Selon le Talmud, la tentative d’extermination du peuple juif par Haman témoigne une fois de plus de l’hostilité viscérale d’Amalek à son égard. Le Rouleau d’Esther qui en fait le récit a été labellisé « Écrit saint » et ainsi intégré au canon biblique, parce qu’il constitue précisément le troisième épisode de cette opposition frontale (Méguila 7a). La première confrontation s’était déroulée au lendemain de la sortie d’Égypte et la deuxième à l’époque du roi Chaoul – premier roi d’Israël. Ces deux batailles s’étaient soldées par un affaiblissement de l’ennemi, mais non par son éradication comme l’exige la Torah. D’où sa résurgence en Perse et les velléités de Haman, descendant d’Amalek, de s’attaquer à nouveau au peuple juif. L’antagonisme absolu entre Israël et Amalek transparaît dans le récit de la Torah à travers le devoir de mémoire formulé par les injonctions Zakhor (« Souviens-toi ») et Lo tichka’h (« N’oublie pas »), mais aussi par l’image singulière de « la main » d’Amalek attentant au « Trône de YaH (D.ieu) », et par l’engagement de Dieu Lui-même « à effacer le souvenir d’Amalek d’en-dessous les cieux », aux côtés d’Israël. Tout cela donne à penser qu’il s’agit là d’un enjeu vital pour Israël et d’un combat primordial.
Quel est au juste l’objet de ce conflit ? Il ne s’agit pas du combat contre l’antisémitisme séculaire qu’Amalek incarnerait plus que tout autre peuple, puisque le peuple hébreu naissant qu’a attaqué Amalek à l’époque de Moïse n’était pas encore entré dans l’histoire des nations, sinon en tant que masse laborieuse soumise et asservie à l’empire égyptien. Pourquoi donc Amalek s’en est-il pris au peuple hébreu fraîchement affranchi, alors même qu’il ne représentait aucun danger pour quiconque ? La Torah nous suggère sans doute la réponse en déclarant que « Il (Amalek) ne craignait pas Élokim ». Autrement dit, l’ange gardien qui s’était porté au secours des Hébreux leur permettant ainsi de s’affranchir de l’étau égyptien, était honni par Amalek. Pourquoi ? Parce que cette libération signifiait que le déterminisme historique qui prévalait jusque-là et qui ordonnait la pyramide humaine en maîtres et en esclaves ad vitam aeternam, venait d’être rompu. La sortie d’Égypte a constitué un tournant dans l’histoire et un précédent qui prouvait que les hommes pouvaient changer la trajectoire de leur destin et la face du monde s’ils le souhaitaient vraiment. Amalek incarnait quant à lui les forces d’inertie et une conception figée de l’histoire. Son incapacité à affronter la vie et à en endosser les aléas l’a d’ailleurs conduit à recourir à la sorcellerie, qui consiste précisément à faire usage de raccourcis en sollicitant les pouvoirs magiques des forces occultes. Cette attitude revient à abdiquer ses responsabilités et à renoncer au libre arbitre et au sens moral. Pour défier les Hébreux sortant triomphants d’Égypte, Amalek a accroché « ceux qui se trouvaient en queue de caravane, les faibles, les fatigués et les exténués ». À l’époque de Pourim, il attaque Israël affaibli par l’exil et trouve en Assuérus un complice acquis à sa cause, mais le Gardien d’Israël incarné par la personne d’Esther a déjoué ses plans ingénieusement à un moment où il croyait enfin aboutir à ses fins.
Puisse ce devoir de mémoire se commuer en prière et hâter en ces temps troubles l’effacement de l’Amalek contemporain.
À la mémoire de Eliahou ben Chalom זל