Hans Andersen a longtemps été considéré comme un original.
Un peu gauche, d’une innocence frôlant la naïveté, gaffeur, rêveur, personne au Danemark ne le prenait vraiment au sérieux, et c’est à l’étranger que des auteurs comme Dickens, Dumas et Balzac, ont reconnu son talent de conteur.
On lui doit « La Petit Fille aux Allumettes », « le Vilain Petit Canard » - très autobiographique -, et 155 autres contes qui ont fait le bonheur de plusieurs générations d’enfants du 19 au 21ème siècle.
Mais son chef-d’œuvre, est sans doute « Les Habits Neufs du Roi », délice pour tout âge, où le message reste d’une modernité stupéfiante jusqu'à aujourd’hui, illustrant merveilleusement la Michna Avot, ou Rabbi Eliézer nous dit que la luxure, la jalousie, et les honneurs « sortent l’homme de ce monde ».
Scénario pour égos monumentaux
Deux tailleurs rusés et très psychologues se proposent d’habiller un souverain féru d’esthétisme et de paraître, avec une étoffe unique au monde, presque magique, d’une texture merveilleuse. Ils lui font croire qu’elle est dotée d’une propriété rarissime : elle reste invisible aux yeux des ignorants et des idiots. Les escrocs montent autour du souverain une arnaque bien huilée, énorme bluff, où lors des essayages, ils miment la confection de leur ouvrage, alors qu’il n’y a ni tissus, ni habits, ni couronne, ni diamants. Ils s'affairent autour du Roi, le flattant, et vantant la qualité des matériaux - ma foi inexistants -, et s’écrient « combien ces habits siéent à Sa Majesté ». Ce dernier, qui ne voit ni étoffe, ni fils à coudre, n’ose l’avouer de crainte de passer pour un sot patenté, et participe à cette comédie hallucinante, mise en scène par nos deux fins larrons, et sublimement écrite pour des égos hypertrophiés.
Les courtisans, prudents, voyant leur souverain gonfler de plaisir à chaque nouvel essayage, se prêtent sagement au simulacre et entrent dans cette folie collective.
L’invisible parure royale terminée, le Roi en sous-vêtements, complètement ridicule, sort saluer une foule très surprise de son habit d’apparat, mais qui l’acclame, n’osant prononcer un mot. Cette farce aurait pu continuer longtemps, si ce n’est un enfant innocent présent au cortège, qui sans préjugés, sans intérêts, ignorant les codes de bienséance et la flatterie, pointe un doigt étonné sur le souverain et s’écrie : « Mais… mais … Le Roi n’a pas d’habits ! » Et alors seulement, l’incongrue vérité que tout le monde se cachait éclate et frappe les esprits.
Les escrocs sont alors déjà bien loin, la bourse de leur travail en poche… Et le monarque, honteux, découvre à ses dépens l’énorme supercherie.
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La fable, bien sûr, dénonce l’orgueil, aveuglant les hommes, particulièrement ceux de pouvoir, et risquant d'entraîner leur perte. Qui veut d’un souverain, d’un chef où d’un patron lâche et imbu de sa personne ?
Mais elle fait également le procès de la foule, incapable de dénoncer les aberrations qui l’entourent, par peur, par confort, par facilité, et parce que déloger le mensonge, demande des efforts et bouscule nos habitudes.
Le politiquement correct, le « bon ton », sont des toboggans faciles, agréables, mais qui dégringolent vite vers une pensée formatée dont personne n’est à l'abri. On peut entendre des pontes, chacun dans son domaine, économiste de renom, brillant high-techiste, politicien connu, homme de loi et homme d'affaires, donner leur avis qu’ils pensent savant sur des sujets tranchés à l’avance par des « tailleurs » rusés. Ces derniers sont, eux, les manipulateurs de l’opinion publique, qui savent par leur plume affutée, devant leur micro, créer l’illusion et faire dire ce qu’ils veulent à leur « invité », pour en fin de compte, imposer leurs conceptions.
