Question de Levana M.
Chalom Rav Scemama,
J’ai commencé à me rapprocher de la Torah depuis 2 ans, au début, seulement au niveau de la pensée, puis progressivement, dans l’accomplissement des Mitsvot. Je suis très heureuse dans ma Techouva, j’y trouve des réponses à mes questions, un sens à la vie et beaucoup d’optimisme. Cependant, je dois subir l’opposition de mes parents qui « n’avalent » pas ma démarche. Je dois préciser que nous somment des « Yordim », c’est-à-dire des Israéliens qui avons quitté Israël. Nous parlons l’hébreu à la maison et tous les amis de notre famille sont, eux aussi, israéliens. Si ce n’est Yom Kippour, nous n’allons jamais à la synagogue, et j’ai fait toute ma scolarité dans une école française laïque, sans vraiment de contact avec la communauté juive.
Mon père me dit qu’il est bien connu en Israël que le mouvement de Techouva touche soit des « simplets » manipulés par des faux kabbalistes qui profitent de leur crédibilité pour leur soutirer leur argent, soit des gens à problème, psychologiquement vulnérables, qui cherchent dans la religion des solutions à leur mal de vivre ou à fuir devant les réalités et les responsabilités de la vie. Ma mère renchérit en décrivant les jeunes filles qui font Techouva comme celles qui n’ont jamais intéressé les garçons et qui trouvent un refuge à leurs complexes dans la religion. En gros, j’écoute tout le temps beaucoup de médisance sur les religieux, et surtout sur le public des Ba’alé Techouva.
J’aimerais savoir quoi leur répondre, et surtout me convaincre que tous ces arguments sont mensongers, car leurs propos me désarçonnent, bien que, comme je l’ai précisé, je trouve la Torah merveilleuse.
Réponse du Rav Daniel Scemama
Chalom Levana et « ’Hazak Oubaroukh » pour ta Techouva, d’autant plus courageuse que ta famille ne va pas dans ton sens.
Tout d‘abord, un petit historique sur le phénomène du retour (Techouva) au judaïsme authentique : sachons que le mouvement mondial de Techouva touche aujourd’hui plus d’un million de juifs, et que, s’il fleurit surtout en Israël, on trouve à travers toute l’Europe, ainsi qu’en Amérique et en Russie, de très nombreux Ba’alé Techouva. Cette grande vague a débuté en 1973, après la Guerre de Kippour, et n’a fait que prendre de l’ampleur depuis. Tous les milieux, sociaux économiques et ethniques, sont représentés dans ce mouvement. Le très large éventail de profils qu’il réunit est, en soi, la preuve qu’on ne peut réduire le mouvement de Techouva à quelques définitions simplistes. Mais nous allons malgré tout élargir le sujet. (Je tiens à préciser que les propos de tes parents tirent leurs sources dans certains médias israéliens, qui, de manière obsessive, présentent le monde religieux de façon grotesque et caricaturale.)
Faisons un peu d’ordre dans tout cela :
Il est clair que, souvent, la Techouva apparaît après un évènement qui a ébranlé un être, disons le mot, en période de « crise ». Cela peut être la mort d’un proche ou d’un ami, la maladie, un divorce, une perte de travail, une grosse déception… Face à la douleur, à l’épreuve, on cherche un sens ou une explication, que seule la Emouna (foi) en un D.ieu unique et bon peut apporter. Plus profondément, l’Eternel a créé un monde avec des souffrances et des peines qui « permettent » à l’homme de se poser des questions existentielles et de se rapprocher de la vérité. Dans une vie où tout se déroulerait sans la moindre frustration, les plaisirs terrestres et l’attrait vers la matière ne laisseraient aucune opportunité à la réflexion.
Ce terrain de « crise » est le même pour tous, car tout individu passe en ce monde par des épreuves. Mais untel va étouffer ce questionnement, revenir à son train-train, et refuser la corde qui, à ce carrefour de sa vie, lui a été lancée par la Providence. Alors qu’un autre va chercher à percer l’obscurité et entamer un cheminement cohérent qui le mènera, en tant que juif, à la recherche de son Créateur, au respect des Mitsvot et à l’étude de la Torah. C’est donc bien vrai, la Techouva peut naître d’une crise, d’une « problématique » qui a surgi dans notre vie, et il n’y a rien de dégradant à cela. Certains vont l’utiliser comme tremplin spirituel, d’autres non.
