Commençons par une petite histoire. Un Avrekh (étudiant en Torah) belge se débattait avec tout un tas de problèmes financiers. Le pauvre homme n’avait pour seule richesse que sa Torah et sa belle et grande famille. Son entourage ne cessait de lui répéter de quitter la maison d’étude afin de trouver un vrai travail et pourvoir aux besoins de son foyer. Mais, ce dernier s’était mis d’accord avec sa femme. Il n’abandonnerait la Torah pour rien au monde. Rabbi Ne’hounia Ben Hakana n’enseigne-t-il pas : « Celui qui prend sur lui le joug de la Torah, se trouve affranchi du joug de l’État et du joug du gagne-pain. » ? Notre courageux personnage décida donc de rester au Collel, à la maison d’étude, mais pas seulement. Le couple donna naissance à son treizième enfant, une véritable folie aux yeux de certains. Comment parviendraient-ils à nourrir une bouche de plus ? Quelques jours plus tard, la famille reçut l’appel d’un notaire. Il leur annonça qu’ils étaient les heureux bénéficiaires d’un héritage qui comprenait un bel appartement. Le couple interloqué demanda des explications au notaire. Ce dernier leur répondit que son regretté client avait décidé de céder l’ensemble de sa fortune à la plus grande famille de la ville.
Croire en D.ieu est une chose, Lui faire confiance en est une autre. Rabbénou Yona de Gérone compte pourtant le Bita’hon (la confiance en Hachem) comme une Mitsva. Il l’apprend des versets suivants (Deut. 7,17-18 ; 20, 1) : « Peut-être diras-tu en ton cœur : « Ces nations-là sont plus considérables que moi ; comment pourrai-je les déposséder ? Ne les crains point ! » « Quand tu t’avanceras contre tes ennemis pour leur livrer bataille, et que tu verras cavalerie et chariots de guerre, une armée supérieure à la tienne, n’en sois pas effrayé… » Selon lui, la Torah nous commande d’avoir toujours confiance en la délivrance face au danger. Rabbi Meir Simha Hacohen de Dvinsk l’apprend, quant à lui, du verset : « C’est l’Éternel, ton D.ieu, que tu dois révérer, c’est lui que tu dois servir ; attache-toi à Lui seul, ne jure que par son nom. » Nous devons nous attacher à la présence divine qui veille constamment sur nous et pourvoit au moindre de nos besoins.
Le Gaon de Vilna va bien plus loin et affirme que le Bita’hon est le but ultime du don de la Torah et des Mitsvot (Cf. Biour haGra, Michlé 22 ; 19). Le ‘Hazon Ich (Rav Avraham Yeshaya Karelitz) le rejoint en déclarant que le Bita’hon est indissociable du judaïsme (Cf. Emouna OuBita'hon, chap. 2). Mais le Bita’hon, c’est quoi au juste ? S’agit-il de la conviction que tout ira bien dans le meilleur des mondes ou juste que Hachem est la source de toute chose et de tous les évènements de notre vie ?
Le Hazon Ich et Rabbi Yossef-Yozel Horowits, surnommé par ses élèves le Saba de Novardok, s’opposent sur cette question. Le ‘Hazon Ich écrit qu’une erreur siège dans le cœur de beaucoup, au sujet du Bita’hon. Un grand nombre de gens s’imaginent en effet que le Bita'hon est la conviction que tout se passera bien. Or, seule la prophétie peut garantir le dénouement positif ou non d’une situation. Selon le Hazon Ich, ce n’est pas cela le Bita'hon. Mais le Bita'hon est la certitude que rien n’arrive par hasard, mais tout vient d’Hachem. Il est à l’origine de tout et dirige son monde à chaque instant. En fait, la Emouna (la croyance) est du domaine de la Halakha ou de la théorie, si l’on peut dire, tandis que le Bita'hon, c’est avoir de la Emouna dans la pratique. Lorsqu’on se trouve dans une situation difficile, on doit savoir qu’Hachem en est la source et qu’il peut nous en délivrer. C’est ça le Bita'hon. Les mots de Rabbenou Be’hayé Ibn Pekuda dans Hovot haLevavot semblent corroborer la définition du Hazon Ich. Il écrit en effet que le Bita'hon signifie la tranquillité (Ménou'hat Hanéfech). On compte totalement sur le fait qu’Hachem va faire ce qu'il y a de mieux pour nous. En d’autres termes, Hachem n’agit pas en fonction de nos désirs (ce que je veux !) ou de nos aspirations, mais en fonction de nos besoins réels.
