Quelle est la motivation principale des candidats ? Quelle est la position de la Halakha concernant les couples mixtes ? Et le "après-conversion", comment ça se passe ?

Quelle est la motivation principale des personnes qui viennent se convertir ?

Les profils sont différents : certains se sentent attirés par le judaïsme car ils ont une origine juive du côté de leur père ; d’autres sont en couple avec une personne juive.

D’autres encore font cette démarche après une recherche intellectuelle, une étude personnelle consécutive à une recherche de sens.

Quel est le profil que vous rencontrez le plus fréquemment ?

Il est vrai qu’avec l’explosion des mariages mixtes dans la génération précédente, je vois beaucoup d’enfants issus de ces mariages se sentant plus proches du judaïsme.

Toutefois, de plus en plus de non-juifs se sentent en déphasage avec la culture du vide offerte dans le monde occidental, et cherchent donc une certaine spiritualité. Ils sont également nombreux.

Dans ce cas, pourquoi vont-ils plus vers le judaïsme que vers une autre religion ?

Lorsqu’on leur pose la question, la réponse est sensiblement la même : la Torah est "l’original", les autres religions monothéistes s’en sont inspirées. Il est donc plus logique de s’y intéresser.

Comment les Rabbanim réagissent-ils à une demande de conversion ?

Dans le livre de Ruth, Na’omi décourage ses belles-filles à trois reprises lorsqu’elles émettent le désir de se convertir. Bien que le Midrach apprenne de là que les tribunaux rabbiniques doivent en faire de même (Midrach Rabba Ruth 2, 16), cette condition n’est pas retenue en pratique dans le Choul’han ‘Aroukh. Toutefois, il y est exigé de vérifier la motivation et la sincérité des personnes entamant cette démarche (cf. Yoré Dé’a 268, 2 et Michnat Haguèr, Hilkhot Guérim 1, 2 et 1, 23-24).

En pratique, il est important de responsabiliser sur les enjeux d’une conversion. Une fois converti, il n’est plus possible de revenir en arrière (Yoré Dé’a 268, 12). Il s’agit davantage de responsabiliser que de repousser. D’ailleurs, lorsqu’on lit le livre de Ruth, on remarque que Na’omi parle toujours avec bienveillance à ses belles-filles.

En ce qui concerne les couples mixtes, quelle est la position de la Halakha concernant la conversion du conjoint non-juif ?

La règle est que ces conversions ne sont pas acceptées à priori (cf. le Ba’h sur Yoré Dé’a 268, 4). Toutefois, il peut y avoir des exceptions dans certains cas particuliers, notamment lorsqu’il apparaît aux yeux du Beth-Din que la conversion de la conjointe non-juive permettra une véritable Téchouva du conjoint juif (Yabi’aOmer 8, YoréDé’a 24).

Dans un tel cas, les Rabbanim responsables de la conversion exigent du conjoint juif une véritable implication dans la démarche de sa conjointe. Malgré tout, cela doit rester exceptionnel, car rappelons-le : un Juif doit se marier avec une Juive ! C’est pourquoi en pratique, la majorité de ces demandes ne sont pas acceptées dans les Baté-Dinim sérieux, notamment en raison du manque d’implication du conjoint juif.

Qu’en est-il des personnes nées de père juif ? Est-il plus facile pour elles de se convertir ?

Le Choul’han ‘Aroukh n’effectue aucune distinction entre la conversion des personnes de père juif et les autres. Néanmoins, certains décisionnaires minoritaires pensent qu’il y a une Mitsva supplémentaire de les rattacher au peuple d’Israël ; cette opinion étant sujet à controverse (cf. Michnat Haguèr, Hilkhot Guérim 1, 38 et 79, p.707-708). En pratique, il est vrai que leur motivation est assez claire, et l’enquête rabbinique à ce propos est donc moins approfondie. Cependant, il ne suffit pas de vouloir "être juif", il faut accepter sur soi le joug des Mitsvot. Il convient donc d’expliquer à toutes ces personnes qui se sentent déjà juives, que la conversion implique de respecter pleinement la Halakha.

En plus de l’identité "culturelle" qu’ils ont déjà en partie, ils doivent acquérir une identité "halakhique".

D’un côté, il est donc plus facile pour eux de se convertir car ils ont déjà en eux une part de l’identité juive. D’un autre côté, cela peut s’avérer plus difficile si la motivation est de ressembler à l’entourage juif non-pratiquant.

Il y a la conversion, et il y a également le "après". Or on entend souvent parler de personnes qui arrêtent de pratiquer quelques mois ou quelques années plus tard. Confirmez-vous ce phénomène, et comment l’expliquer ?

