En allumant notre téléphone le matin, il n’est pas rare de voir apparaître les nouveaux statuts de nos contacts.
Elsa qui s’est prise en selfie la veille pendant son dîner au restaurant, Jérémie en pleine plongée sous-marine à Eilat ou mamie qui a photographié ses cookies tout juste sortis du four.
Sommes-nous vraiment intéressés à savoir tout cela ? Pour la plupart des gens, c’est sans le moindre intérêt.
Alors, pourquoi publier ? Les gens savent pertinemment que leur vie n’intéresse pas vraiment leur entourage, mais ils l’exposent tout de même, comme si l’objet de la publication n’était pas l’autre mais soi-même.
Essayons de décrypter une tendance qui en dit long sur soi.
Regardez-moi, s’il-vous-plaît !
Il est certain que le média a changé le visage de l’homme moderne, en lui offrant la possibilité d’exprimer ses opinions sur la place publique. Mais est-il le vrai responsable de ce phénomène de mode ? En réalité, l’outil média n’a fait qu’offrir un porte-voix aux consommateurs qui n’en désiraient pas moins. Sans demande, pas d’offre. Alors, d’où vient cette manie ?
Lorsqu’on voit l’emploi que les gens font d’un média, on discerne le besoin caché derrière leur utilisation. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont principalement utilisés pour partager ses opinions et exhiber sa vie. Pourquoi l’homme a-t-il besoin d’être vu par ses contemporains ?
Maïmonide écrit : « La nature de l’homme le pousse à être influencé dans ses opinions par ses amis et les personnes qu’il aime, et à avoir les mêmes agissements que ses semblables ». Le Midrach enseigne qu’il s’agit d’un trait intrinsèque de l’être humain, appelé Adam en hébreu dont l’anagramme devient Adamé – celui qui ressemble.
La Torah nous fait savoir que l’homme est un être social qui a besoin de son entourage pour évoluer. N’est-il pas écrit que D.ieu vit qu’il n’était pas bon que l’homme vive seul ?
Pourquoi l’environnement est-il si important ? C’est lui qui crée l’estime que nous porterons sur nous-mêmes.
L’estime de soi est l’évaluation que nous faisons de notre valeur personnelle. Elle indique dans quelle mesure nous nous considérons importants, aimables et valables. Une personne avec une bonne estime d’elle-même sera en mesure d’interpréter positivement les événements qui lui arrivent au quotidien, là où une personne en déficit les interprétera péjorativement. Résultat : un état émotionnel complètement différent qui va entraîner des répercussions sur la joie de vivre ainsi que sur l’équilibre mental.
Comment se forme l’estime d’une personne ?
Cet édifice débute à l’enfance avec ses parents, se poursuit à l’adolescence avec ses amis puis, dans la vie adulte, se nourrit dans les sphères du travail et des loisirs. L’homme a besoin des autres pour s’auto-évaluer. Comment saurait-il qu’il est spécial, si ce n’est par le fait qu’en moyenne, les gens obtiennent leur permis de conduire du troisième coup et lui du premier ? On se compare aux autres pour s’évaluer.
Il n’est pas rare de voir des assistantes de direction se donner corps et âme, parfois aux dépens de leur foyer pour gagner un « Bravo Madame Cohen » de la part du patron ou celui qui mettra toujours en avant ses nombreuses heures passées à travailler le soir pour qu’on salue son dévouement. Les gens se nourrissent de l’agrément de leur entourage. Chez certains, ce besoin de reconnaissance perpétuel les rend incapables de dire « non » sous peine d’être écartés et oubliés.
Une fois l’outil média en main, ils n’y vont pas de main morte. Ils publient, vérifient le nombre de vues, de likes, de commentaires laissés. Et cela définit souvent l’état émotionnel qu’ils auront durant la journée.
Le véritable problème est que l’homme cherche à nourrir son être intérieur du regard de la société moderne. Pour obtenir l’aval des gens de ce monde, il faudra être dans leur standing. Paraître celui qu’ils adulent, correspondre à leur modèle de réussite sociale, susciter leur intérêt, adopter leurs valeurs etc. Un cercle fermé, puisque lui-même nourrit des idéaux véhiculés par la bien-pensance industrialisée par les influenceurs sociaux. L’homme a-t-il une chance de sortir de cette spirale infernale ?
Maïmonide poursuit : « Par conséquent, l’homme doit s’efforcer de s’attacher aux Sages et de fuir les impies pour ne pas apprendre de leur agissements. Ainsi que l’enseignait le roi Salomon : « Frayer avec les Sages, c'est devenir Sage ; fréquenter les sots, c'est devenir mauvais. »
Si Maïmonide ne récuse pas l’existence de ce processus social, il conseille de le rediriger au contact de gens dont les valeurs sont pures. En effet, les Sages n’estiment pas la valeur d’un individu au travers de ses avoirs ou de ses performances, mais venant du fait qu’il est créé à l’image de D.ieu. « Cher est l’homme car il est créé à l’image de D.ieu », enseignent les Maximes des Pères.
C’est également le sens de l’enseignement de Rabbi Yossi Ben Kisma qui refusa un job en or pour ne pas habiter loin d’un environnement de Torah. « Même si on me donnait tout l’or et les pierres précieuses du monde, je n’habiterais jamais hors d’un lieu de Torah. »
Nous avons déjà une première piste pour endiguer le phénomène : s’entourer des bonnes personnes. Le conseil de Maïmonide comprend également d’avoir le courage de changer d’environnement social s’il devient nocif pour nous ou nos proches.
Toutefois, il existe une autre voie pour s’extraire de la dépendance du regard de l’autre.
Que l’Éternel remplisse ton monde
Rabbénou Yona de Géronde écrit : « L’homme d’Israël doit être conscient de sa valeur et qu’il sache l’estime que D.ieu lui porte ainsi qu’Il portait à ses ancêtres. » Une pensée qui se fait l’écho d’une Michna qui déclare qu’un homme doit se dire : « Pour moi, le monde a été créé. » Aux yeux de la Torah, chaque Juif justifie à lui seul l’existence du monde. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la Torah déclare que le bon fonctionnement du monde dépend de chaque Juif, même ceux qui nous semblent totalement insignifiants.
Lorsqu’une personne médite sincèrement sur les concepts de la Providence, elle peut alimenter son estime d’elle-même en l’appuyant sur le rocher le plus stable qui soit, à l’instar du roi David qui écrivait : « L’Éternel est mon rocher, ma forteresse et mon libérateur ; Mon D.ieu, mon rocher où je trouve un abri. »