Beaucoup de femmes qui souhaitent pratiquer leur judaïsme dans les règles de la Halakha pensent qu’elles sont parfois obligées d’y renoncer dès lors qu’elles franchissent le seuil de leur lieu de travail. Ne pas serrer la main aux hommes dans le cadre professionnel serait-il mission impossible au XXIème siècle ?
Le débat houleux qui s’est ouvert à la pause-déjeuner avec mes collègues m’a surprise de par les passions qu’il a suscitées. La question à l’ordre du jour ? Avouez qu’elle est aussi intéressante qu’inhabituelle : faut-il renoncer à notre idéal religieux et accepter de serrer la main aux hommes sur notre lieu de travail ? Le fait de ne pas serrer la main peut-il être rédhibitoire lors d’un entretien d’embauche ?
Respecter la Halakha au XXIème siècle ?
Précisons d’emblée que je travaille dans une grande société qui emploie de nombreuses femmes que l’on pourrait définir comme engagées sur le plan religieux. Pourtant, certaines d’entre elles soutenaient qu’au XXIème siècle, il était impossible de continuer à respecter une Halakha qui s’accordait mal avec les contingences modernes et que celle qui s’entêtait à le faire n’avait assurément pas sa place dans une entreprise mais plutôt au département paléontologique d’un musée…
Je restai bouche bée. Il était évident que ces femmes – que je connaissais toutes à différents niveaux – n’auraient jamais accepté de serrer la main de leur beau-frère ou de l’ami de leur époux. Mais dans le cadre du travail ? Elles étaient convaincues que c’était mission impossible…
Qu’en dit la Halakha ?
Avant de m’attaquer aux croyances bien ancrées de ces femmes (et certainement d’autres), il me semble important de rappeler l’avis des Décisionnaires sur le sujet. Toucher un homme qui n’est ni notre époux, ni notre fils, ni notre père et ni notre frère (d’après certains – seulement – ni notre grand-père), constitue un interdit de la Torah qui se réfère à celui des relations interdites, l’un des trois péchés capitaux.
Quelques Décisionnaires (une toute petite minorité) permettent de se montrer plus souple, seulement dans des cas bien précis (qui, à 99%, ne se présentent pas au quotidien).
Pourtant, face à la gravité de l’interdiction, on ne peut ignorer le fait que beaucoup de femmes ressentent une véritable détresse et restent persuadées que le fait de s’en tenir aux directives de nos Sages est ce qui les empêchera d’avancer dans leur carrière. Ces femmes pensent que le fait de ne pas serrer la main des hommes comme tout le monde les cataloguera instantanément comme les reliquats d’une époque révolue, ou pire, comme des créatures étranges, snobes et hautaines dont aucune entreprise ne voudrait s’encombrer.
Croyances VS réalité
Pour y voir plus clair, j’ai décidé de m’adonner à un petit sondage, que j’ai diffusé parmi mes contacts féminins. La question que je leur ai posée était : « Avez-vous déjà été victime de discrimination dans le cadre du travail à cause du fait que vous étiez Choméret Néguia ? »
Les réponses que j’ai reçues dénotaient grandement par rapport aux convictions des femmes que j’ai citées plus haut. Pour tout dire, elles venaient même les contredire fondamentalement !
La seule et unique femme qui a répondu par l’affirmative a cité un cas qui s’est présenté à elle il y a une quinzaine d’années, où effectivement son look et ses valeurs « d’un autre âge » n’ont pas remporté un franc succès auprès de son potentiel employeur. Mais chez les autres, ma question a plutôt suscité l’étonnement. Je précise que l’une des femmes interrogées travaille dans une grande société hi-tech complètement laïque, société qui a dû déployer de grands efforts pour la persuader d’accepter le poste (la question de savoir si oui ou non elle touchait les hommes ne s’est jamais posée). Une autre de mes contacts est comptable dans une firme tel-avivienne et n’a jamais été confrontée au problème (« les gens voient que j’ai la tête couverte et automatiquement, ils ne me tendent pas la main »). Enfin une troisième a souri à l’énoncé de ma question et a répondu à grands coups de smileys qu’en tant que cadre dans une société informatique, elle constatait au quotidien que ce sont les compétences professionnelles qui étaient déterminantes, et non pas le degré de religiosité d’un candidat.
Laisser ses convictions au vestiaire ?
Mais alors que faire si l’on se retrouve effectivement face à un employeur ou à des collègues qui nous discriminent sur la seule base de nos convictions religieuses ?
Je pense sincèrement que personne au monde ne souhaiterait travailler dans un tel environnement professionnel. Si des personnes ne sont pas capables d’apprécier nos compétences et notre personnalité et s’en tiennent à leurs stéréotypes d’un autre âge, pourquoi devrions-nous être celles qui nous sentent anormales et nous plier à leurs desiderata ?
Plus grave encore : si une femme décide de céder sur ce point et de serrer la main aux hommes, que se passera-t-il la prochaine fois que ses valeurs seront mises à l’épreuve ? Va-t-elle accepter de déjeuner dans un restaurant non-Cachère, de se retrouver en situation de Yi’houd ou de travailler Chabbath si les circonstances l’y « obligent » ?
En réalité, celles qui se disent prêtes à laisser au vestiaire certains de leurs principes moraux en faveur de leur carrière auront bien vite le désarroi de constater que ce seul renoncement ne suffit pas à régler leur problème de fond, qui est celui de travailler dans un environnement qui n’est pas prêt à les accepter telles qu’elles sont…
Même tout en haut de l’échelle
Pour ma part, je rappellerai juste que l’une des plus célèbres et talentueuses journalistes israéliennes, Sivan Rahav-Méir, est une orthodoxe qui n’a jamais serré la main à personne d’autre qu’à son journaliste d’époux, Yédidia Méir, et que la secrétaire du président Rivlin, Rivka Ravitz, est elle aussi célèbre pour respecter la Halakha en toutes circonstances (on se souviendra de ce célèbre cliché où on la voit serrer ses mains derrière son dos et faire une petite révérence au Pape lors de la visite d’une délégation présidentielle au Vatican…). Comme on le constate, le respect scrupuleux de la loi juive ne les a assurément pas entravées au niveau professionnel, bien au contraire…
Je vous vois d’ici objecter : « Moi aussi, le jour où j’atteindrai leur rang, je pourrai me payer le luxe de me montrer plus pointilleuse »… A cet argument, nous répondrons là encore à l’appui de faits : ni Rahav-Méir ni Ravitz n’ont démarré leur carrière tout en haut de l’échelle ; pourtant même novices, ainsi qu’elles en témoignent elles-mêmes, elles n’ont jamais renoncé à leurs principes…
Pour clôturer le débat : grimper les échelons au niveau professionnel exige sans aucun doute des efforts, de l’investissement et probablement aussi des sacrifices. Mais cela n’a jamais exigé de renoncer à des valeurs qui constituent toute notre essence. Je dirai même plus : la carrière d’une personne déterminée à rester attachée à ses convictions morales ne peut que se voir propulsée. Quel employeur ne tomberait pas sous le charme d’un candidat à la fois loyal, sûr de lui et fidèle ? De plus, ajoutons que si le Créateur du monde exige de nous un certain comportement, soyons assurées que la chose est possible, quelles que soient les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.
Cessons donc de nous confiner dans un incompréhensible complexe d’infériorité et commençons à porter nos valeurs la tête haute !
Béhatsla’ha à toutes !
Adapté par Elyssia Boukobza