La porte s’ouvre sur le visage excité de Yaël.
Elle s’approche de ’Haïm, son mari, qui est revenu depuis quelques minutes et « passe à l’attaque » :
« Tu ne vas pas croire, ce qui m’est arrivé aujourd’hui ! »
’Haïm soupire.
Encore une fois… Combien aurait-il souhaité, ne serait-ce qu’une demi-heure, pouvoir relâcher la tension de la journée et s’asseoir tranquillement sur son fauteuil moelleux ? Mais Yaël…
Elle ne me donne aucun instant de répit… Sur les dix mesures de parole, Yaël a dû en recevoir la totalité, à mon « grand » bonheur !
De nouveau, il est perdu dans ses pensées et n’a même pas entendu sa question… Elle pleure ! Que va-t-il se passer à présent ? Va-t-il devoir la consoler toute la soirée pour qu’elle retrouve sa sérénité ?
Elle vient de terminer son compte-rendu de toutes les péripéties qu’elle a vécues lors de sa sortie en ville.
Elle était persuadée que son mari serait enthousiaste, mais de nouveau, il a les yeux perdus dans le vague…
« Je ne l’intéresse pas. Pourquoi ne se soucie-t-il pas de moi ? » se demande-t-elle.
Elle a les larmes aux yeux. Mais elle se retient, il ne faut pas se laisser aller.
« Maman m’écoutait toujours avec le plus vif intérêt… » se remémore-t-elle.
Elle n’a jamais senti qu’elle pesait sur elle. Sa mère, au contraire, participait à ses conversations et désirait connaître ses aventures… Pourquoi éprouve-t-elle ce sentiment de malaise avec ’Haïm son mari, qui est censé la réconforter ?
***
Il ne comprend pas pourquoi est-ce si important qu’il sache qu’elle ait dû voyager en bus pendant quarante minutes pour faire un saut à la banque, ou un détour chez le cordonnier pour ensuite flâner dans un autre magasin…
Elle ne saisit pas pourquoi elle le dérange en lui racontant tout dans le menu détail.
Pourquoi est-ce si plaisant pour elle de rencontrer ses amies ?
Pourquoi ne veut-il pas être au courant de ma vie ?
Il aspire à un peu de silence.
Elle cherche une oreille attentive.
Cette situation conduit à beaucoup de souffrance et d’incompréhension pour tous les deux.
C’est un épisode parmi tant d’autres qui met en relief les différences fondamentales entre les femmes et les hommes.
Alors que l’homme donne le meilleur de lui-même lorsqu’il est au calme, seul, ce qui lui permet de rassembler ses idées, la femme a besoin « d’évacuer » et d’exprimer ses sentiments.
Lorsque la femme ne cesse de parler, l’homme se sent désemparé et las. Son épouse, qui ne le voit pas coopérer, s’énerve et se sent blessée au plus profond de son être.
Si Yaël et ’Haïm étaient conscients que ces caractères antinomiques sont les moyens qui permettent aux hommes et aux femmes de se réaliser, leurs rencontres prendraient une tout autre tournure.
Le « Sifté ’Haïm » (Middot 1, page 269) nous enseigne que « la parole est ce qui dévoile l’intériorité et la pensée de l’homme au vu et au su de tous. »
C’est la raison pour laquelle l’homme, qui étudie la Torah et qui se sert de son intelligence pour anticiper et analyser, parle peu et est par essence introverti.
La femme par contre, qui s’occupe davantage de l’aspect extérieur, qui construit sa maison, éduque les enfants et prie, a besoin de la parole.
La force de l’homme se mesure à sa capacité de se taire. Moins il s’exprime, plus il est avisé, car il se concentre sur les conclusions de sa propre réflexion.
C’est ce qu’explique le Rambam (Hilkhot Dé’ot 5,3) :
« L’homme devra garder le silence le plus possible et n’émettre que des paroles de sagesse ou juste ce qui est indispensable. Même pour ses nécessités physiques, il réduira sa parole, comme il est dit : Je n’ai rien trouvé de mieux pour le corps que le silence. »
En ce qui concerne la femme, nos Sages, de mémoire bénie, ont dit : « Les femmes se sont appropriées neuf mesures de parole. » Elles ne les ont pas « volées. » Cette quantité de « mots » est indispensable pour réaliser leur mission ici-bas.
Elles ont été dotées de ce côté sentimental pour fonder leur foyer, le remplir de vitalité et de joie de vivre. Et pour ce faire, la parole est nécessaire !
C’est la raison pour laquelle les femmes expriment leurs sentiments et racontent leurs expériences.
Leur âme se libère et elles éprouvent joie et légèreté ainsi que Chlomo Hamélèkh l’écrit (Proverbes 12,25) : « Le souci présent dans le cœur de l’homme devra être exprimé » et ce n’est que lorsqu’elles se sont soulagées, qu’il leur est aisé d’agir.
Il est insensé de lutter contre cette nature, car c’est ainsi que D.ieu nous a créées !
Si Yaël laissait à son mari les instants de répit qui lui sont si vitaux, ’Haïm se reposerait un peu et retrouverait des forces pour lui accorder toute l’attention qu’elle mérite.
