« Et il [Yaacov] envoya Yéhouda devant lui vers Yossef pour enseigner avant lui à Gochen. » (Béréchit 48,26)

Rachi rapporte le commentaire du Midrach Hagada : « Enseigner avant lui » signifie qu’il est venu avant pour établir une maison d’étude d’où sortiraient les enseignements.

Dans la Paracha, la Torah raconte que les Bné Israël quittèrent Erets Israël pour vivre en Égypte. Yaacov envoya Yéhouda avant lui pour préparer la voie, c’est-à-dire, d’après le Midrach, pour instaurer un Beth Talmud, une maison d’étude. C’est un précédent pour toute notre histoire ; la priorité d’une communauté juive doit être l’enseignement de la Torah. Mais il reste difficile de comprendre pourquoi ce fut précisément Yéhouda que l’on envoya pour établir le Beth Hatalmud. N’aurait-il pas été plus approprié de nommer Issakhar ou Lévi, étant donné qu’ils incarnent l’étude et l’enseignement de la Torah ?[1]

Pour répondre à cette question, analysons l’essence de Yéhouda, qui se retrouve dans son nom. Léa l’a appelé Yéhouda pour exprimer sa gratitude lors de la naissance de son quatrième fils. En effet, le nom Yéhouda a la même racine que le mot « Hodaa », remerciement. Rav Its’hak Hutner[2] précise qu’en vérité, Hodaa signifie aussi « reconnaissance » ou « admission ». Par exemple, le terme « Hodaat Baal Din » – l’aveu d’un plaideur – fait référence à l’admission de la revendication de son adversaire. Le Rav Hutner précise que les deux concepts – la gratitude et l’aveu – ont la même base. Lorsqu’une personne reconnaît qu’elle manque de quelque chose ou qu’elle a fait quelque chose de mal, cela l’amène à « admettre » son manque ou son erreur. Ainsi, une personne peut reconnaître quelqu’un d’un niveau supérieur, et donc se soumettre à son autorité, et elle peut admettre qu’elle a commis une erreur dans une certaine situation.

Cette forme de Hodaa indique une soumission à la vérité d’une chose, même s’il est gênant de reconnaître cette vérité. Yéhouda personnifiait cette reconnaissance de la vérité, en particulier lorsqu’il avoua son rôle dans l’incident avec Tamar, bien que cela lui causât un grand embarras et qu’il eût facilement pu garder le silence. 

Cette reconnaissance de la vérité est essentielle dans l’étude de la Torah, comme l’enseigne la Michna de Pirké Avot[3] (à savoir que l’une des caractéristiques du ’Hakham est d’être Modé Al Haémet, de reconnaître la vérité). En effet, cette qualité permet à la personne d’atteindre la vérité au lieu de rester focalisée sur la volonté d’avoir raison ou de « gagner » son débat avec son prochain. Rabbénou Yona explique : « Même s’il est suffisamment sage pour savoir comment répondre, par de nombreuses affirmations et des paroles intelligentes, et qu’il peut réfuter les affirmations de son prochain puisque [son prochain] n’est pas aussi sage que lui, il ne doit pas le faire s’il lui semble que la vérité est avec [son prochain]. Au contraire, il doit céder, renoncer à ses paroles et ne pas se soucier de la victoire. C’est honorable pour lui, car c’est une belle qualité. »[4]

Nous comprenons à présent pourquoi Yaacov envoya précisément Yéhouda pour fonder des institutions d’étude de la Torah. En guise de condition préalable à l’étude de la Torah, il est essentiel – avant tout autre objectif – de rechercher la vérité. Il était donc évident que Yéhouda – qui personnifiait au mieux cette qualité – fut la bonne personne pour construire la base de l’étude de la Torah en Égypte.

Les Guédolim du peuple juif excellaient dans cette reconnaissance de la vérité, parce que leur seul but dans leur étude et dans leur vie en général, était d’atteindre la vérité et non d’avoir « raison » ou d’être plus intelligent que leurs pairs. On connaît plusieurs histoires remarquables, racontant qu’ils ont cherché et atteint la vérité, même quand il fut prouvé qu’ils s’étaient trompés. Une fois, un groupe de personne vint consulter Rav Chakh à propos d’un cas un peu particulier. Au cours de la discussion, Rav Chakh voulut parler de la faillibilité de l’homme et raconta que parfois, pendant ses cours, des Ba’hourim posaient des questions qui réfutaient toute l’idée du cours. Rav Chakh raconta qu’il aurait pu, à ces moments, tenir à préserver son avis et trouver une échappatoire pour éviter la réfutation. Mais dès lors qu’il savait, au fond de lui, qu’il avait tort et que le Ba’hour en question avait raison, il admettait son erreur. Mais il ne lâchait pas prise par humilité. Au contraire, c’était par fierté qu’il admettait son erreur, car le plus grand honneur consiste à admettre la vérité. Rav Chakh mérita d’atteindre la vérité, parce que tel était son but ultime.

Une autre histoire, à propos de Rav Aharon Kotler, illustre également cette idée. Au cours d’un voyage en Erets Israël pour prendre des renseignements sur un Ba’hour brillant, qui devint finalement son gendre – Rav Dov Schwartzman–, Rav Kotler donna cours devant ce jeune homme, qui resta silencieux. La semaine suivante, Rav Kotler donna à nouveau un cours sur le même sujet, mais cette fois, Rav Schwartzman s’opposa fortement, prouvant que l’approche de Rav Kotler était incorrecte. Peu de temps après, le fils de Rav Kotler, Rav Chnéor, vit que son père était très bouleversé, presque accablé. Rav Kotler expliqua que ce n’était pas le génie du jeune homme qui le dérangeait ; au contraire, il considérait cela comme un grand cadeau d’Hachem. Ce qui le bouleversait tellement, c’était qu’il avait donné ce cours pendant 40 ans sans se rendre compte qu’il s’était trompé ; il avait oublié un commentaire du Rachba et avait mal interprété celui du Ritba. Rav Kotler n’était pas perturbé par le fait que quelqu’un soit plus intelligent que lui ou qu’il ait perdu dans la « bataille » de la Torah. Il fut brisé par la prise de conscience qu’il avait eu tort. Ceci est un véritable signe de grandeur.

Inutile de préciser que ces histoires parlent d’individus d’un niveau très élevé, mais elles nous indiquent la direction vers laquelle nous devrions nous efforcer d’aller. Nous risquons parfois d’avoir des arrière-pensées dans notre étude, de vouloir avoir « raison » ou être les « meilleurs », mais nous devons nous rappeler que le but ultime est d’atteindre la vérité. C’est pourquoi Yéhouda mit en place les maisons d’étude – pour nous enseigner que le fait d’être « Modé Al Haémet » est fondamental pour le succès dans la Torah, et dans la vie de manière générale.

 

[1] D’après le Tiféret Chlomo, Yéhouda fut le premier à assumer la responsabilité pour un autre au point d’être prêt à sacrifier sa propre vie. En effet, il promit à Yaacov qu’il protégerait Binyamin de tout danger en Égypte. Cet acte d’abnégation incroyable émanait du profond sentiment de responsabilité de Yéhouda envers les autres. C’est la raison pour laquelle Yaacov l’envoya pour ouvrir la maison d’étude ; il savait qu’il serait guidé par son sens de la responsabilité vis-à-vis de son frère juif.

[2] Pa’had Its’hak, ’Hannouka, 2,5.

[3] Pirké Avot, 5,7.

[4] Rabbénou Yona al Pirké Avot, 5:7.