De même qu’il existe le bon et le mauvais cholestérol, on peut dire qu’il existe la bonne et la mauvaise curiosité. Il y a celle nocive, qui se nourrit du junk food des téléréalités et raffole des graisses alourdissantes de ce qui se passe chez les autres. Enfoncés dans nos divans devant le petit écran ou sur les réseaux, elle nous fait vivre leur vie par procuration.
Et puis, il y a le bon cholestérol, celui qui nettoie, lubrifie, que le métabolisme utilise pour irriguer comme il faut le sang dans nos veines et éviter les occlusions. C’est la bonne curiosité, celle vitale que déjà notre Maître Moché va sans cesse utiliser. Lui-même, enfant choyé, beau petit prince assis sur les genoux de Pharaon, au lieu de profiter de sa position privilégiée et de grandir en « fils à papa », ne cessera d’être concerné par la condition de ses frères en esclavage. Il sortira du cocon doré qu’est la cour égyptienne, pour observer, intervenir et prendre la défense des siens, quitte à perdre la tranquillité et la sécurité que lui octroyait son rang. Bien plus tard, berger à Midyan, à nouveau interpellé par une étrange vision, celle d’un buisson en feu ne se consumant pas, il s’approchera, cherchant à comprendre et découvrant derrière ce phénomène insolite l’appel de la Providence.
C’est à ce genre d’hommes ou de femmes, éveillés, sur le qui-vive, qui ne passent pas leur chemin mais interrogent les événements, que D.ieu va donner les plus grandes missions à accomplir sur terre.
Sans cette curiosité, cet intérêt pour ce qui se passe autour de nous, l’indifférence nous engourdit, marquant la démission de nos responsabilités envers autrui.
Elie Wiesel, dans son livre La Nuit, raconte : raflé à 15 ans avec sa famille de sa maison de Sighet - son village natal de Roumanie - et envoyé par les Nazis sur la place de rassemblement des déportés, l'infâme Umshlagplatz, il lèvera les yeux sur une fenêtre et croisera derrière la vitre le regard vide d’un voisin, observant froidement ce qui se passait “en bas”. Sans la moindre émotion, sans même une expression sur son visage, alors que la plus grande tragédie de l’Humanité se déroulait sous ses yeux, un homme regardait d’autres hommes partir à leur mort.
Une pharmacienne à l’écoute
La jeune Elyana Steinberg, pharmacienne à Jérusalem, sait percevoir derrière la main qui lui tend une ordonnance, un léger tremblement ou une ombre d’inquiétude passant dans un regard. Elle reconnaît immédiatement un être en souffrance. Elle conseille, répond et écoute patiemment.
Petite dernière d’une famille religieuse de 6 enfants ayant émigré des USA vers Israël, c’est en suivant cette inclinaison du cœur qu’elle a fait une incroyable découverte, cherchant à agir au-delà de ce que professionnellement elle était censée effectuer.
Tout a commencé il y a quelques années, lorsqu’un homme malheureusement souffrant d’un cancer de la prostate est entré avec sa femme dans la pharmacie où elle travaillait. Il reviendra souvent et Elyana établit avec le couple une relation amicale. Elle regrette alors amèrement que cet homme, qui est loin d’être en phase finale, passe par de nombreux traitements qui l’épuisent et ne donnent pas toujours les résultats escomptés. En fait, elle voit qu’on perd là un temps précieux à expérimenter sur lui à tâtons les unes après les autres des thérapies qui parfois s’avèrent n’avoir aucun effet. On passe ensuite à d’autres substances qui, s’ajoutant à la fatigue du traitement précédent, le laissent sans force physiquement et moralement.
À ce moment, elle a un déclic.
Le cas de cet homme lui a donné envie d’aider à un autre niveau. Car si la pharmacie est un chaînon indispensable pour venir en aide aux malades, elle sent qu’elle peut essayer de faire mieux, en amont.
Parce que, comme diront les chefs de laboratoires avec lesquels elle va travailler par la suite, si la porte est fermée devant elle, elle s’arrangera pour passer par la fenêtre. Rien ne l’arrête, et elle utilise sa créativité et sa détermination pour sortir des sentiers battus et oser là où d'autres ont baissé les bras.
Pour cela, elle s’inscrit à la faculté de nanoscience - études de procédés et manipulations se concentrant sur l’infiniment petit - à l’Université Hébraïque de Jérusalem et en 4 ans arrive au doctorat.
Elle développe alors une idée qui aujourd’hui est en train de révolutionner la recherche dans le domaine du cancer : créer une puce dans laquelle on insèrerait un infime prélèvement de la tumeur et qui révélerait dans un temps record (et sans avoir besoin de faire de chimio directement sur le malade) quel traitement est le plus efficace pour combattre la maladie. L’idée est géniale mais sa mise en pratique demande des aptitudes de pointe dans de nombreux domaines. Soit ! Elle va utiliser ses connaissances en chimie, physique, informatique pour atteindre son but. Pour la réalisation de la puce en 3D, elle va se faire aider par un spécialiste dans ce domaine et passera elle-même des centaines d’heures pour concrétiser son invention.
Comment ça marche ?
On insère dans la puce via les mini-canaux réservés à cet effet des reconstitutions à échelle infinitésimale de tissus malades, et on les soumet aux différentes substances qui doivent traiter et éradiquer la tumeur. La puce transparente permet au microscope d’observer l’efficacité de chaque traitement (lequel est inutile, lequel réussit le mieux à freiner l’évolution de la maladie) et ainsi, en deux semaines, sans avoir eu besoin de faire ingérer au malade aucune substance médicamenteuse ou chimique, on pourra voir lequel a été le plus efficace et alors seulement commencer la thérapie la mieux adaptée pour le patient. On évite ainsi des chimio vaines et épuisantes sur l’individu et on cible dès le départ le traitement le plus approprié. Sa méthode évite également les expérimentations sur les animaux.
Tous des Elyana
Concentrée et silencieuse, penchée sur son microscope, la jeune pharmacienne qui a posé ses yeux et son cœur sur l’autre, devenue docteur en nanotechnologie à 28 ans, vient de recevoir le prestigieux prix Adams qui couronne ses recherches. On utilise déjà sa merveilleuse puce à l’hôpital de Hadassah Ein Karem et de très grosses sociétés veulent commencer à la commercialiser.
Mais Elyana n’est pas là-bas. Elle veut parfaire son invention, raccourcir les délais, et parvenir dans le temps record d’une semaine maximum à donner au patient sa carte de route pour commencer la meilleure thérapie possible.
Elyana sprinte avec la maladie.
Quand on mentionne son jeune âge, elle sourit, en disant qu’en effet, elle est parmi les « jeunettes » du labo.
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Des visions insolites nous entourent et nous interpellent : parfois ce sont des êtres éprouvés qui se sont trouvés sur notre chemin ou alors des situations inhabituelles qui demandent notre attention et même notre intervention. Arrêtons-nous un instant, observons : ce n’est pas par hasard si ce cas se présente à nous.
Avec nos outils, sans spécialement être diplômés de Harvard ou de Yale, sans doctorat en nanotechnologie, on peut poser les yeux, donner son écoute ou tendre la main vers l’autre.
Car si le Saint-Béni-Soit-Il a mis sur notre chemin un buisson ardent, c’est certainement qu’Il désire que nous en fassions quelque chose…