« A vouloir trop se protéger, on se fait mal. » Ce proverbe, inventé de toute pièce pour les besoins de cet article, traduit une réalité pourtant bien connue. Celles de nos défenses psychologiques. Formées suite à nos traumatismes ou à notre mimétisme social, nos mécanismes de défense psychologique ont pour mission de nous protéger des agressions extérieures, préservant ainsi notre estime de nous-même et notre moral. Mais si certains de nos défenseurs sont salutaires, d’autres sont incommodes et nous mettent dans des positions délicates vis-à-vis de nous-même et de notre entourage.
La Torah nous révèle que les gens peuvent être victimes de leurs propres défenses psychologiques qui, une fois installées, s’activent aveuglément sans le moindre discernement. Passons en revue quelques-uns de nos mécanismes de défense psychologique et nous nous rendrons compte que sans une attention soutenue de notre personnalité, nous risquons de nous mentir.
Le transfert de responsabilité
Un de nos mécanismes de défense les plus ancrés est sans doute le fait de rejeter la responsabilité de ses actes sur autrui. On le retrouve dès l’enfance, lorsque le papa gronde son fils pour une bêtise qu’il a commise, et que l’enfant lui réponde : « ce n’est pas moi, c’est Jonathan qui a fait ça ! », ou cet adolescent, une fois dans le bureau du directeur pour répondre de ses actes violents, se défende ainsi : « c’est lui qui m’a frappé en premier ! ». Cette attitude ne disparait pas non plus avec l’âge, et les hommes justifient de tous temps leurs travers en faisant porter leur responsabilité sur les autres : « Je bois parce que ma femme me critique », « je suis nerveuse parce que mon patron ne me considère pas à ma juste valeur ». Ce mécanisme de défense consiste à s’exonérer d’une faute commise en lui trouvant un coupable autre que soi-même. Ainsi, la responsabilité de la personne n’est plus mise en cause, c’est le syndrome du : « je n’ai rien à me reprocher ».
Les premiers à avoir usé de ce mécanisme de défense n’étaient autre qu’Adam et Eve, le premier couple. Après avoir commis la faute originelle, D.ieu les réprimanda : « Cet arbre dont je t'avais défendu de manger, tu en as donc mangé? » (Genèse 3, 11). La réponse de l’homme fut ce mécanisme de défense, un transfert de responsabilité… sur sa femme. Il dit « La femme - que tu m'as associée - c'est elle qui m'a donné du fruit de l'arbre, et j'ai mangé ». Eve en fit de même, lorsqu’elle déclara pour sa défense « Le serpent m'a entraînée, et j'ai mangé » (Ibid. 13). Toujours la faute des autres…
Le danger dans ce genre d’attitude est de ne jamais corriger ses torts. Il y a toujours quelqu’un à qui faire porter le chapeau, à quoi bon donc chercher l’amélioration de ses actes ?
La projection
Un autre de nos mécanismes de défense est la projection, comme l’appelait Freud. La projection consiste à prêter aux autres les motivations cachées qu’on se refuse d’admettre. C’est cette impression que nous avons vis-à-vis de celui que nous n’aimons pas, on se dit qu’il ne nous aime pas non plus. Un moyen de ne pas être le coupable de ce désamour « mutuel ». C’est aussi ce sentiment d’agacement que nous avons vis-à-vis de certains défauts chez les autres. La Guémara (Kidouchine 70) nous révèle qu’en réalité, nous ne faisons que remarquer chez l’autre ces mêmes traits de caractères qui nous dérangent, nos propres défauts. Le fait de les haïr chez l’autre nous fait croire que nous n’en sommes pas victimes…
Ce mécanisme de projection comme système de défense est déjà mentionné dans la Torah. Lorsque Moïse fit le bilan de toutes les pérégrinations du peuple, il rappela au peuple ses plaintes et leur expliqua le sens profond de leurs intentions inconscientes. « Et vous murmurâtes dans vos tentes et vous dîtes : "C'est par haine pour nous que l'Éternel nous a fait sortir de l'Egypte ! C'est pour nous livrer au pouvoir de l'Amorréen, pour nous anéantir ! » Rachi explique au nom du Sifri que Moïse leur déclara : « Il vous aimait, mais vous l’avez haï ! Comme c’est l’habitude lorsque tu éprouves un sentiment envers quelqu’un, tu le lui attribues envers toi. »
Mais ce mécanisme est également porteur d’un salut, puisqu’en inversant le sens de la projection, nous pourrions tirer profit de ce sur quoi nous sommes attentifs chez l’autre, en l'occurrence nos propres défauts. Le Baal Chem Tov disait à ce propos que « le monde ressemble à un miroir. Dans la mesure où l’homme ne voit pas ses fautes, D.ieu a fait en sorte qu’il puisse les voir chez les autres. Les défauts que vous constaterez chez les autres sont aussi les vôtres. » (Ohev Israël, Likoutim) Prêtons attention à nos critiques sur les autres, nous y découvrirons nos propres faiblesses.
La rationalisation
La rationalisation consiste à justifier ses actes par des raisonnements logiques même s’ils s’avéreraient erronés, au lieu de les justifier par de vraies raisons. La personne n’assume pas ses agissements, qu’elle sait au fond d’elle-même être en désaccord avec l’éthique et la morale. Mais, refusant toutefois d’en endosser la responsabilité, elle s’inventera des raisonnements logiques qui justifieraient sa conduite. La rationalisation est aussi un moyen de justifier son autosatisfaction et sa permissivité. C’est en réalité un procédé d’aveuglement de soi.
