La presse, citant les statistiques, annonce que chaque 15 ans, et particulièrement « sur la zone de la faille nord-anatolienne », la terre tremblera fort, c’est irrémédiable. En Israël, les médias parlent d’un séisme important dans la région chaque 100 ans. Une fatalité. D’ailleurs tout le monde a couru vérifier, d’Eilat à Kyriat Chmona, si leurs assurances couvraient bien tous les dégâts, tremblements de terre inclus.
Les habitants de la planète bleue s’accrochent aux données, aux graphes, aux diagrammes, aux infos, aux géologues, au bon vouloir des gouvernements et des entrepreneurs, qui, on l’espère, ont construit solide.
Comme nous sommes seuls.
Il va nous falloir casser beaucoup d’orgueil pour lever les yeux au Ciel.
Bourlinguer
Yoram Kaniuk, 1930-2013, né à Tel Aviv, touche à tout (voir Wikipédia), fait partie de ces vrais intellectuels israéliens, qui acculés, pressés contre le mur des évidences, osent la vérité. Même si elle contredit tout ce en quoi ils croyaient, tout ce pour quoi ils auraient donné leur vie, comme dans son cas, l’engagement au sein du Palma’h, fameuse unité de combat lors de la guerre d’Indépendance. Ils sont rares ceux pour qui rien n’est plus haut que l’intégrité intellectuelle, même au prix d’encenser ce qui est à l’extrême pôle de leurs convictions.
Kaniuk est un bourlingueur insatiable, comme celui que décrit Blaise Cendrars, qui des USA à l'Amérique du Sud, va expérimenter tout ce que les années 60 ont à offrir, de jazz, de Charlie Parker, de révolution culturelle et philosophique.
Il fait les 400 coups au Village, épouse à New York une femme non juive, et la ramène au pays. Il demandera, en tant que Juif non pratiquant (et ne souhaitant se convertir à aucune autre religion) qu’on inscrive sur sa pièce d’identité israélienne « sans religion », à la place du « Juif » apparaissant d’office. Il déclenche un tollé et un précédent. Eh oui ! Kaniuk avait compris qu’être juif, dans toute l’acceptation du terme, n’était pas une posture folklorique et facultative ; même vivre en Israël et se battre pour cette Terre ne suffisait pas : pour mériter le titre, il fallait montrer une appartenance à une foi ancestrale, dont émanait un réseau de lois précis à respecter. Ce qu’il ne faisait pas. Pas de demi-mesure chez l’écrivain. Le terme juif, il le comprend, doit avoir une résonance profonde dans le vécu. Notons quand même qu’aux yeux de la Halakha, ce fils prodigue restait malgré toutes ses tribulations, un fils d’Israël…
Yoram Kaniuk écrit un article, en août 2003, dans le journal Haaretz, son journal, celui des gens qui réfléchissent, après un terrible attentat qui avait principalement touché la population juive orthodoxe, “‘Harédit” en hébreu.
L’exactitude de la description révèle l’extrême bonne foi de l’écrivain, et sa sincère admiration devant la hauteur spirituelle de Juifs pratiquants, même lorsqu’ils sont éprouvés dans leur âme et leur chair.
Voici un extrait de son texte :
« Avec une noblesse dénuée de pathos, ils – les religieux – vivent dans un monde en dehors de l’Histoire. Les vérités du monde ne sont pas les leurs. Les Juifs religieux ne pensent pas que les « malheurs » leur arrivent comme ça, par hasard. Il y a un Patron, et le Patron sait ce qu’Il fait. Ils vivent dans un monde où le Saint-Béni-Soit-Il aime son peuple Israël, et ce qui arrive est de Sa Main. Le Créateur n’a pas besoin de s’expliquer : Ses Desseins sont insondables et le croyant Lui est relié et vit dans la Torah. Dans leur terrible douleur, et pourtant dans leur retenue, je ne peux que les envier, parce que mes Ancêtres étaient ainsi, comme eux. Nous, nous n’avons pas de D.ieu dans le ciel, notre vie est régie par des réalités terrestres. Nous sommes “Israël” et nous sommes la télé Sony, nous sommes la voiture que nous conduisons, nous sommes la culture universelle que nous consommons et qui est une partie de nous. Les religieux, eux, ne s’intéressent pas à Kant, Bach, Beethoven, ou à combien coûte une paire de Reebok. […] Lorsqu’un désastre les accable, ils ne cherchent pas des coupables. C’est dans les profondeurs de leur cœur et dans la prière qu’ils trouvent l’apaisement, et c’est un travail bien difficile… Je ne pensais pas qu’à 73 ans, j’écrirais un article faisant l’éloge des orthodoxes, qui vivent comme vivaient mon grand-père et ma grand-mère, qui prient et attendent le Machia'h ; mais les instants qui ont suivi l’attentat de Jérusalem, m’ont fait comprendre quelque chose dont je n’avais pas saisi jusque-là le sens. À l’heure où ils devraient crier vengeance, on se rend compte que ce mot tout simplement est absent de leur dictionnaire ! »
Kaniuk a si bien compris la verticalité du Juif. Tout se passe entre lui et son Créateur. Dans cette perspective en effet, il n’y a pas de vengeance, mais seulement une introspection.
Ramot 2023
Jérusalem, 20 ans après, est à nouveau le théâtre d'attentats sanglants. Et à nouveau, des Juifs sans chercher à déverser leur peine ou leur rage sur qui que ce soit, se recueillent et prient.
Comme cette jeune femme, Dvorah Paley, qui a perdu ses deux enfants, et dont le mari se trouve à l’hôpital en soins intensifs : elle reçoit dans la tente dressée pour les endeuillés, des jeunes de tous bords venus la consoler. Elle les félicite, avec la force d’un beau sourire, pour avoir pris sur eux des Mitsvot, pour l’élévation de l’âme de ses enfants défunts et pour la guérison de son mari.
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Kaniuk a raison. Le Juif éternel transcende la réalité, aussi obscure soit-elle, et dit au monde : “Cesse de trembler et d’avoir peur, petite planète. Il ne t’a pas lâché la main, le Rocher d'Israël. Pas d’inquiétude, Il est là.
Il attend juste qu’on lève les yeux vers Lui.”