Aujourd’hui, en Israël
C’est ce qui se passe en ce moment en Israël. Depuis les dernières élections en novembre 2022, avec la victoire haut la main du bloc de droite, on observe des manifestations impressionnantes, où des drapeaux blanc et bleu sont agités par des jeunes et moins jeunes qui descendent dans la rue, scandent des slogans, et paraissent sincèrement préoccupés par ce que les médias, nos habiles tailleurs, ont baptisé : « la Révolution Juridique ». Ces derniers annoncent avec pathos que l’État Hébreu serait en train de basculer dans la dictature, exportant à l’étranger un vent de panique, qui lui, risque bien de provoquer le retrait de capitaux du pays.
On annonce les retombées catastrophiques de la réforme juridique alors qu’en réalité, elle est attendue par la majorité du pays, toutes tendances politiques confondues. Le Haut Tribunal de Justice, « Bagatz » en hébreu, a en effet perdu énormément de sa crédibilité au sein du peuple, suite à deux problématiques majeures :
- Le juge, Aharon Barak, a réussi lors de son mandat à la tête de la Cour Suprême, à imposer un système juridique qui permet de contourner les lois votées par les députés, donnant ainsi à l’instance juridique une force considérable, supplantant même celle du Parlement israélien, la Knesset. On en est arrivé à une situation absurde, ou même si les élections sont gagnées par une majorité confortable, la direction du pays continue à s’effectuer principalement via le système juridique.
- La composition des juges du Haut Tribunal ne reflète pas proportionnellement l’échantillon de la population. Les juges s’auto-élisent en huis clos, et appartiennent pratiquement tous à la même « branche » idéologique, ce qui empêche bien évidemment un verdict équilibré et juste.
La nouvelle réforme doit, entre autres, venir redresser cet état de choses.
Le parti des perdants n’a pas accepté la défaite des dernières élections et n’a pas l’intention d’abandonner le retranchement qui lui a permis de continuer à diriger le pays même lorsque le camp adverse était au pouvoir.
Si en Israël en ce moment, vous ouvrez un journal où écoutez les infos, vous découvrirez que le vent ne souffle que dans une direction, celle cautionnant systématiquement le côté des semeurs de panique et de pagaille. Il n’y a pratiquement pas de place dans les médias, pour un débat impartial : la pièce se joue à guichets fermés.
Habits de Lumière
Mais dans une perspective plus large, dépassant la controverse politique actuelle, à l’échelle cette fois de l’histoire universelle, il faut savoir que le peuple d’Israël, structurellement, ne peut supporter qu’une législation divine et ne peut se soumettre qu’à une Constitution Parfaite. Compressé dans un réseau de lois limité, fini et faillible, institué par l’homme, il perd son souffle, et s’avère même moins discipliné et docile que ses voisins. L’habit est trop étroit et mal coupé sur lui.
Quelques individus, lucides et courageux, pointent du doigt ce tohu bohu, disant : « Mais le peuple élu est dévêtu, ne le voyez-vous pas ? Il est penaud dans sa nudité, et les étoffes dont on l’a vêtu sont un leurre ! »
Israël, qui a donné au monde ses notions de liberté, ses valeurs d’humanisme, toutes puisées dans le Livre des Livres, dont les nations se sont inspirées pour créer des systèmes de gouvernement viables, doit, lui, aspirer à bien plus haut. À savoir, être un exemple pour l’humanité en appliquant ici-bas des lois d’origine divine. C’est sa mission.
En ce moment, c’est évident, il faut calmer les esprits, mais également œuvrer auprès de chaque Juif pour qu’il sache qu’il mérite de porter un habit majestueux, taillé sur mesure, cousu pour lui par le Saint Béni Soit-Il. Une parure de Prince.
Noblesse oblige.
Et ce n’est pas M. Andersen qui nous contredirait…