La Torah met en lumière ce procédé mental lorsqu’elle nous révèle les raisons profondes qui ont conduit Kora’h à se quereller avec Moïse notre maître. « Kora’h, fils de Yiçhar, fils de Kehath, fils de Lévi, forma un parti avec Dathan et Abirâm, fils d'Elïab, et One, fils de Péleth, descendants de Ruben. Ils s'avancèrent devant Moïse avec deux cent cinquante des enfants d'Israël, princes de la communauté… » (Nombres 16, 1-2) Rachi rapporte au nom du Midrach (Tan’houma) les raisons « logiques » qui ont poussé Kora’h à agir de la sorte. « Il s’est dit (Kora’h) : ‘Mon père et ses frères étaient au nombre de quatre (Amram, Yitshar, ‘Hevron et Ouziel). Les fils d’Amram, qui était l’ainé, ont recueilli deux dignités, la royauté et le pontificat. Qui aurait dû obtenir la deuxième place ? N’est-ce pas moi, qui suis le fils de Yitshar, le deuxième fils après Amram ? Je vais m’opposer à lui et faire invalider ce qu’il a dit ! »
Mais Kora’h ne se suffit pas uniquement de ce raisonnement pour défier Moché. Le Midrach (ibid) rapporte que sa vision de l’avenir l’induit en erreur. Il a vu dans sa descendance le prophète Chmouel , présenté comme équivalent à lui seul au niveau de Moché et Aaron réuni (Traité Bérakhot, page 31). Il se dit alors : “se peut-il que toute cette grandeur descende de moi et que je me taise ?”
Ce sont donc des motifs apparemment logiques qui ont entraîné Kora’h à former une mutinerie autour de Moché et d’Aaron. Pourtant, la Torah nous dit qu’au fond, Kora’h n’avait qu’une seule idée en tête : le pouvoir.
Ce mécanisme psychologique subtil se retrouve parfois même chez des gens qui tenteront de justifier leur manquement vis-à-vis de la Halakha par toute sorte de « Moré Eter » (permissions) qu’ils inventeront par des raisonnements logiques pour expliquer pourquoi, « d’après la Halakha » et l’éthique juive, leurs agissements sont « permis ». Le Ram’hal disait à propos de ces gens : « Une personne indolente est capable de fournir des différents prétextes pour justifier son manque de pratique et peut citer des autorités pour étayer sa position. Elle ne se rend pas compte qu’elle déforme leurs propos car son apathie la rend inconsciente de ses erreurs. » (Messilat Yécharim, chapitre 4).
Pour endiguer ce mécanisme, il faut accepter la remise en question et être systématiquement à la recherche de la vérité, quel que soit son prix.
Le déni de la réalité
Nous connaissons tous des gens qui vivent dans le déni, nous-même parfois... Le déni est un mécanisme de défense psychologique qui vise essentiellement à protéger une personne d’un certain état de conscience qui lui serait trop douloureux à supporter. Ce mécanisme atténue la conscience de la réalité. Chez certaines personnes, cela peut se traduire par le fait de nier ses faiblesses, rien ne sert alors de les lui reprocher, la personne n’est pas consciente de ses défauts. Le déni peut également apparaître dans des situations comme la maladie ou la perte d’un être cher. La personne se garde alors, inconsciemment, de prendre la mesure de la gravité de la situation. Dès lors, l’impact émotionnel se fait lointain et reste purement théorique. Le déni est également occasionné par les instincts d’une personne, ses envies. Si les plaisirs se heurtent par exemple à des risques comme la consommation excessive d’alcool, la personne intéressée peut en arriver à nier les dangers pour justifier les besoins de sa consommation.
Par exemple, les toxicomanes, après les douloureuses « retombées » de leurs consommations, se jurent de ne plus toucher à une seule dose. Puis, quelques semaines plus tard, l’envie est si forte qu’ils tombent dans le déni des souffrances qu’ils avaient pourtant bien subies...
Nous trouvons dans la Torah un exemple de déni incité par l’égo, celui de Pharaon. Après que Moché lui ai démontré son pouvoir par le premier de ses prodiges - son bâton qu’il transforma en serpent -, Pharaon nia qu’il fut l’envoyé de D.ieu. Puis ce fut le sang qui coula à flot dans tout son pays, les grenouilles, les poux etc. Et bien que ses mages lui dirent que c’est là le « doigt de D.ieu ! », « Son cœur se renforça » (Exode 8, 15), au point où, même lorsque ses fidèles conseillers tentèrent de lui faire prendre conscience que son royaume courait à sa perte et l’avertirent : « Laisse partir ces hommes, qu'ils servent l'Éternel leur D.ieu : ignores-tu encore que l'Égypte est ruinée? » (Exode 10, 7), Pharaon resta plongé dans ce déni d’une réalité pourtant si évidente.
La Torah nous fait prendre conscience de tous ces dispositifs de défenses psychologiques en nous, afin que nous ayons le courage de regarder la vérité sans détours, en cessant de nier systématiquement nos défauts lorsqu’ils se présentent à nous. Ainsi, nous serons à même de corriger nos défauts et d’arrêter de faire subir à notre entourage notre mauvaise foi. Nous serons ainsi assuré d’avoir des relations saines avec notre entourage et avec nous-même…