Au-delà des problèmes proprement liés à la santé, ou aux difficultés économiques, le monde semble être tombé dans une sorte de dépression, d’inquiétude, ou plutôt d’insécurité devant un avenir imprévisible. Ce n’est pas l’aspect de la collectivité que l’on veut décrire ici, c’est l’angoisse de l’individu, qui ne sait comment orienter son existence personnelle.
Ce n’est pas qu’aux Etats-Unis ou en Angleterre mais dans d’autres pays aussi que des actes racistes sont stigmatisés, d’une part, et, par ailleurs, des violences dans les familles sont signalées ici et là, menant même à des meurtres. Il semble qu’il y ait une sorte de concomitance entre l'état sanitaire et l’état psychique de l’univers. Cela est peut-être très surprenant, mais il faut constater qu’un climat délétère s’est installé. Un journaliste facétieux avait un jour écrit, quand le nazisme commençait à s’étendre en Europe : « La machine ronde a perdu la boule ». Il semble bien que notre époque corresponde à cette boutade.
Les manifestations monstres comme celles qui se déroulent aux Etats-Unis sont un des indices de cette dégénérescence morale, mais il faut creuser davantage la source et les raisons de cette atmosphère qui risque de détruire la planète. Assurément, l’incertitude sanitaire en est un des éléments ; à cela s’ajoute la crainte du chômage, et cela se traduit beaucoup par la peur de l’Autre, de l’Etranger. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il apparaît que les peuples se recroquevillent sur eux-mêmes. D’une certaine façon, la globalisation semble en panne. C’est ici que notre génération, consciemment ou non, s’interroge, ou refuse de s’interroger, ce qui est pratiquement la même chose.
Ne nous berçons pas d’illusions ! Mais si nous réfléchissons, c’est une première constatation qui nous ouvre les yeux. Quand une idéologie s’imposait dans une société, l’individu était prêt à se sacrifier pour la faire partager : ce fut la religion, ce fut le nationalisme, ce fut le progressisme, le marxisme et toutes ces idéologies donnaient un but à l’homme. Seule, la religion qui relie l’homme à une réalité qui le dépasse avait encore des chances de perdurer, mais, ayant vidé le Ciel, notre contemporain n’a plus de repères. Certes, il y a encore des religions qui survivent aujourd’hui – mais, comme l’islam, elles alimentent souvent un fanatisme destructeur – mais elles ont généralement perdu leur force d’attraction. Alors, c’est le vide qui reste, et comme « la nature a horreur du vide », c’est l’ABSENCE d’attirance positive qui s’installe. Comme on le dit souvent, en disparaissant, la transcendance a effacé les repères. Apparaît ici l’instinct premier de l’homme : la violence ! On sait qu’un petit bébé qui voit apparaître dans son parc un autre bébé, qui lui prend son jouet, le frappe aussitôt. C’est une réaction immédiate, irréfléchie. C’est ce que dit le verset de Beréchit : « Le penchant du cœur de l’homme est mauvais dès l’enfance » (Beréchit 8, 21). L’humanité serait-elle revenue à l’âge du bébé, quand la violence est sa première pulsion ? Cela n’est pas impossible. D’ailleurs, malgré la globalisation, les conflits ne cessent guère sur la planète, mais la violence de l’individu, primitive, semble aujourd’hui malheureusement trop répandue.
La Torah est notre guide ; elle n’ignore pas les pulsions de l’individu, mais elle les oriente. Le texte des Tehillim nous conseille : « Irritez-vous, mais ne péchez pas. Réfléchissez bien, et soyez tranquilles » (Tehillim 4, 5). Les sages commentent ainsi ce verset : « Faites en sorte que le Yétser HaTov (le Penchant vers le bien) fasse violence au Yétser Ha-Ra (le Penchant vers le mal), et de cette façon, vous ne pécherez pas et vous serez tranquilles ». Cela signifie que l’irritation, la colère, est positive, quand elle tend à supprimer le mal. La violence, première pulsion de l’enfant, donc de l’être humain, orientée pour le bien doit être encouragée. Hélas ! la violence par nature tend à s’étendre, en particulier quand il n’y a pas de signalisation, et accepte les pulsions de l’individu. Peut-être est-ce l’un des enseignements de notre époque, de travailler à dominer nos pulsions premières, et au-delà de l’effort sanitaire, d’améliorer les relations humaines. Serait-ce là la leçon positive de cette pandémie qui s’attaque à l’humanité entière ?