Les Richonim remarquaient déjà ce phénomène à leur époque (cf. Tosfot sur Kidouchin 70b). Il est réel et s’explique notamment par le statut extrêmement fragile du converti. Rappelons qu’il y a une Mitsva importante d’aimer les convertis, et une autre de ne pas les blesser. C’est-à-dire que celui qui cause du tort à un converti transgresse deux interdits : l’un car il l’a blessé en tant que Juif, et l’autre en tant que converti ! Lorsqu’on vient d’une famille juive, et à fortiori d’une famille pratiquante, il y a un entourage qui peut nous soutenir en cas de baisse spirituelle. Celui qui se convertit n’a pas cette chance. On peut dire qu’il évolue "sans filet". Une fois qu’il disparaît de la communauté, il peut se perdre totalement. C’est pourquoi le phénomène que vous mentionnez doit aussi être nuancé : lorsqu’on se convertit dans un milieu religieux et que l’on est bien intégré, il y a plus de chances de rester pratiquant. En outre, il faut toujours rester en contact avec son Rav, qui saura conseiller et être présent dans les moments de doute (Cf. Avot 1, 16). La réussite du "après" en dépend beaucoup.

Quels conseils donner à une personne souhaitant se convertir ?

Il faut prendre conscience que l’acceptation des Mitsvot est un engagement sur le long terme, concernant la vie dans ce monde ci, mais également dans le monde futur. Si l’on ne se pense pas capable d’assumer les exigences de la Halakha, il reste possible de rester proche d’Hachem en accomplissant les sept lois de Noa’h.

Si l'on se décide finalement à accepter pleinement la Torah et à intégrer le peuple juif, il faut s’attacher aux bonnes personnes, notamment en ce qui concerne les Rabbanim. Bien entendu, cela exclut les conversions libérales (et assimilées) qui n’ont aucune valeur dans la Halakha (Iguérot Moché 1, 160 et 2, 127). Ceci-dit, il faut également faire très attention et bien se renseigner car certains Baté-Dinim s’annonçant "orthodoxes" procèdent aussi à des conversions qui ne sont pas reconnues… D’où l’importance d’être bien guidé dans sa démarche.

Pour conclure, pouvez-vous nous faire part d’une ou deux anecdotes particulières que vous avez vécues dans votre mission d’accompagnement à la conversion ?

Honnêtement, il y en a tellement qu’il serait quasiment possible d’écrire un troisième tome de mon livre sur la conversion au judaïsme ! Je vais vous en partager deux, très différentes, et étant intervenues à différentes périodes :

La première concerne une jeune femme s’étant convertie il y a plusieurs années. À l’époque, j’étais chargé de donner des cours au sein du Consistoire de Nice et de la région, mais je n’étais pas encore impliqué dans les décisions du Beth-Din local. Cette jeune femme métisse avait connu le judaïsme… au Club-Med !

Elle y partageait la table d’une famille juive et avait fait le Kiddouch avec eux. Inutile de vous préciser que rien n’était Cachère et que le Chabbath n’était sûrement pas respecté. Pourtant, elle a eu à partir de ce moment-là une sorte de déclic, et a décidé de se convertir. Avec mon épouse, qui suit avec moi les jeunes femmes en conversion, nous étions assez dubitatifs sur sa motivation.

Après quelques mois de cours, il y eut un mariage dans la communauté que je dirigeais alors, et cette jeune femme y était invitée. Mon épouse me fit la remarque que sa tenue n’était pas Tsni’out, ce qui rajouta à nos doutes quant à sa démarche. Toutefois, avec le temps, nous avons commencé à constater un changement chez elle. Les tenues devenaient naturellement plus décentes, et une véritable Émouna commençait à éclore.

Au bout de quelques mois encore, cette jeune-femme a finalement été convertie. Aujourd’hui, elle habite à Jérusalem dans un quartier religieux, mariée avec des enfants, une véritable Echet ‘Haïl avec une grande crainte du Ciel. On pourrait nommer cette anecdote : "Du club-Med à la Torah" !

La seconde anecdote est bien connue des responsables de Torah-Box, et elle est aussi incroyable que la première : j’ai été contacté il y a environ deux ans par Torah-Box afin de conseiller une famille désirant se convertir et vivant au Brésil. J’y ai découvert une mère célibataire vivant avec ses deux fils adolescents… "comme des Juifs".

Francophones, ils suivaient régulièrement tous les cours possibles sur la plateforme de Torah-Box et lorsque j’ai commencé avec eux un programme de cours, je me suis aperçu qu’ils avaient atteint de cette manière un niveau de connaissances incroyable.

Mais surtout, toute la famille est ensuite venue à Nice, et les impressions à distance se sont confirmées : les jeunes hommes portaient Péot et chapeaux et tous les trois avaient une grande Yirat Chamaïm ainsi que des Middot incroyables. Nous avons donc pu procéder à leur conversion il y a quelques mois. Aujourd’hui les fils étudient à la Yéchiva à Jérusalem et leur mère attend de les rejoindre. J’ai eu la grande surprise de les revoir en vidéo dans un clip paru il y a quelques semaines sur Torah-Box, et on sent à quel point leur Néchama était déjà prête à rejoindre le monde de la Torah depuis très longtemps.

Auteur des livres "Une identité juive en devenir, la conversion au judaïsme" (tomes I & II), Accompagnement & conseils pour la conversion : [email protected] / www.gueroute.fr