Mes chers amis, nous traversons actuellement une période curieuse.
Même si nous pensons que la vie reprend, n'oublions pas l'appréhension qui nous hante d'une deuxième vague de propagation, mais pensons surtout à celles et ceux pour qui ces mois ont marqué un tournant décisif dans leur vie.
Je pense aux enfants qui ont perdu un parent, aux hommes ou femmes qui se retrouvent sans leur conjoint, aux élèves qui pleurent leur maître, etc.
La vie semblait sûre et l'épidémie nous a mis face à sa fragilité.
À toutes ces personnes qui ont été particulièrement touchées par la peine, à tous ceux qui se posent les questions, les mêmes questions :
- Comment D.ieu nous prive de notre conjoint ? Notre père ? Notre maître ?
- Il était en parfaite santé !
- Il était si jeune !
- C'était un Tsadik !
- Ça ne pouvait ni ne devait pas lui arriver à lui !
Parfois, ces questions cèdent la place à de la colère, de la révolte !
- Quelles conditions difficiles ont été ces jours d'hospitalisation !
- Impossible d'être à ses côtés, de lui réciter le Vidouy ou le Chéma' Israël !
- Juste lui, le père, le frère, le maître, l'exemple, le repère, le guide de la famille, de la communauté !
- La famille qui ne peut voyager en Israël pour l'enterrer !
- Les sept jours de deuil en solitaire, confinés et privés du soutien dont nous avions tant besoin dans ces instants !
- Où est la justice de D.ieu ? Sa bonté ?
Ces sentiments omniprésents, mêlés à la peine indescriptible, invivable, inhumaine nous empêchent de faire de l'ordre dans nos pensées, et d'y voir un peu plus clair.
Serait-il plus simple d'attendre que le temps passe et que la douleur s'estompe ? Nous savons bien que non ! Il existe des plaies qui ne cicatrisent jamais...
Alors, avec votre permission, j'aimerais vous faire partager quelques idées de consolation, mais aussi et surtout de soutien, de foi, qui, j'espère, apaiseront certaines de vos questions et effaceront de vos esprits les pensées inappropriées.
Le Talmud raconte que lorsque Moïse monta au ciel pour recevoir la Torah, D.ieu lui montra, tel un film qui défile sous ses yeux, les générations à venir, et les sages des temps futurs.
Lorsque Moïse vit le grand maître Rabbi Akiva, il questionna D.ieu : "Tu as un grand homme comme Rabbi Akiva, et c'est moi que Tu choisis pour donner la Torah à Tes enfants ?!"
Puis, les images continuent d'avancer et Moïse assiste à la mort future de Rabbi Akiva. Il a été l'un des dix martyrs sauvagement assassinés par l'armée romaine qui assiégeait Jérusalem. Il s'exclame d'un cri du cœur : "Est-ce cela la Torah, et est-ce cela la récompense méritée ?!"
Moïse a exprimé à haute voix les questions énumérées plus haut que l'on se pose tous aujourd'hui.
Nous apprenons de ce texte touchant que le juif a le droit de poser les questions, les plus dures soient-elles.
Il n'y a pas de honte à avoir des questions et à attendre des réponses.
Après la Shoah, n'avions-nous pas également des questions sur le sort de millions de juifs tués ? Sur le sort d'enfants innocents brûlés ? Sur le sort de communautés entières décimées ?
La question en elle-même n'est pas le problème.
Tout commence après la question.
Sachant que nulle réponse ne saura nous satisfaire, deux voies s'ouvrent à nous.
La bonne, c'est accepter que TOUT ne peut pas être compris. La mauvaise, c'est déduire, à D.ieu ne plaise, que le monde n'a pas de justice.
L'histoire raconte qu'un jour, le Ramban (Rabbi Moché Na'hmanide, grand sage du XIIIème siècle) a rendu visite à son élève malade. Le Rav dit à son élève : "Je te remets un Kamia entre les mains, grâce auquel toutes les portes d'en haut s'ouvriront à toi. J'ai de nombreuses questions concernant ma foi en D.ieu, sur Sa façon de conduire le monde, sur le sort qu'Il réserve à ceux qui Le suivent, etc. Je t'ordonne de poser toutes les questions et de me venir en rêve pour me dévoiler les réponses."
Le disciple accepte.
Après son décès, celui-ci apparaît en rêve à son maître et lui dit les mots suivants :
"J'ai fait ce que tu m'as dit. Le Kamia m'a effectivement ouvert toutes les portes. Et quand je suis arrivé au plus haut niveau, et que j'ai voulu poser toutes les questions, j'ai tout de suite et tout seul compris que dans le monde d'en haut, le 'Olam Haémèt, le Monde de Vérité, il n'y a plus de questions. Tout est clair et limpide."
