé de cette créativité, peinant à croire que ces inventions verraient le jour.
Nous utilisons actuellement l'application Face Time avec des connaissances du monde entier, programmons nos maisons intelligentes, et certains se reposent déjà sur les voitures autonomes. Ce monde de plus en plus confortable, du point de vue du judaïsme et de la technologie, nous place progressivement dans une situation d'inconfort. Même aujourd'hui, lorsqu'une pandémie globale nous a forcés à nous adapter, nous nous sommes habitués aux retransmissions sur Zoom, depuis les cours de Torah, aux réunions du conseil d'administration, jusqu'aux réunions de parents, au point de nous faire réfléchir à notre désir de revenir à ces rendez-vous en face à face. Nous nous attendons à ce que tout soit facile, compatible, agréable et confortable.
Pour être honnête, je suis inquiet pour notre génération, une génération particulièrement privilégiée, sera-t-elle capable de se dévouer corps et âme ? Je tiens à préciser que tous ces progrès ne sont pas répréhensibles. Nous devons profiter de l'abondance d'options destinées à nous faciliter la vie en tant que Juifs pratiquants et membres bénis du 21ème siècle.
Mais que se passe-t-il lorsque nous nous retrouvons dans une situation inconfortable ou incompatible ? Avons-nous la force de persévérer, de surmonter les obstacles, d'endurer les épreuves ?
À Roch Hachana, nous utilisons une corne de bélier comme Chofar. Le Choul'han 'Aroukh (516) écrit : « Il est préférable que le Chofar de Roch Hachana soit fait à partir d'un bélier… mais tous les Chofarot sont Cachères. » La Guémara (Roch Hachana 16) se demande : « Pourquoi sonnons-nous du Chofar spécifiquement avec une corne de bélier ? » Et de répondre : « D.ieu dit : Sonnez pour Moi avec un Chofar de bélier afin que Je me remémore la 'Akédat Its'hak (sacrifice d'Its'hak) et que Je considère que vous avez réalisé la 'Akéda devant Moi. »
Lorsque nous voulons persévérer et sortir vainqueur du jugement, lorsque nous voulons être dignes d'être inscrits et scellés pour une année de prospérité et de bénédiction, nous invoquons le récit de la 'Akéda. Nous lisons ce passage de la Torah à Roch Hachana, et c'est la raison pour laquelle nous utilisons le Chofar d'un bélier pendant les deux jours de fête : « Vayéhi A'har Hadévarim Haélé VéhaElokim Nissa Et Avraham, Vayomer Elav Avraham Vayomer Hinéni. Il arriva, après ces faits, que D.ieu éprouva Avraham. Il lui dit : "Avraham !" Il répondit : "me voici." »
Je voudrais suggérer que la 'Akéda et Roch Hachana sont liés, compte tenu de ce pouvoir de Hinéni, ce principe d'être mis à l'épreuve et de répondre à l'appel, que nous devons avoir à l'esprit lorsque nous nous préparons au jugement. Lorsque nous pensons à l'idée de couronner D.ieu comme notre Roi, nous devons réfléchir à ceci : avons-nous répondu à l'appel, tout comme Avraham ? Avons-nous été préparés à faire des sacrifices dans nos vies et nos modes de vie ? Avons-nous relevé les épreuves qui se sont présentées à nous et persévéré face à l'adversité, la tentation et la séduction que nous avons rencontrées ?
Certains sont mis à l'épreuve dans leur foi lors d'une crise qui affecte leur santé ou vivent une débâcle financière, un problème d'infertilité ou un mariage en péril. Certains sont éprouvés dans leur fidélité à l'optique de la Torah lorsqu'elle entre en conflit avec la culture et les valeurs occidentales. D'autres encore sont testés sur leur observance de lois juives incommodes ou incompréhensibles à leurs yeux. Certains sont testés sur leur fréquentation de la synagogue et d'autres sur leur conduite à la synagogue. D'autres sont testés sur leur déclaration d'impôts ou bien en surfant sur Internet. Bien entendu, alors que nous affrontons tous des épreuves chaque année, tout le monde sans exception a été affecté cette année par le coronavirus et ses conséquences.
