Le 16 avril 1986, un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl, située dans la république soviétique socialiste d'Ukraine, explosa, conduisit à une fusion du cœur et libéra une quantité importante d'éléments radioactifs sur la région avoisinante, tandis qu'un incendie incontrôlable se déclenchait. Deux jours après la catastrophe, de hauts niveaux de radiation étaient mesurés aussi loin qu'en Suède, tandis que des plantes et des étendues d'herbes en Angleterre étaient également contaminées. Aujourd'hui, 35 ans plus tard, 57 915 mètres carré en Biélorussie et en Ukraine sont encore considérés comme contaminés et une zone d'exclusion de 1544 mètres carré, plus de deux fois la taille de Londres, est inhabitée.
D'après le consensus, 31 hommes périrent directement dans l'explosion et du syndrome d'irradiation aigue après la catastrophe, et dans les décennies qui suivirent, soixante autres personnes sont mortes d'un cancer radio-induit. Mais un débat fait rage sur le nombre bien plus important de morts décédés des effets attribués à la catastrophe. En 2005, les Nations Unies estimaient que 4000 personnes pourraient mourir en conséquence d'une exposition aux radiations. Le gouvernement ukrainien calcule très différemment. En janvier 2018, 1,8 millions de personnes en Ukraine, dont 377 589 avaient le statut de victimes de la catastrophe.
L'impact de la radiation de la catastrophe de Tchernobyl peut être mesuré : il est visible et perceptible. Ces quinze derniers mois, nous avons vécu une catastrophe dans le monde entier. Son impact physique peut se mesurer en termes de victimes, de diagnostics, de symptômes et de guérisons. Mais qu'en est-il de l'impact à long terme des défis de santé mentale après un an d'isolement, de quarantaine, de distanciation, de port du masque, etc. ? Qu'en est-il de ceux dont le bien-être mental a été mis à l'épreuve par la perte soudaine d'un proche ou la crise économique ? Combien de victimes de cette catastrophe, adultes et enfants, qui n'ont peut-être jamais été directement atteints du virus, ont néanmoins souffert terriblement et souffriront de son impact et de ses effets durables ?
Une étude nationale conduite par l'association psychiatrique américaine indique que quatre Américains sur dix affirment être plus anxieux que l'an dernier. 43 % des adultes ont affirmé que la pandémie avait eu un impact important sur leur santé mentale, et cela se répercute sur leur conduite. Parmi les adultes, 17 % affirment boire plus d'alcool et consommer plus de drogue que la normale, jusqu'à 14 % de plus qu'un an plus tôt. Plus de la moitié des adultes (53 %) avec enfants ont affirmé être préoccupés par l'état de santé mentale de leurs enfants et près de la moitié (48 %) ont indiqué que la pandémie avait engendré des problèmes de santé mentale pour un ou plus de leurs enfants, y compris des problèmes mineurs pour 29 % et des problèmes majeurs pour 19 % d'entre eux. Près de la moitié (49 %) des parents affirment que leur enfant a été suivi par un professionnel de la santé mentale depuis le début de l'épidémie.
Alors que les radiations de Tchernobyl peuvent être identifiées et prévenues, l'impact résiduel de cette pandémie sur notre santé mentale et notre bien-être est invisible, souvent négligé et pas forcément pris suffisamment en considération dans la définition des politiques.
Si un individu souffrait d'un cancer radio-induit dû à une catastrophe, ou de toute autre maladie physique, non associée à un événement particulier, il ne nous viendrait pas à l'idée de l'humilier, de l'ignorer ou de le négliger. C'est une remarque évidente, mais qu'il faut répéter : nous devons traiter les victimes de maladies mentales de la même manière. C'est tout autant une maladie, qui n'est pas la faute de la personne qui en souffre, et qui mérite tout autant notre soutien et notre amour. Plus les maladies mentales sont fréquentes, plus nous devons nous y initier et nous y sensibiliser, et nous préparer à manifester notre soutien, en les incluant dans l'élaboration de nos politiques et programmes.
Il y a quelques années, un père se plaignit à moi de son fils qui avait du mal à trouver sa voie dans le judaïsme et dans le monde en général. Il me raconta que lorsque l'enfant était jeune, il souffrait de difficultés d'apprentissage et de problèmes mentaux. Cet enfant avait un camarade de classe qui avait certaines limitations physiques. Le père me décrivit avec émotion comment d'un côté, il était beau de voir les enfants courir pour aider, soutenir et inclure cet enfant limité sur le plan physique, mais d'un autre côté, il était perturbant de voir comment son fils se sentait exclus, négligé et même harcelé. « Si seulement les problèmes de mon enfant étaient visibles et non intérieurs, il aurait peut-être été traité différemment et serait devenu quelqu'un d'autre», me confia-t-il.
