Comme chaque année, la Parachat Yitro revêt une solennité toute particulière dans la mesure où nous assistons à un évènement majeur de l’histoire du peuple juif : « Matan Torah » « le don de la Torah », et la transmission des fameuses « dix paroles » par D.ieu d’abord directement au peuple, puis par l’intermédiaire de Moché Rabbénou. Cette étape est, comme chacun sait, essentielle, dans la constitution du peuple juif et dans sa relation privilégiée avec D.ieu.
À travers cet évènement unique à l’échelle de l’histoire de l’humanité, la Révélation de D.ieu à un peuple entier, les enfants d’Israël vivent une élévation spirituelle très forte, qui a été rendue possible, comme le remarque Rachi, par l’harmonie exceptionnelle qui prévalait alors au sein du peuple :
À propos du verset « Israël y campa » (ch.19, v.2), Rachi commente ainsi « Comme un seul homme, d’un seul cœur [d’où l’emploi du singulier], tandis que les autres étapes ont eu lieu dans des récriminations et des querelles (Mékhilta) ».
Rachi s’appuie sur une modification grammaticale du texte pour livrer son interprétation. En effet, le verset est rédigé de la manière suivante : « Partis de Refidim, ils entrèrent dans le désert de Sinaï et y campèrent, Israël y campa en face de la montagne ». Le texte commence donc au pluriel puis passe au singulier. Rachi en déduit donc que les oppositions qui pouvaient apparaître au sein du peuple auparavant avaient cessé à la veille de recevoir la Torah et désormais le peuple vibrait à l’unisson “comme un seul homme d’un seul cœur”. L’unité semble donc être la condition préalable au don de la Torah, sa condition de possibilité. Et c’est précisément grâce à cette harmonie que les enfants d’Israël se sont montrés dignes de recevoir la Torah.
Il s’agit d’une leçon fondamentale qui nous est donnée et qui mérite d’être profondément méditée car, même si elle peut paraître évidente, la nature humaine a parfois tendance à l’oublier. Il faut reconnaître que le Yétser Hara’ donne à l’homme beaucoup d’ « arguments » pour, D.ieu préserve, créer de la dissension et opposer les hommes, les uns aux autres. Notre tradition nous rapporte que même les élèves de Rabbi 'Akiva, dont l’élévation spirituelle était très forte et nous échappe, à leur niveau, « ne se témoignaient pas assez de respect les uns vis-à-vis des autres » (Yévamot 62b).
Aussi, nul n’est exempt de ce risque, et parvenir à vivre dans la concorde avec autrui est probablement le travail permanent de toute une vie et doit être l’objet de nos prières, car il faut beaucoup d’aide du ciel pour avoir la lucidité nécessaire pour éviter les écueils des conflits.
Pour y parvenir, il faut également essayer de ressentir au plus profond de soi, les paroles de nos Sages qui nous disent qu’aux yeux d’Hachem, le peuple juif est semblable à Ses enfants ; et de la même manière qu’un père ne souhaite pas voir ses enfants se disputer, de la même manière D.ieu ne souhaite pas voir le peuple juif en dissension. Là-encore, il faut s’efforcer de ne pas comprendre seulement intellectuellement ces paroles de nos Sages mais de les ressentir avec notre cœur. Nous devons percevoir le peuple juif comme une seule famille, un seul être dont l’harmonie collective profite à chacun.
Voilà pourquoi, la relation à autrui est une partie intégrante de notre 'Avodat Hachem (service), et ce n’est pas un hasard si les 10 paroles que nous allons relire ce Chabbath se divisent en une moitié concernant notre relation à D.ieu et une autre moitié concernant notre relation aux hommes. Il s’agit d’une invitation à comprendre que la meilleure manière d’incarner la Torah c’est non seulement la pratique des Mitsvot mais aussi la rectitude, et la bonté vis-à-vis des hommes.
C’est ainsi que la Torah accorde une importance capitale au fait de « juger son prochain favorablement » « Lékaf Zékhout ». Nos Sages nous disent qu’il s’agit d’une Mitsva dont le salaire est immense, à la fois dans ce monde et dans le monde futur, et qui permet à l’homme qui « juge favorablement son prochain » d’être jugé à son tour favorablement par D.ieu.
Finalement, il faut voir dans le visage d’autrui le visage de son frère, au sens propre du terme, même si nous n’avons pas le sentiment que lui-même nous perçoive comme son frère et là commence peut-être la difficulté. En effet, face à des personnalités que nous percevons comme « difficiles », nous nous sentons parfois dispensés d’être vertueux. Or, notre véritable « 'Avodat Hachem » « service divin » commence précisément dans de telles situations où nous agissons avec un esprit de concorde uniquement pour respecter la volonté de D.ieu.
Cela n’est bien sûr facile pour personne, sauf pour quelques êtres d’élite dont il faut s’inspirer, mais il ne faut avoir aucun doute que tout effort dans cette direction amène l’homme à une élévation considérable.
Rappelons-nous à ce sujet les mots du Talmud (Traité Chabat, 88b) : « Ceux qu’on insulte et qui n’insultent pas, qui entendent leur honte et ne répondent pas, qui agissent par amour et sont heureux dans leur malheur, le verset dit à leur propos « Mais ceux qui L’aiment seront semblables au soleil qui avance dans sa gloire ».
Effectivement celui qui arrive à se défaire des rivalités humaines, pour ne percevoir dans la relation à autrui que ce que D.ieu attend de lui, celui-là atteint non seulement un apaisement de l’âme et de l’esprit prodigieux, mais aussi et surtout une très forte proximité avec Hachem. À l’image du soleil, il diffuse autour de lui une lumière profonde, sur laquelle le Yétser Hara’ n’a pas de prise, et qui participe à l’harmonie du monde.
Puissions-nous avec l’aide d’Hachem nous renforcer dans la Ahavat Israël, la capacité à juger l’autre favorablement, afin de nous élever collectivement auprès du Maître du monde, et mériter la venue du Machia’h rapidement de nos jours.