Lorsque notre tour viendra, lorsque D.ieu nous mettra à l'épreuve, serons-nous assez intéressés et suffisamment forts pour déclarer Hinéni, je suis là, prêt à me sacrifier, à lutter, à faire des compromis, à abandonner et à me soumettre ? Ou pensons-nous que la vie doit être confortable, facile et commode, de sorte que lorsque nous sommes en présence d'un conflit, nous disparaissons, laissons tout tomber pour retrouver notre niveau antérieur de confort ?
Rav Moché Feinstein a déclaré un jour que nous ne devons pas dire à nos enfants : « Il est difficile d'être juif », mais nous devons leur dire : « C'est un plaisir d'être juif ». Il avait parfaitement raison. Nous devons montrer à nos enfants la beauté de notre tradition, la manière dont elle enrichit nos vies, apporte un sens profond et beaucoup de joie.
Mais ceci dit, admettons qu'il n'est pas toujours plaisant d'être un Juif. C'est parfois difficile. Lorsqu'il faut se lever tôt pour réciter les Séli'hot et que vous êtes épuisé, lorsque vous manquez une affaire en raison du Chabbath, lorsque vous êtes coincé quelque part sans aucune nourriture Cachère, lorsque la loi de la Torah ne correspond pas aux mœurs de l'époque, c'est difficile. Or, ce sont ces moments qui sont pour nous autant d'occasions de Hinéni. C'est l'occasion pour nous, à l'image d'Avraham, de dire : je ne suis pas présent pour le judaïsme aux moments où je le perçois comme plaisant et agréable, mais aussi lorsque c'est difficile et que cela constitue un défi et exige de moi des efforts : Hinéni : je suis là, je suis partant, je suis prêt.
La disposition à faire des compromis, à se sacrifier et à se soumettre est une part majeure de l'expérience religieuse. Nous aimons montrer comment le judaïsme et la Torah sont compatibles avec la science, avec nos valeurs libérales, avec le monde dans lequel nous vivons. Mais la religion n'est pas une affaire de compatibilité et de ce qui est commode pour nous de croire. La disposition à se soumettre est capitale. À Roch Hachana, nous couronnons Hachem, couronnons D.ieu comme notre Roi, et dans le même temps, c'est la Kabalat Or Malkhout Chamayim, l'acceptation du joug Divin, la soumission à la volonté et à la domination de notre Roi, même si cela requiert des sacrifices de notre part. Le jour du Jugement, nous couronnons D.ieu par nos paroles, mais nous ne couronnons D.ieu véritablement que chez nous, sur notre lieu de travail, notre salle de sport, nos loisirs, en résistant aux épreuves que nous rencontrons.
Dans une note célèbre de l'ouvrage Halakhic Man, Rabbi Soloveitchik écrit :
Cette idéologie populaire soutient que l'expérience religieuse est tranquille et bien organisée, tendre et délicate ; c'est un flot enchanté pour les âmes en peine et des eaux calmes pour les esprits troublés… cette idéologie est intrinsèquement fausse et trompeuse. La conscience religieuse dans l'expérience de l'homme, qui est profonde et élevée, pénètre au plus profond de lui et s'élève vers les sommets, et n'est pas si simple et confortable. Au contraire, elle est exceptionnellement complexe, rigoureuse et tortueuse.
Si nous avons recours au bélier pour invoquer la 'Akédat Its'hak, pourquoi utiliser spécifiquement la corne ? Si notre but est de rappeler à Hachem le sacrifice d'Its'hak, n'aurions-nous pas pu avoir recours à toute partie du bélier ? Pourquoi la corne spécifiquement ?
