Parmi les différentes thématiques évoquées par la Paracha de cette semaine, les affections dénommées « Tsara’at » méritent une attention particulière dans le cadre de notre étude sur la Ahavat Israël. La « Tsara’at » est généralement traduite en français par le terme de « lèpre » (même s’il s’agit d’une pathologie différente de celle que l’on désigne ainsi dans le langage courant). Cette forme d’impureté n’est pas une maladie physique, elle est l’expression d’une faute morale. À cet égard, nous remarquons que son thérapeute n’est pas le médecin mais le grand prêtre, et dès lors que l’individu se sera repenti de sa faute, il pourra guérir.
La faute commise par les personnes atteintes de lèpre consistait généralement à avoir prononcé des mauvaises paroles, du « Lachon Hara’ », sur leur prochain. Or, une des conséquences de la médisance est notamment de générer de la discorde entre les hommes, de les séparer et les éloigner. L’objectif de l’affection qui atteignait les personnes atteintes de lèpre était de les amener au repentir en les incitant à prendre conscience de la gravité de leur faute et des conséquences qu’elle génère. Voilà pourquoi, le lépreux devait être éloigné des camps où résidaient les enfants d’Israël afin qu’il vive lui-même l’éloignement qu’il a contribué à semer dans le peuple. C’est ce qu’indique notamment Rachi dans le commentaire suivant :
Solitaire, il demeurera : les autres personnes impures ne doivent pas résider avec lui. Nos maîtres ont enseigné : quelle différence sépare le Tsarou'a des autres personnes atteintes par une impureté, pour qu’il lui faille demeurer dans l’isolement ? C’est parce qu’il a « séparé » par la médisance le mari de sa femme, et l’homme de son prochain. Aussi devra-t-il être « séparé » lui aussi (‘Arkhin 16b).
Cette explication de Rachi illustre à nouveau le principe de « mesure pour mesure » qui traverse de nombreux commandements de la Torah : l’homme est puni à l’image de la faute qu’il a commise. Ici, la personne qui faute, subit en quelque sorte une double peine : d’une part, elle est déclarée impure et d’autre part, elle est éloignée du camp et doit vivre dans l’isolement, ce qui n’est pas requis dans les autres formes d’impureté. Cela souligne la gravité de sa faute, et donc l’importance du langage.
De manière générale, la Torah insiste sur la nécessité de préserver l’harmonie dans le peuple Juif ; nos Sages nous rappellent que nous devons nous sentir coresponsables les uns des autres, de même nous devons déployer toute l’énergie possible pour nous témoigner mutuellement du « 'Hessed », des actes de bonté, de sollicitude afin de renforcer l’amour dans le peuple Juif. Le Talmud (Traité Makot) propose même de résumer les 613 commandements en 2 principes fondamentaux : « aimer la bonté et pratiquer la justice ». Dès lors, l’attention prêtée aux mots que l’on emploie et aux discours que l’on tient sur nos prochains est essentielle pour préserver cette harmonie au sein du peuple juif.
Mais il y a plus, et c’est là tout l’enjeu du langage, sa grandeur et l’importance de ne pas se compromettre avec de la médisance. La parole que l’homme prononce est immatérielle, elle est semblable à un souffle et elle trouve son origine précisément dans le souffle divin insufflé dans l’homme par D.ieu lors de sa création. Ce souffle a fait de l’homme une « âme vivante », il lui a donné la vie en même temps que la parole comme nous l’enseignent les Sages. La parole est donc un cadeau qui nous vient directement de D.ieu et qui a vocation à créer du lien entre les hommes. Dès lors, utiliser la parole pour faire de la médisance, D.ieu nous en préserve, c’est détourner la vocation de l’homme, et mépriser le cadeau que D.ieu nous a fait.
Il faut s’efforcer de considérer la parole comme un souffle saint, et mettre toute son intelligence pour préserver cette sainteté. Un premier axe de travail consiste à porter une attention particulière aux propos que l’on tient sur autrui en s’efforçant de ne pas relayer, D.ieu nous en préserve, des paroles péjoratives, dégradantes, ou méprisantes sur son prochain (même si elle sont vraies ! Mentir est encore pire et relève de la calomnie « Motsi Chem Ra’ »). Seul un but constructif (que l’on ne peut pas atteindre autrement) peut autoriser, sous certaines conditions à vérifier auprès d’un Rav, à déroger à l’interdit général du Lachon Hara’.
Un deuxième axe de travail sur la parole consiste à raffiner sa manière de parler, les mots que l’on emploie, les expressions que l’on utilise, afin de transmettre les paroles les plus douces, les plus belles, les plus inspirantes. Notre tradition invite ainsi chacun d’entre nous à devenir un « orfèvre des mots ».
À quelques jours de la fête de Pessa’h, nous pouvons souligner que ce n’est pas un hasard si le traité du Talmud dédié à la fête de Pessa'h s’ouvre sur une longue réflexion sur le choix des mots que l’on emploie. Nos Sages nous enseignent ainsi que « l’homme ne doit jamais sortir de sa bouche des propos grossiers », ou simplement connotés négativement. Ils nous encouragent à recourir à des périphrases, si nécessaire, pour ne pas employer de termes négatifs.
Et, de fait, l’importance du langage est intimement liée à la fête de Pessa'h, qui peut être décomposée comme « Pé-sa’h » « la bouche parle ». L’enjeu de la fête de Pessa'h est précisément de faire de la parole, du récit, du questionnement à l’intérieur des familles, le vecteur de la transmission et d’un rapprochement avec Hachem. En outre, comme nous l’enseigne le Midrach Raba, l'un des mérites qui a valu aux enfants d’Israël la chance d’être libérés de l’esclavage est précisément de ne pas avoir dit de Lachon Hara'.
En cette année troublée pour le peuple d’Israël, les mots des maîtres du Talmud prennent une intensité particulière : « De même que nous avons été libérés d’Égypte en Nissan, de même, nous serons libérés en Nissan » avec la venue du Machiah’.
Alors méditons, avec l’aide d’Hachem, ces enseignements de la Paracha Tazria sur la nécessité de raffiner sa parole, afin que grâce à chacun, nous puissions contribuer à hâter la délivrance de notre peuple.