« C’est une maison bleue, adossée à la colline, on ne frappe pas, on y vient à pied, ceux qui vivent là, ont jeté la clef… »

Ainsi Maxime Le Forestier décrivait dans une de ses chansons le quartier Haight-Ashbury à San Francisco, qui accueillit le mouvement hippie dans les années 60. 

Le slogan de Peace and Love tiendra la route à peu près 15 ans, avec à son apogée le festival Woodstock en août 1969. Puis, comme la fumée de leurs pipes odorantes, comme les fleurs qu’ils tressaient dans leurs cheveux, le mouvement se fanera laissant la place aux années 80. 

Mais qui étaient ces hippies, que voulaient-ils, et surtout que ne voulaient-ils pas ? Sur quel terrain sociétal ont-ils poussé et pourquoi le mouvement a-t-il séduit à ce point la jeunesse juive qui comptait parmi ses organisateurs, ses leaders et ses adeptes ?

Un peu d’historique hip-hippie…

Ils fleurissent dans les années soixante, prenant le large de tout ce que la société américaine bien-pensante proposait : puritanisme, militarisme, conformisme et consumerism. Une partie des enfants de cette Amérique « comme il faut » sont rebelles. Nés du baby-boom, dans le confort d’une société qui croit en elle et en ses valeurs, ils font une crise d’adolescence. Leur insoumission va s’exprimer par une position contraire à tout ce en quoi croient leurs aînés et par un rejet épidermique de l’embourgeoisement matérialiste de papa-maman.

Le terreau géo-socio-politique qui fera éclore le mouvement est constitué de plusieurs éléments clefs. Le premier sera la guerre du Vietnam bien sûr. Les USA embourbés dans cette guérilla sanglante depuis 1955, assistent au rapatriement de leurs soldats mutilés dans leur corps et dans leur âme. La jungle vietnamienne, au propre et au figuré, a laissé l’Amérique toute puissante de Kennedy comme pétrifiée. 

Puis, il y a l’affaire Rosa Parks. Débutée comme un fait divers, elle explose en une revendication générale de stopper le racisme viscéral d’une certaine Amérique.

Rosa Parks, le 1er décembre 1955, refuse de céder sa place à un passager blanc dans le bus qu’elle prend à Montgomery. Elle est arrêtée et condamnée à une amende. Mais aidée par le jeune (et alors inconnu) pasteur Martin Luther King, une campagne de protestation est lancée et un boycott de la compagnie d’autobus va s’organiser. Finalement Rosa obtiendra gain de cause et la Cour Suprême cassera les lois ségrégationnistes dans les bus, les déclarant anticonstitutionnelles. Quelque chose se fissure dans l’american establishment que la jeunesse exprimera par un rejet de militarisme et de racisme.

Leurs cheveux longs sont la réponse à la coupe à ras des soldats Marines. Pattes d’éléphants et djellabas sont de mises, les colliers et les vêtements sont unisexes, on jette les barrières et on s’affranchit des codes établis pour les remplacer par un idéal de paix et d’amour du prochain… La religion bouddhiste est en vogue. Les arts et la musique, influencés par le courant hippie, en retour l’influencent : Dylan, Baez, Joplin sont les nouvelles égéries et dans leurs chansons se reflète cette quête de spiritualité et d’universalité.

Jeunesse juive : hippie ou yuppie ? 

Cette révolution contre-culturelle, qui se veut pacifique, d’amour et d’eau fraîche, n’épargnera pas la communauté juive. Beaucoup de ces jeunes sont les enfants d’immigrants d’Europe de l’Est qui ont grandi loin de la pratique du judaïsme mais pétris de ses valeurs. Ce mouvement réveille en eux un élan spirituel, l’espoir d’un monde plus vrai et de devenir autre chose  que le parfait « yuppie » (young/urban/professional, ou jeune cadre dynamique en français) qu’ils sont destinés à être. Vous avez dit révolution non violente ? Le juif s’enflamme. Vous avez dit « amour du prochain », « paix », « idéalisme » ? Ils sont les premiers à répondre à l'appel. Et en effet, le courant hippie est parsemé de noms juifs, Ginzburg, Rubin, Dylan (ex Zimmerman) qui lui donneront son souffle. Même le fermier qui louera son terrain aux 50 000 jeunes destinés à fouler le sol de Woodstock l’été 1969 est un juif du nom de Max Yasgur. 