Nous pouvons répondre en nous appuyant sur une idée de Rabbi Méïr Shapiro, dans son ouvrage Imré Daat. Le verset dit qu'Avraham partit le premier jour et arriva à destination le troisième. Que se passa-t-il dans cet intervalle de temps? Le Midrach (Tan'houma, Vayéra 22) explique que lorsqu'Avraham partit pour sacrifier son fils, en chemin, le Satan prit une voix dissuasive, à plusieurs reprises, pour tenter de décourager Avraham de réaliser sa mission. Avraham persévéra à chaque fois et ignora la voix qui l'enjoignait de renoncer.
Lorsqu'il leva enfin la main pour frapper son fils, un ange lui prescrit de s'arrêter. Rabbi Shapiro se demande : comment Avraham a-t-il su que la voix de l'ange était authentique et légitime ? Comment savait-il qu'il ne s'agissait pas d'une dernière tentative du Satan ? Il répond en expliquant que d'après le texte, Avraham remarqua le bélier s'empêtrer dans les buissons. Lorsqu'il aperçut le bélier lutter, Avraham fut convaincu qu'il devait laisser tomber le couteau. Rav Shapiro dit : le mensonge et la tentation sont facilement à notre portée. La vérité et le sens se rattachent aux combats et aux efforts. Avraham remarqua la lutte du bélier après avoir entendu la voix de l'ange. Lorsqu'il vit cette lutte, il comprit qu'il était en présence de la vérité.
Nous utilisons peut-être la corne du bélier du fait que c'est elle qui fut empêtrée. Le bélier lutta pour s'échapper, mais ses cornes furent prises dans le buisson et il ne parvint pas à sortir. Le Chofar représente les défis et les combats. Il fut choisi du fait que Hachem chérit nos luttes. Il apprécie nos efforts et a beaucoup de considération pour chacun de nos moments de persévérance.
Il y a quelques années, je fus mis en contact avec une famille vivant sur une île des Caraïbes qui voulait se convertir au judaïsme. Ils étaient suivis par leur rabbin local et étudiaient studieusement avec un Rav en Israël. Je finis par les rencontrer en personne et visitai leur petite communauté juive locale. Quelques semaines plus tard, je reçus un e-mail de leur part.
Nous avons introduit beaucoup de changements dans notre vie afin de faire partie du peuple de Hachem. Ces changements n'ont pas été faciles, mais valables, d'autant plus lorsque nous aurons achevé le processus. Vous avez vu notre engagement, et avez exprimé votre admiration.
Notre désir d'achever ce processus ne vise pas uniquement à être définis comme des Juifs. Être juif est très difficile, cela demande du courage et du dévouement. Nous sommes prêts à faire des sacrifices et à poursuivre dans cette voie jusqu'au bout, et à cet effet, nous avons besoin de vous.
Lorsque nous accueillons un nouveau membre au sein du peuple juif, il est debout dans le Mikvé sur le point de subir une énorme transformation et nous lui posons une série de questions. L'une d'elles, nous dit la Guémara, est la suivante : savez-vous qu'il est vraiment difficile d'être Juif ? Savez-vous que respecter la Loi juive est complexe, que la nourriture Cachère et les écoles juives sont onéreuses, et que les antisémites veulent nous tuer ? Êtes-vous prêts à faire les sacrifices nécessaires pour devenir un Juif ? Lorsqu'un candidat répond par l'affirmative, nous sommes prêts à l'accueillir dans notre peuple.
Le Chofar du bélier nous pose ces mêmes questions. Répondons-nous à l'appel de la 'Akéda comme Avraham Avinou ? Pour l'année à venir, soyons prêts à retenir que la 'Avodat Hachem (service divin) se nomme 'Avoda (travail), du fait qu'elle nécessite du travail et des efforts.
Robert Browning, poète anglais du 19ème siècle, l'a bien exprimé en ces termes : « Lorsque le combat commence en lui-même, l'homme a de la valeur.» Conférons de la valeur à notre vie. Lorsque nous serons inévitablement appelés à nous battre sur le plan spirituel ou dans notre mode de vie, choisissons de répondre, alors que la date de ce grand jour de jugement approche : Hinéni, nous répondons présents à l'appel.
Rabbi Efrem Goldberg