Notre sainte Torah considère la santé mentale non seulement comme réelle, mais ne la traite pas différemment de la maladie physique. Rav Eliezer Waldenberg (Tsits Eliézer 12:18:8) évoque le cas d'une personne souffrant d'une maladie mentale, qui guérit et veut réciter la Birkat Hagomel. Il cite l'un des « Rabbanim d'Erets Israël » qui dit :
Il me semble que les personnes souffrant de maladies mentales, même si elle ne sont pas en danger de mort, sont néanmoins obligées de réciter la bénédiction, car cela entre également dans la catégorie d'un malade qui a guéri…et la loi stipule que toute personne qui a guéri doit réciter la Birkat Hagomèl. Mais nous devons peut-être l'en dispenser, car sa guérison n'est pas claire, compte tenu du fait qu'il peut avoir une rechute et cela indique qu'il n'a pas réellement guéri ! Mais quelqu'un qui a clairement guéri devra la réciter.
On posa une question à Rav Acher Weiss chlita sur une personne souffrant de TOC (trouble obsessionnel compulsif) et il répond :
Un élève qui craint D.ieu et souffre d'un trouble obsessionnel compulsif et la majeure partie du temps, est incapable de réciter une Brakha ou le Chéma selon la Halakha, et passe parfois beaucoup de temps à tenter de dire le Nom de D.ieu correctement, mais sans succès, vit une grande souffrance. Selon les médecins et experts de cette maladie, le traitement n'est jamais de répéter sa prière et s'il a le sentiment de n'avoir pas récité la prière correctement, il ne doit pas faire une nouvelle tentative. De cette manière, les médecins espèrent lui éviter ce désarroi.
D'après la Halakha, l'obligation première de l'individu est de faire tout son possible pour guérir et à cet effet, il est même permis de ne pas réaliser certaines Mitsvot de la Torah.
Il y a tout autour de nous des personnes souffrant d'anxiété, de dépression, de TOC, de bipolarité, et d'autres problèmes de santé mentale. Un patient souffrant d'un cancer ne peut simplement désirer que son cancer parte, les malades d'Alzheimer ne peuvent décider de cesser d'oublier, et la personne souffrant d'anxiété ou de dépression ne peut simplement décider de cesser de se sentir inquiète ou épuisée. Ils méritent tout autant d'attention, de préoccupation et de ressources que ceux qui souffrent de maux physiques. Si vous êtes aux prises avec des problèmes de santé mentale, sachez que ce n'est pas votre faute, n'ayez pas honte et ne vous sentez pas coupables, faites-nous savoir ce que nous pouvons faire pour vous soutenir davantage.
Merci de considérer les points suivants :
N'employez pas les termes « dépression » ou « anxiété » à moins que ce ne soit approprié sur le plan médical. Trouvez un autre moyen de dire que vous êtes triste ou déçu, ou inquiet et préoccupé. Dire que vous êtes en dépression ou souffrez d'anxiété sur un sujet relativement mineur minimise la souffrance de quelqu'un qui souffre réellement.
- Si quelqu'un de votre connaissance agit différemment ou de manière inhabituelle, ne le jugez pas ou ne tirez pas de conclusions hâtives. Les Pirké Avot (2:4) citent Hillel qui dit : « Ne juge pas ton prochain avant d'avoir été à sa place. » Étant donné qu'il est impossible d'être à la place de quelqu'un d'autre, d'être eux, ou de vivre leurs difficultés, nous ne pouvons jamais juger autrui. Nous devons plutôt faire preuve de gentillesse, de sensibilité, de soutien et de bienveillance avec toute personne de notre entourage.
- Ne pensez jamais tout connaître sur la vie des autres, ou ce qui motive leur conduite. Ian Maclaren, auteur écossais du 19ème siècle a déclaré un jour : « Sois gentil, car chaque personne que tu rencontres mène un combat dont tu ignores tout. » Soyez plus flexibles ; accordez aux autres le bénéfice du doute.
- Lorsque vous connaissez un ami ou un membre de la famille qui souffre de dépression, de bipolarité, d'un trouble de l'anxiété, etc., apportez-leur tout le soutien possible, tout comme pour une personne souffrant d'une autre maladie ou d'une infirmité. Offrez votre aide, prenez des nouvelles, et faites-leur savoir que vous pensez à eux. Contrairement aux maladies aiguës, la majeure partie du temps, la dépression, par exemple, est chronique. Une fois diagnostiquée, elle peut être contrôlée, amoindrie ou même passer en rémission. Mais elle n'est jamais guérie. Un soutien sous une certaine forme sera toujours nécessaire.
- Lorsque vous tendez la main à une personne souffrant de problèmes de santé mentale, ne jugez jamais, ne critiquez pas et abstenez-vous de comparaisons. Ne prodiguez pas de conseils et ne minimisez pas ses problèmes. Contentez-vous d'écouter, d'être présent et d'être un ami.
- Alors que la pandémie a accéléré et fait exploser le nombre de problèmes de santé mentale, ils étaient déjà en hausse bien avant que nous commencions à employer des termes comme confinement ou quarantaine. En 2019, on releva un nombre record de suicides, d'overdoses et des taux record de dépression et d'anxiété. Il existe de nombreux facteurs contribuant à cette hausse, y compris la dépendance aux réseaux sociaux, des facteurs chimiques et autres.
Mettez ce mois à profit pour apprendre, écouter et comprendre. Tendez la main lorsque c'est approprié. Avec l'aide de D.ieu, tout comme le nombre de malades du Covid continue à baisser, puisse cela être le cas également de ceux qui souffrent de maux moins visibles.
Rabbi Efrem Goldberg