On demanda un jour, à mon petit-fils de cinq ans, Yéhouda, à son retour d’un camp de vacances : « Comment se passa la journée ? », ce à quoi il répondit : « Assez bien ».

Il est plus intelligent que la plupart des adultes.

L’un des secrets pour vivre une vie heureuse est de reconnaître et d’apprécier les choses qui sont « assez bien », et l’un des principaux maux qui tourmente l’homme, les familles, les communautés, et la plus grande partie des civilisations est la rebuffade des choses que l’on n’accepte pas de qualifier de « assez bien » pour la simple raison qu’elles ne sont pas « parfaites » — ce qui corrobore exactement le dicton de Voltaire : « Le mieux est l’ennemi du bien ».Notre société nous pousse à nous focaliser sur l’aspect négatif que l’on trouve chez l’autre, ce qui nous empêche d’apprécier ce qui n’est pas parfait. On se suffit souvent du « assez bien » en politique, mais il est aussi recommandé d’adopter cette approche au niveau personnel.Combien de mariages sont détruits parce que l’un des conjoints décide de se concentrer sur ce qui manque (même une chose minime) plutôt que d’apprécier ce qu’il y a ? Le manque de reconnaissance vis-à-vis de ce qui est « assez bien » est l’une des principales causes de la crise de la cinquantaine. Les gens ne se rendent pas compte à quel point leur vie était heureuse et ils la laissent filer – jusqu’à ce qu’ils découvrent que ce qui leur paraissait séduisant a en réalité les mêmes défauts (voire pires).

Pour citer à nouveau Voltaire (cet antisémite) : « Le paradis sur terre c’est l’endroit où je me trouve ». Il y a une part de vérité dans cat adage : chacun peut créer son propre idéal – à l’instant présent, l’endroit présent, avec ses proches et sa communauté. Rêver d’une herbe plus verte ailleurs signifie souvent négliger le trésor que l’on a devant soi.

Les enfants souffrent souvent des attentes excessives de leurs parents ou des tentatives de leurs parents de revivre leurs propres vies par procurations, aux dépens des autres. Certains enfants ne s’en remettent jamais et choisissent bêtement de vivre dans la colère, cherchant à se venger de leurs parents à travers des actes destructeurs, antisociaux (et assez ironiquement, cela confirme la piètre opinion que leurs parents ont d’eux).

D’autres prennent une voie toute différente ; le père de Winston Churchill, quand celui-ci était jeune adulte, lui raconta qu’il avait été une « déception constante » dans tous les domaines de sa vie. Lord Randolph Churchill mourut relativement jeune et Churchill se résolut à prouver à son père – qu’il admirait – que ce dernier avait tort. C’est ce qu’il fit, mais la démarche de Churchill est probablement moins courante chez les jeunes d’aujourd’hui.

Les enfants ont aussi le droit d’être « assez bien », de commettre quelques erreurs et de s’en grandir. Personne n’est parfait, alors pourquoi s’affliger de petits défauts ?

La vie est plus agréable quand on adopte l’attitude du « assez bien ». Les vacances sont plus sympathiques, les repas au restaurant ont meilleur goût, et même les discours du rabbin deviennent plus acceptables. Le fait de chercher la petite bête – ce que l’on n’a pas dit, ce qui n’était pas parfait, les défauts de chacun – est déprimant.

J’ai remarqué que même les critiques littéraires les plus favorables trouveront à redire – police trop petite, index trop bref, tel événement rapporté à la mauvaise date – comme pour dire : « C’est un très bon livre, mais ne pensez surtout pas qu’il est parfait. Voici ce qui ne va pas… » Bien entendu, personne ne supposerait que quelque chose est parfait et toutes ces critiques futiles ne font que donner une image négative du relecteur (tout en prouvant qu’il a bel et bien lu le livre).

Plusieurs critiques du sensationnel Siyoum Daf HaYomi qui eut lieu au New Jersey furent touchées de la sorte, à blâmer sans cesse tel orateur, tel invité — négligeant ainsi l’essentiel : la célébration, par près de 100 000 Juifs réunis, d’une étude de la Thora commune à tous les Juifs, un témoignage poignant de ce qui occupe le plus d’importance chez le Juif, de ce qui fait notre particularité. Il est évident qu’aucun événement n’aurait pu satisfaire tout le monde ou même contenter pleinement une personne, mais ce qu’il y a eu était bien plus remarquable que ce qu’il manquait ! C’est ce qui aurait dû être rapporté et mis en valeur, si seulement nous n’étions pas habitués à rechercher les imperfections.

Certains peuvent avancer que la politique du « assez bien » revient à placer la médiocrité comme un desideratum dans la vie. Loin de là ! La médiocrité est un laisser-aller vers l’échec, tandis qu’une vie réellement vécue implique une aspiration au mieux, à une amélioration constante, même si l’on n’atteindra jamais la perfection. La vraie différence entre la qualité du « assez bien » et le vice de la médiocrité se trouve dans la façon dont on gère la phase intermédiaire. Dans le premier cas, on apprécie la situation actuelle et, même si l’on aspire à l’améliorer, on ne se répand pas en injures devant les défauts, quand bien même ils ne sont pas rectifiés. On garde le « parfait », comme idéal, mais on apprécie la réalité présente. Inversement, le médiocre n’idéalise pas le parfait et se contente de l’ordinaire ; il ne ressent pas le besoin de faire des efforts et minimise peut-être même l’importance de la réussite.

Au dernier rang se trouve la personne qui ne sait pas apprécier ce qu’elle a – ce qu’elle a reçu –, car elle est trop préoccupée par ce qu’elle n’a pas ou par ce que les autres ont. Pour elle, rien n’est « assez bien » et ce mécontentement est un fardeau que ses proches doivent péniblement supporter.

Parfois, les choses sont mauvaises et inacceptables et nécessitent des changements. Mais, en général, les choses sont « assez bien » et ne nécessitent qu’un peu de rafistolage ici ou là. Ce petit plus peut améliorer nos vies, mais ne doit pas nous faire déprécier (ni rejeter) les bienfaits qui nous sont accordés.

Le Créateur regarda Son monde à la fin de la création et déclara qu’il était « très bien » (Beréchit 1:31) — et non « parfait ». Il était certainement assez bien pour que l’homme relève le défi ; qu’il l’œuvre de D. et qu’il perfectionne le monde, génération après génération.

Ce doit être également notre paradigme dans la vie. Réaliser que ce qui est « assez bien » est en réalité « très bien » contribue en effet à rendre les gens plus heureux et les vies plus épanouissantes, tant au niveau individuel, familial, que dans les communautés dont le mot d’ordre est la gratitude pour tout ce que l’on reçoit.
 

Rav Steven Pruzansky