Les questions sont donc légitimes, et ont le droit d'être posées, mais nous devons savoir deux choses. La première c'est que Moïse n'a pas été moins croyant après sa question. La seconde, c'est de se souvenir qu'il existe un monde, Le Monde de Vérité où les questions n'en sont plus.
A notre tour donc, de nous interroger sur les événements vécus, dont l'incompréhension n'a d'égale que la douleur occasionnée.
Mais la question ne peut pas et ne doit pas ébranler notre foi en D.ieu. Tel Moïse, continuons à croire en D.ieu et en la justice de Ses décrets, même si nous n'en cernons pas le sens. Dans le monde de Vérité, la question s'évanouit, le doute disparaît.
Le soir de Pessa'h, nous célébrons la sortie d'Égypte. Ce soir-là, les juifs devaient marquer les linteaux de leurs portes avec le sang du sacrifice pascal, et devaient s'enfermer dans leurs maisons.
Notre maître Rachi explique que lorsque l'ange destructeur fait rage dans un endroit, il ne fait pas la différence entre le Tsadik et le Racha', le juste ou l'impie.
Indiscutablement, l'épidémie qui s'est propagée ces derniers mois dans le monde entier a amené dans nos rues l'ange de la destruction. Comme au moment de la sortie d'Égypte, il fallait être confinés en sachant que des innocents, des justes même, risquaient le pire. Et ça n'a pas manqué. La mort a touché les meilleurs.
Mais nous devons nous souvenir que ceux qui nous ont quittés sont aujourd'hui dans le monde de Vérité.
Si nous pouvions les entendre, nos oreilles capteraient des mots de soutien, de foi, de croyance.
Ils nous diraient que, de leur point de vue, il n'y a pas de question. Et ils nous supplieraient d'ouvrir nos yeux et de voir, comme eux, la beauté du monde, même lorsque nous souffrons.
Lorsque le Temple était en flamme, les anges pleuraient, et D.ieu pleurait également.
Les anges ont demandé à D.ieu de cesser de pleurer, en Lui disant que ça n'est pas à Lui de verser des larmes, mais aux hommes, à la limite aux anges.
D.ieu a répondu : "Bémistarim Tivké nNafchi", "Je pleurerai donc en cachette, à l'abri des regards des anges".
Nos maîtres expliquent que les hommes et les anges pleurent pour ce qui n'est plus. Le Temple a été détruit, les souvenirs de ce qu'il représentait causent les pleurs des hommes et des anges.
Mais D.ieu, Lui, ne se lamente pas sur ce qui n'est plus, il redoute ce qui ne sera pas. Lui seul sait ce que veut dire un monde sans le Temple.
D.ieu va donc pleurer en cachette, c'est-à-dire là où se trouve la Vérité, là où nos regards humains n'ont pas d'accès.
Aujourd'hui aussi, sur la perte de nos proches nous pleurons et D.ieu pleure. Mais Lui pleure en cachette, car dans le monde de Vérité, Lui sait le vide spirituel, affectif, moral que laisse le défunt.
Et D.ieu se demande comment tant de valeurs, désormais absentes de notre monde, ne vont pas manquer ?
Le monde peut-il tenir sans la gentillesse, la piété, la générosité, la prière, la foi, et autant d'autres vertus disparues ?
La réponse est entre nos mains.
Par hommage pour ceux qui nous ont quittés, nous devons tenter de faire re-venir dans notre monde les valeurs qu'ils incarnaient.
Plus nous les imiterons, plus nous apaiserons le pleur de D.ieu, car un manque commencera à être comblé.
Et le temps, les énergies et les moyens que nous investirons à cette tâche insuffleront en chacun d'entre nous un nouveau souffle de vie qui nous manque tant en ce moment.
Si seulement nous arrivons à prendre le recul nécessaire, et à incarner à notre tour les valeurs, les vertus et les qualités de nos chers disparus, nous retrouverons les forces de continuer à vivre en les rendant heureux là où ils sont, à apaiser les pleurs de D.ieu, et à retrouver une raison de continuer à vivre.
Le Rav Sitruk zatsal racontait souvent l'histoire de cette malheureuse femme, veuve, qui vivait avec son fils unique, qui était toute sa vie.
Voilà qu'un jour, que D.ieu préserve, son fils meurt.
Elle se retrouve seule au monde sans plus rien qui la rattache à la vie.
Dans son désespoir, au moment d'enterrer son fils, cette maman aura une phrase pathétique, mais combien émouvante !
"D.ieu, dit-elle, jusqu'à aujourd'hui, tout l'amour que j'avais en moi était partagé moitié pour mon fils, et moitié pour Toi. Désormais, tout mon amour est pour Toi."
Que leur souvenir soit source de bénédiction, Amen.