En fin de compte, c'est un demi-million de hippies qui débarqueront sur ses terres, et le saccage lui coûtera cher puisque ses voisins lui intenteront un procès et l’endroit sera proclamé lieu sinistré. Mais Yasgur, pas moins idéaliste que les hippies, dira ne rien regretter…

Pas encore rassasié

Cette jeunesse juive en quête spirituelle et en mouvance se trouvera en fin de compte acculée à une impasse. Comme Yankele Shemesh, né à Brooklyn dans une famille non-pratiquante le raconte : 

« Enflammé par les idées du mouvement, je lisais énormément sur les religions et le bouddhisme, mais je ne trouvais pas vraiment ma place. Je savais tout sur tout sauf sur le judaïsme. Je faisais à l'époque un rêve récurrent, où un rabbin se tenait en face d’une immense bibliothèque de livres, et ce rêve m'interpellait. Cohérent avec moi-même, après une séance de méditation alors que j’habitais dans une commune à San Francisco, je suis sorti dans la rue pour chercher une synagogue et mettre les Tefilin. C’était avec ma Bar Mitsva, la seule chose dont je me souvenais de ma religion. Mon look était ce qu’il était et on m’a claqué la porte au nez plus d’une fois. Jusqu'à ce que je tombe sur un centre dirigé par le rav Chlomo Carlebach. Je ne savais rien de lui, ni qu’il était un Talmid ‘Hakham, qu’il avait été l’élève proche du Rav Aaron Kotler (je ne connaissais rien de tout cela à l'époque) mais ce que j’ai vu, c’était un homme d’une chaleur inimaginable, qui embrassait chaque nouveau venu et lui donnait sa place. Au bout d’une rue de San Francisco, il s’était installé pour récupérer les âmes perdues de ’Am Israël. Son centre était un radeau voguant dans cette mer de liberté, de permissivité qu’étaient les années soixante. Beaucoup de jeunes ont retrouvé là-bas leurs racines et sont aujourd’hui des juifs pratiquants. »  

Les polémiques qui ont émergé plus tard concernant Reb Carlebach ne sont pas notre propos. Mais il est impossible de ne pas souligner qu’il fut l’homme providentiel qui a repêché les âmes des hippies, au bon endroit et au bon moment. 

Crépuscule

Le mouvement hippie a décliné, en implosant de l’intérieur, car manquant de toutes structures. On ne fait pas une société avec du vent et la spiritualité a besoin de récipients solides pour perdurer : une lumière, aussi forte soit-elle, doit être canalisée par un système viable. Les hippies perdirent leur crédibilité même à leurs propres yeux, particulièrement suite à l'affaire Manson. Sorte de gourou hippie, il assassina a Los Angeles la femme du metteur en scène Roman Polanski, enceinte de 8 mois. Puis les Hells Angels qui devaient assurer la sécurité d’un concert des Stones en 1969 poignardèrent un fan. Qu'en était-il advenu du Peace and Love ? Des personnalités phares comme Hendrix, Morrison et Joplin, addicts aux drogues dures, décédèrent les unes après les autres. 

La décennie d’après allait entraîner dans son sillage une toute autre atmosphère : la musique planante et psychédélique sera remplacée par un rock-punk agressif, le matérialisme et l’opportunisme supplanteront la naïveté des idéaux d’alors. On retrouvera d’anciens hippies reconvertis en hommes d’affaires a la tête de multinationales comme Apple (Steve Jobs et Jerry Rubin entre autres). Une comédie musicale sur les hippies, Hair, tiendra l’affiche 4 ans et remplira les caisses des capitalistes (oh ! ironie du sort) puis sera adaptée au cinéma. L’Amérique rangée et bien coiffée viendra voir de quoi elle avait l’air 20 ans plus tôt... 

Laissons le dernier mot au chanteur Avraham Rosenblum, qui raconte que ses pérégrinations hippiesques le menèrent jusqu'à Jérusalem et au Kotel. « Là-bas un Rav m’a aidé à mettre les Tefilin (que je n’avais pas mis depuis ma Bar Mitsva) et on m’a invité à une ‘Alya à la Torah. Lorsqu’on m’a demandé de lire les bénédictions, j'ai dit à haute voix la seule chose que je savais : Chéma’ Israël… » se rappelle Avraham en souriant. 

« Mon cheminement spirituel avait abouti. J’étais rentré à la maison. J’ai intégré la Yéchivat Hatefoutsot de Rav Goldstein, j’ai posé mes bagages car j’avais trouvé ce que je cherchais depuis toujours : un idéal de spiritualité réalisable dans ce monde. 

Le Judaïsme tient la route depuis 3 millénaires sans se démentir parce que les idéaux de paix, fraternité et amour du prochain sont canalisés dans une vie saine et structurée. Et cette gageure ne peut tenir que parce qu’elle est l’émanation du Divin. »