En revanche, selon le Saba de Novardok, le Bita'hon implique non seulement la foi dans la bienveillance Divine, mais également la certitude qu’Hachem répondra à nos doléances quelles que soient les circonstances. Celui qui a vraiment confiance en Hachem verra ses prières exaucées. Hachem le prendra en charge et pourvoira aux moindres de ses besoins. On raconte que le Saba de Novardok s’était isolé dans une maison située au cœur de la forêt. Un soir, la bougie indispensable à son étude vint à s’éteindre. Le Saba conserva toute sa confiance en Hachem. Il resta assis dans l’obscurité dans l’attente d’un miracle. Un inconnu frappa alors à la porte et lui offrit une bougie. Le Saba de Novardok appuie son opinion sur un commentaire de Rachi (Ex. 15 ; 32). Ce dernier cite un Midrach dans lequel le prophète Jérémie harangue ses coreligionnaires. Il leur reproche d’abandonner l’étude de la Torah au profit de leur gagne-pain. Le peuple lui objecta : « si nous délaissons notre labeur pour la Torah, comment vivrons-nous ? » Jérémie sortit un flacon de manne et leur dit : « Regardez ! Vos ancêtres se sont nourris de cela. Étudiez la Torah et Hachem vous nourrira. Il a de nombreux émissaires pour s’occuper de ses adorateurs. » Selon le Saba de Novardok, le Bita'hon va bien plus loin que la simple foi que tout vient d’Hachem. Le Bita'hon c’est croire qu’ Hachem répondra aux attentes de ses sincères serviteurs. On raconte que le rav de Brisk, rav Isaac Zeev Soloveitchik, se trouvait à Varsovie durant la seconde guerre mondiale. Chaque jour, on lui apportait ses repas. Le 8 Tichri arriva et le Rav de Brisk pensa garder un peu de nourriture pour le 9 Tichri, jour durant lequel il y a une Mitsva de bien manger. Le lendemain, la personne responsable de ses repas lui apporta son plat. Il lui dit avoir préparé du poisson en l’honneur du 9 Tichri, mais qu’un bombardement gâcha le mets. Le rav de Brisk répondit que cela s’était produit à cause de son manque de confiance. Il n’aurait pas dû mettre de la nourriture de côté. Lorsque quelqu'un a un Bita'hon honnête et sincère, alors grâce à cela des miracles vont se produire pour lui.
Nous voilà donc avec deux définitions bien différentes, pour ne pas dire opposées, du Bita'hon. On fait quoi concrètement ?!
Il est évident que le Bita'hon du Saba de Novardok demande un certain niveau. Le commun des mortels ne peut pas s’amuser à se mettre en danger en criant : « Bita'hon ! » Néanmoins, Rabbi Ami enseigne (Menahot 29b) : « tout celui qui met sa confiance en Hachem mérite qu'Hachem le protège dans ce monde-ci et dans le monde futur. » Et le Maharal de Prague écrit : « Lorsque l'homme compte sur Hachem pour réussir et pas sur la finesse de ses actions, alors Hachem réalise sa demande. » Le Bita'hon est non seulement une conviction, mais également une force. Le Nétsiv affirme que la force du Bita'hon est plus élevée que la force des promesses qu’Hachem peut faire aux Tsadikim comme à Avraham, Its'hak et Yaacov. D’une part parce que la promesse ne se réalise pas toujours immédiatement et secondement parce que lorsqu’une faute est commise après la promesse il est possible que cette dernière s’annule. Comme l’a dit Yaacov : j’ai peur que mes fautes m’enlèvent ma protection Divine et me livrent entre les mains d’Essav. Or, la émouna dans la bonté infinie d’Hachem et le Bita'hon puissant que l’on renforce perpétuellement, lui, n’est jamais déçu, et ne tarit pas. Il convient donc d’utiliser cette force quel que soit son niveau comme il est écrit (Ps. 32 ; 10) : « Nombreux sont les maux qui menacent le méchant ; mais quiconque a confiance en l’Éternel se trouve environné de Sa grâce. » Rabbi Eliezer et Rabbi Tanhoum disent au nom de rabbi Yermiahou : « même le méchant, s’il a totalement confiance en Hachem, il bénéficiera de la grâce Divine. Le Bita'hon ne dépend pas de la probité, mais de l’intensité de la confiance en Hachem.
Que nous soyons tous environnés de la grâce d’Hachem.