D’autre part, beaucoup de Ba’alé Techouva se sont rapproché de la Torah en écoutant un cours intéressant, suite à une discussion avec une personne, ami ou proche parent, au fait du Judaïsme, ou en rencontrant un Rav intègre et érudit qui a déclenché en lui un appel au Judaïsme. L’homme, par définition, a une recherche existentielle et des rencontres sont souvent à la base du processus, sans pour autant traverser une crise particulière. Les cas sont légion. Mieux, on a vu des personnes ayant tout, au sommet de leur carrière, comblées dans leur vie familiale et professionnelle, qui ont entamé une Techouva sincère, comme M. Ephraïm Wasservogel, un des directeurs Renault et créateur de la fameuse Renault 5 (vidéo Torah-Box, « Ma Techouva c’est ça »), Linor Abergel - Miss Israël et Miss Monde - et Ouri Zohar (artiste, comédien israélien), pour n’en citer que quelques-uns.
Il faut aussi relever que le Judaïsme n’est pas une expérience mystique, une évasion de la réalité et une recherche de sensation ou d’exaltation par la méditation et le retrait loin de toute civilisation. La Torah nous oblige à fonder une famille, à subvenir à ses besoins, à s’occuper de l’éducation des enfants, garder le Chabbath, ne pas voler, tromper, désirer les biens et la femme de son prochain… Il s’agit bien d’un engagement qui demande courage, abnégation et beaucoup d’énergie.
Quant aux innocents, proies des faux Admourim, nous sommes très loin du monde de la Techouva et du Judaïsme authentique. Il n’y a dans ces cas ni recherche construite d’une vérité, ni une personnalité digne de ce nom qui fournirait des réponses. On est dans le registre des gourous, et faire un amalgame entre ce phénomène et le véritable mouvement de la Techouva ressort de la mauvaise foi.
Le dernier point que je voudrais relever est de toute première importance : le Judaïsme n’est pas né hier. Il traverse plus de 3000 ans d’histoire et a donné naissance aux autres religions monothéistes. Il est la source de la morale universelle et la base de tout système juridique. Les juifs ont prouvé leur attachement à la Torah malgré tous les décrets qu’ils ont subis, à l’époque des Grecs, des Romains, des Croisades, pendant près de 2000 ans d’exil, éparpillés parmi les Nations.
On raconte que le ‘Hazon Ich, dirigeant incontesté du Judaïsme authentique, lors de sa rencontre historique avec Ben Gourion (premier chef d’Etat d’Israël qui prônait une identité israélienne laïque), lui a cité un texte du Talmud ou on demande : “A laquelle de deux charrettes ne pouvant passer ensemble dans une ruelle étroite est-il nécessaire de donner priorité ?”. La loi fixe que la charrette la plus chargée est prioritaire. En d’autres termes, le Judaïsme, lourd de son bagage de plus de 3000 ans, a évidemment priorité devant une identité juive israélienne laïque qui commence il y a un siècle. Comment peut-on, sans rien connaître de cette Torah, la repousser d’un geste de la main comme s’il s’agissait d’une publicité déposée dans une boîte aux lettres ?
En conclusion, Levana, en choisissant la voie du Judaïsme authentique, tu fais un choix courageux et tu renforces ton lien avec ce peuple millénaire, descendant de nos Patriarches, Avraham, Itsh’ak et Ya’acov, qui a été élu par D.ieu au mont Sinaï, et qui mènera l’humanité à son apothéose. C’est un grand défi que tu relèves et ne t’étonnes pas de voir surgir autour de toi des détracteurs. La réaction de tes parents provient peut-être aussi du fait qu’ils craignent que tes engagements ne t’éloignent d’eux. Manifeste-leur beaucoup d’affection et de respect. Mais, d’un autre côté, protège-toi. Essaye d’être en relation avec un Rav ou avec une femme pratiquante avec laquelle tu te sens en confiance pour leur poser tes questions et leur exposer tes difficultés. Tu trouveras force et encouragement dans ces échanges.
Que D.ieu te garde et te protège sur ton chemin, ‘Hizki Véyimtsi.