La Paracha de Vayigach est un point de basculement à différents égards : Yossef se dévoile à ses frères, Ya'acov apprend que son fils Yossef est toujours vivant, la famille quitte Erets Israël pour s’installer en Égypte, Ya'acov et ses enfants sont à nouveau réunis etc.
Pour Ya'acov Avinou, l’annonce des retrouvailles avec son fils bien-aimé est un élément décisif pour sa vie spirituelle. En effet, depuis la disparition de son fils chéri, Ya'acov était empli d’une grande tristesse et d’un sentiment d’abattement qui faisaient obstacle à l’inspiration divine et au Roua'h Hakodech qui reposait sur lui jusqu’ici.
Notre texte nous dit que l’heureuse nouvelle de la bonne santé de Yossef a redonné vie à l’esprit du Patriarche et lui a permis de retrouver l’inspiration divine. Rachi note ainsi : L’esprit de Ya’acov revint à la vie (ch.45, 27) : La Chékhina, qui s’était retirée de lui (à cause de son état d’abattement), est revenue l’habiter.
Nos maîtres nous rappellent ainsi que la tristesse et l’abattement font obstacle de manière définitive à la prophétie, et à la spiritualité authentique telle qu’elle est souhaitée dans le judaïsme. C’est ce que l’on voit ici à propos de notre patriarche, ou encore au sujet de Moché Rabbénou, qui est resté longtemps abattu par la faute des explorateurs et ne pouvait plus prophétiser durant cette période (traité Ta'anit 30b).
Le Roua'h Hakodech, l’inspiration divine, l’esprit prophétique, ne peut reposer que sur un homme heureux, sur un esprit apaisé et joyeux. C’est ainsi que le prophète Elicha faisait venir près de lui des musiciens afin d’ouvrir son esprit, grâce à la joie et la félicité, à l’inspiration prophétique.
Pourtant, ce primat de la « joie » dans la vie spirituelle ne va pas toujours de soi dans la pensée occidentale. Et, il faut reconnaître que la figure du « philosophe » n’est pas souvent dépeinte comme celle d’un être gai et joyeux, mais bien souvent comme un penseur mélancolique percevant la complexité du monde, la finitude de la vie sur terre, et les limites de l’espérance humaine.
Il en va bien souvent de même de tous ceux qui portent une responsabilité collective, et qui semblent parfois ployer sous le joug de cette charge.
Il arrive même que la pensée commune porte un regard condescendant sur ceux qui s’obstinent à rechercher un bonheur simple, une vie heureuse et joyeuse sans se laisser pénétrer par les difficultés de l’existence. La vie, veut-on nous faire croire, serait autrement plus sérieuse que cela !
Là n’est pas le message du judaïsme ! Il s’agit d’une véritable révolution de la pensée dont il faut mesurer la portée. Elle fait de la joie non pas un expédient pour mieux supporter notre quotidien, une forme « d’opium du peuple », mais au contraire la condition d’accès sine qua non à toute compréhension profonde de l’existence.
Elle engage ainsi tous les hommes, et notamment ceux qui incarnent une responsabilité collective, (au sein de leur famille, de leurs amis, de leur communauté, ou encore dans le cadre de leur métier) de diffuser autour d’eux une vision positive de la vie et porteuse d’espoir.
La clef de la réussite dans toutes les dimensions de l’existence repose précisément sur cette capacité à ressentir dans son for intérieur une confiance fondamentale dans la Providence divine qui préside aux destinées de chaque homme, et de diffuser cette confiance autour de soi.
Pourquoi cette confiance est-elle si importante ? Pourquoi la tristesse est-elle spirituellement si délétère ?
La lecture du Rambam permet de pénétrer plus profondément dans les arcanes de la psyché humaine et d’identifier un éclairage lumineux sur cette question. Maïmonide nous explique ainsi que la tristesse et l’abattement font obstacle à la faculté imaginative de l’homme qui rend possible l’esprit prophétique transmis par D.ieu aux hommes (R. Munk). En effet, la tristesse et le désespoir ont des effets ravageurs dans la psychologie humaine dans la mesure où il s’agit de sentiments obsessionnels qui immobilisent l’ensemble de ses facultés mentales de l’homme, et l’empêchent notamment de se projeter sur l’avenir.
Or, précisément, la faculté imaginative, la capacité de l’homme à se projeter en avant, à imaginer un avenir meilleur est le principal moteur de l’ascension spirituelle telle qu’elle est souhaitée dans le judaïsme. Le Rav Sim'ha Zissel disait ainsi de manière très forte que « la différence entre le Tsadik et le Racha’ tient à l’imagination » (R. Sadin).
Ce qui caractérise le Tsadik tient précisément à sa capacité permanente d’imaginer un avenir plein de promesses, où il sera plus proche de D.ieu. Le Juste ne met pas de limites à ses progrès, mais il aborde la vie avec avidité, avec la volonté de progresser chaque jour davantage et de donner le meilleur de lui-même.
Cette faculté imaginative est une force vitale qui est rendue possible par une vision positive et heureuse de la vie. Ces sentiments ouvrent l’esprit de l’homme à l’ensemble des possibilités qu’offre la vie et ils lui permettent d’être constamment en mouvement. C’est là également le sens de cette exhortation fameuse de la Torah « Tu choisiras la vie ! ». L’homme est invité ainsi à s’efforcer de faire prévaloir au cours de son existence les choix porteurs d’avenir, d’espoir et de positivité. Or cette dynamique n’est pas toujours naturelle, elle demande un réel effort. Le philosophe Alain disait ainsi « le pessimisme est de nature, l’optimisme de combat ».
Ce combat, l’homme peut le gagner en gardant en tête qu’il n’est jamais seul, mais qu’il est accompagné par le Créateur du monde, qui recherche le bien de chaque homme, et aime chacun d’entre nous comme « son fils unique ». Cette pensée est de nature à donner à l’homme une confiance et une force suffisamment solides pour regarder toujours vers l’avant et lui permettre de se rapprocher chaque jour davantage de l’Éternel.
Ce qui est vrai au niveau individuel, l’est tout autant au niveau collectif. Seul un leader, porteur d’une vision positive de la vie et confiant dans l’avenir, est susceptible de diffuser autour de lui l’envie et la volonté de se dépasser et d’atteindre des objectifs ambitieux.
Les grands leaders, tout en assumant les responsabilités du présent, se caractérisent ainsi par leur capacité à indiquer un cap, à aplanir les difficultés et à porter sur la vie un regard optimiste, et à nourrir l’imaginaire et l’ambition de leurs proches. Ils sont alors en mesure d’inspirer tous ceux qui les suivent et de diffuser l’envie de donner le meilleur de soi.
Puissions-nous également avec l’aide d’Hachem cultiver cette vision optimiste et heureuse de la vie afin de trouver les meilleurs chemins pour diriger nos vies, inspirer positivement ceux qui nous entourent, et donner le meilleur de nous-mêmes !