En ce début du mois de Av, à quelques jours du jeûne de Tich’a Béav, période où l’on a l’habitude de s’abstenir de toute expression de joie en souvenir de la destruction du Temple, parler de joie semble incongru. Et pourtant ! Nous lirons pendant le jour du jeûne le livre des Lamentations (Eikha) écrit par le prophète Yirmiyahou, qui décrit les calamités qui touchèrent nos ancêtres lors de la destruction du Temple.
Or nos Sages nous enseignent que la prophétie ne peut résider sur une personne que si elle se trouve dans la joie, ce qui implique que Yirmiyahou écrivit son livre en état de Sim’ha puisqu’il s’agissait d’une prophétie !
(Dans le même esprit, Ya’akov Avinou se vit retirer l’esprit divin pendant les 22 ans durant lesquels il était accablé par la perte de son fils ; il ne le retrouva que lorsqu’il apprit que Yossef était en vie et qu’une immense joie l’emplit.) Dès lors, la question se pose : comment peut-on se lamenter (et écrire Les Lamentations !) dans la joie, deux sentiments apparemment complètement contradictoires ?!
En vérité, ressentir de la joie dans le cœur est un besoin naturel : elle représente la vie, l’espoir et la certitude d’être protégé. C’est le fondement de la Emouna et de même qu’un homme ne peut vivre sans foi, de même il doit être joyeux constamment, la tristesse étant l’expression du doute ou pire, de la négation de l’omniprésence de D.ieu dans la destinée humaine. C’est pourquoi la ‘Hassidout de façon générale, et Breslev plus particulièrement, a mis l’accent sur la joie - comme préparation à la Téchouva et aux Mitsvot - et mis en garde contre la tristesse.
Durant ces 3 semaines de “temps lourds”, il est possible que nous ressentions du regret, de la nostalgie d’une époque faste, prenant conscience de notre état actuel où l’honneur de la Torah est bafoué. Les lois de deuil engendrent ces sentiments et peuvent même nous amener à de la tristesse. Nos Maîtres, conscients des dangers de la mélancolie, nous mettent en garde de ne pas y sombrer, car au lieu de grandir et de désirer revenir vers D.ieu comme aux temps anciens, on risquerait de s’enfoncer dans le désespoir et de tomber encore plus bas en délaissant ce qu’on a accompli, brisé par la tristesse qui nous envahit.
Lorsque nos Sages ont demandé de diminuer la joie pendant ces jours-là, ils n’ont parlé que d’actes extérieurs, comme d’acheter des nouveaux objets ou vêtements, jouer de la musique, etc., car cela représenterait une forme d’irrespect pour le souvenir du Temple. Mais leur intention n’a jamais été d’éradiquer la joie naturelle qui réside dans le cœur.
Par ailleurs, Tich’a Béav est appelé “Mo’èd” un jour de fête, comme pour nous annoncer que ce jour se transformera en jour d’allégresse. Rabbi ‘Akiva, en apercevant un renard sortant du Saint des Saints (Kodech Hakodachim), l’endroit le plus saint du Temple, se réjouit : en s’appuyant sur une prophétie, il voyait émerger de cette vision désolante les prémices du retour à Sion (Makot 24b). Rabbi Yo’hanan Ben Zakay, qui assista à la destruction du Temple, institua pour sa part des lois mettant en évidence l’espoir de sa rapide reconstruction (Soucca 41a). C’est cela l’esprit juif : voir dans la désolation les prémices du renouvellement.
Nous souhaitons voir se réaliser cette prophétie écrite par David Hamelekh dans les Psaumes décrivant les jours où “le rire remplira notre bouche et nos lèvres les paroles d’allégresse” (Téhilim 126 ,2).
Bimhéra Béyamenou, pour très bientôt ! Amen.