Avec les deux sections hebdomadaires qui seront lues conjointement cette semaine, nous nous apprêtons avec l’aide d’Hachem à achever la lecture du troisième livre de la Torah, celui du Lévitique. La lecture de ce livre est paradoxale car elle évoque à la fois des dispositions techniques relatives aux sacrifices dans les moindres détails, mais aussi des règles morales et relatives à la vie sociale très concrètes qui n’ont jamais cessé de s’appliquer dans le monde juif.
La Paracha de « Béhar » propose de très beaux développements sur l’idéal social porté par la tradition juive, et notamment la sollicitude que nous devons tous éprouver les uns envers les autres. C’est ainsi que la Torah consacre de merveilleux versets à l’aide que nous devons apporter lorsque l’on voit notre « frère » en danger.
« Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, fut-il étranger et nouveau venu, et qu'Il vive avec toi. N'accepte de sa part ni intérêt ni profit, mais crains ton Dieu, et que ton frère vive avec toi. Ne lui donne point ton argent à intérêt, ni tes aliments pour en tirer profit. Je suis l'Éternel votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d'Egypte pour vous donner celui de Canaan, pour devenir votre Dieu. » (Lévitique 25, 35-38).
Ces versets nous rappellent avec force l’idéal de justice sociale qui prévaut dans la Torah et qui invite l’homme à être particulièrement attentif aux besoins de son prochain. L’argent et la prospérité matérielle n’y sont pas appréhendés comme un moyen de valorisation personnelle, une source d’orgueil ou de fierté, mais simplement un moyen pour faire du bien autour de soi, venir en aide aux déshérités et corriger les inégalités inhérentes à la vie économique.
C’est ainsi que la sollicitude vis-à-vis du prochain est une dimension qui a façonné l’identité juive à travers l’histoire et qui permet bien souvent de mesurer les merveilles insoupçonnées qui se logent dans l’âme humaine. C’est au contact de l’autre que l’homme peut révéler sa propre nature et se découvrir lui-même.
A ce sujet, mentionnons cette histoire édifiante rapporté par la Rav Yaakov Galinksi au sujet d’un grand maître du judaïsme du vingtième siècle : Rav Gershon Liebman.
Alors qu’ils étaient tous deux réfugiés dans un camp après la guerre, Rav Liebman entreprit de créer une école pour enseigner aux plus jeunes et nourrir ainsi une vie spirituelle dans le camp. Rav Galinski avait été chargé de recruter les élèves et les enseignants de cette future école. Néanmoins, ces recherches suscitaient parfois de l’hostilité chez les autres réfugiés religieux qui voyaient l’organisation du camp sous un autre angle.
Aussi, il arriva qu’un autre réfugié représentant un autre groupe de réfugiés religieux interrogent d’un air méfiant Rav Galinksi sur sa démarche, et finit par lui demander « Mais qui vous missionne ainsi ? ». Rav Galinski lui répondit « Vous ne le connaissez pas, c’est Rav Gershon Liebman ».
Son interlocuteur lui répondit immédiatement « Dans ce cas, faites exactement ce qu’il a vous a dit ! ». Devant la surprise de Rav Galinski, son interlocuteur lui raconta l’histoire suivante.
Durant la guerre, Rav Liebman et lui-même étaient prisonniers dans un même camp de concentration. Les conditions de vie étaient d’une dureté extrême, et tout particulièrement le sentiment de faim harassant qui ne quittaient jamais les prisonniers. Certains, en désespoir de cause, en venaient même arracher la maigre portion de leurs co-détenus, mettant en danger leurs vies.
Un matin, un jeune homme, Avraham Rozolimsky, présent dans leur baraquement, était particulièrement faible et n’avait pas pu sortir récupérer sa ration. Les co-détenus avaient constaté avec pitié sa faiblesse et étaient sortis récupérés leur portion.
A leur retour, ils constatèrent que Rav Liebman avait non seulement reçu une tranche de pain, mais, en outre, un trésor pour l’époque : un bol de soupe. Puis ils l’observèrent s’assoir près d’Avraham Rozolimsky et commencer à lui donner à manger la soupe petit à petit. Progressivement, ils constatèrent que ses yeux gagnaient en vitalité. Après la soupe, Rav Liebman coupa son pain en petits morceaux et l’aida à les avaler. Après ce repas, Avraham Roozlimsy était parvenu à se redresser et à s’assoir. Il était à nouveau pleinement vivant.
L’ensemble du baraquement a alors réalisé ce qui venait de se passer : Rav Gershom Liebman avait donné sa ration de repas au jeune Avraham Rozolimsky.
Et ce réfugié de conclure : « Pour une personne comme ça, je ferai n’importe quoi ! ».
Cette histoire extraordinaire témoigne précisément des liens extraordinaires qui unissent chaque enfant d’Israël, et combien certains êtres d’exception sont prêts à donner d’eux-mêmes pour porter secours à leur prochain, même dans la plus grande adversité.
C’est là que se loge finalement la plus grande dignité de l’humanité, dans cette capacité à mettre entre parenthèses ses propres besoins pour se préoccuper de la dignité d’autrui.
Notons que notre Paracha ne parle pas d’ « autrui », elle parle de « ton frère », c’est-à-dire que l’amour que l’on ressent pour sa famille a vocation à s’étendre à l’ensemble du peuple juif. L’honneur et la dignité de chaque juif doivent nous être aussi chers que ceux de de notre propre frère. Car, ne l’oublions pas, nous sommes tous les enfants d’un même Père.