« Et considère la perte [occasionnée par l’accomplissement] d’une Mitsva en regard de la rétribution (Skhar) [accordée pour son observance] et le gain occasionné par une faute en regard de la perte (Hefsed) [qu’elle te vaut]. »
Troisième partie
Les commentateurs[1]posent une question très élémentaire sur cette partie de la Michna. Elle semble nous demander de nous concentrer sur la récompense et la sanction comme mobile pour réaliser les Mitsvot et éviter de commettre des fautes. Or, dans une autre Michna dans Avot[2], Antigone Ich So'hot déclare : « Ne soyez pas semblables à des serviteurs qui servent leur Maître afin de recevoir une récompense, mais plutôt des serviteurs qui servent leur Maître sans chercher à être récompensé…» Cette Michna nous exhorte clairement à ne pas accomplir les Mitsvot en raison de la récompense qui nous attend, de les accomplir sans nous soucier de la rétribution qui nous revient.
Les commentateurs expliquent qu'il va de soi que la motivation idéale pour réaliser les Mitsvot ne consiste pas à désirer la récompense, mais plutôt à nous conformer à la volonté de Hachem. Or, parfois, le Yétser Hara (mauvais penchant) est si puissant que même si nous sommes animés de nobles intentions, cela ne nous empêche pas de succomber aux tentations. À de tels moments, la Michna nous explique que pour vaincre ces tentations, il faut intérioriser l'idée que la faute nous accordera un plaisir momentané, mais les préjudices à long terme de la faute dépassent de loin cette jouissance temporaire. De la même manière, lorsque le Yétser Hara glisse à quelqu'un qu'il sera perdant en accomplissant une Mitsva, le moyen de remporter l'argument consiste à se remémorer que les bénéfices à long-terme surpassent de loin les pertes à court terme.
Comme nous l'avons expliqué auparavant, il est très difficile de faire un tel calcul dans le feu de l'action. Le seul moyen pour y parvenir consiste à intérioriser cette idée en période de calme.
Nous pouvons suggérer une autre réponse à cette question en analysant de près le vocabulaire de deux Michnayot apparemment contradictoires. Lorsque la Michna précédente nous enjoint de ne pas servir Hachem afin de recevoir une récompense, elle a recours au terme de Prass pour désigner la récompense. Dans cette Michna, lorsqu'on nous demande de calculer la récompense d'une Mitsva, le terme employé est Skhar, que l'on traduit aussi par récompense. Or, visiblement, ces deux termes n'ont pas le même sens.
Pour mieux comprendre le terme Skhar, consultons une troisième Michna dans Avot. La Michna dit : Skhar Mitsva, Mitsva : le Skhar d'une Mitsva est une Mitsva ; une Mitsva conduit à une Mitsva. Que signifie la première partie de la clause : « Le salaire d'une Mitsva est une Mitsva » ? Ça ne peut pas vouloir dire qu'accomplir une Mitsva conduit à en accomplir une autre, car c'est le sens de la seconde phrase. Pour répondre à cette interrogation, il est d'abord nécessaire de comprendre le but de la réalisation des Mitsvot. La racine du terme Mitsva est Tsav, qui signifie en araméen « connexion » ; une Mitsva est donc un moyen de se connecter à Hachem. La conséquence naturelle de se connecter à Hachem est de se rapprocher de Hachem. Comme l'écrit l'auteur du Messilat Yécharim, le but de l'existence est de s'attacher à Hachem, car Hachem nous a créés afin de nous réjouir, et l'ultime forme de plaisir est la proximité avec Hachem.
La traduction plus précise du terme Prass est « prix.» Il s'agit d'une récompense arbitraire qui n'a aucun lien intrinsèque avec l'action. Lorsqu'un individu fait une Mitsva, il peut donner l'impression qu'en réalisant cette action, il recevra une forme de prix, soit dans ce monde-ci ou dans le Monde à venir, mais de toute façon, la récompense en question n'a pas de relation inhérente avec l'action qu'il a faite. Cela ressemble d'une certaine façon à gagner à la loterie, lorsque l'on gagne un prix en échange du billet.
En s'appuyant sur ce principe, la Michna de Skhar Mitsva Mitsva nous enseigne que le Skhar d'une Mitsva est la conséquence naturelle d'une action de connexion avec Hachem, le fait de nous rapprocher de Lui. Lorsqu'on fait une Mitsva, on peut soit avoir l'intention de se rapprocher de Hachem, avec tous les bénéfices correspondants, soit recevoir une forme de prix, que ce soit la réussite dans ce monde ou dans le suivant. Voici une bonne analogie de cette idée : un mari offre un cadeau à sa femme. On relève deux bénéfices possibles résultant de ce don. Premier cas de figure : elle est si contente de son geste qu'elle veut lui faire plaisir à son tour en lui préparant un dîner particulièrement exquis. Deuxième cas : même si elle ne lui rend rien concrètement, la relation s'est renforcée grâce à ce geste de connexion. De la même manière, lorsqu'un individu fait une Mitsva, il peut se focaliser sur un prix arbitraire ou méditer sur la récompense ultime qu'il obtiendra : la proximité avec Hachem.
Pour revenir à la question d'origine, faire une Mitsva afin de se rapprocher de Hachem n'est pas une attitude Bédiéved (a posteriori), alors que réaliser une Mitsva dans le but d'obtenir un prix n'est pas une forme idéale d'Avodat Hachem.
Retenons cette idée essentielle : le but principal de l'accomplissement des Mitsvot est de nous attacher à Hachem et non d'obtenir des récompenses arbitraires.
[1] Voir Abrabanel, Maharal et Sfat Emet.
[2]Avot, 1:3.