Au moment où Mordekhaï, dans l’histoire d’Esther, apprend la nouvelle concernant la décision du roi d’exterminer les Juifs, il va interroger les enfants qui étudient la Torah, et il leur demande de dire quel verset ils viennent d’étudier. Le Midrach (Esther Rabba 7, 14) rapporte que trois enfants vont lui répondre. Le premier lui répond : « Ne crains pas les frayeurs soudaines, ni le malheur que les méchants veulent faire fondre sur toi » (Proverbes 3, 25). Le deuxième enfant lui dit : « Concertez des plans, ils échoueront ; prenez des résolutions, elles ne se réaliseront pas, car l’Eternel est avec nous » (Isaïe 8, 10). Un troisième enfant interrogé répond : « Jusqu’à votre vieillesse, Je resterai avec vous, jusqu’à votre âge avancé, Je vous soutiendrai. Comme Je l’ai fait, Je continuerai à vous porter, à vous soutenir, à vous sauver » (Ibid. 46, 4). Mordekhaï, entendant ces versets, est rassuré. Ces versets lui annoncent l’échec des projets d’Haman contre le peuple juif. Les enfants, innocemment, annoncent que les ennemis d’Israël échoueront, et que l’Eternel ne cessera de protéger Son peuple. Cet épisode, rapporté par le Midrach Rabba, résume en fait toute l’histoire d’Esther, mais aussi toute l’Histoire. Les mots parlent par eux-mêmes. Il suffit de les entendre pour comprendre. Il n’y a pas ici de prophétie. Les enfants ignorent la portée de leur récit. Le commentaire est inutile. La prétérition est le moyen le plus fort pour exprimer ce qui n’est pas dit !
Toute la Méguila doit être comprise de cette façon. Le Nom d’Hachem n’est, en aucune circonstance, mentionné. Une seule fois, selon le commentaire d’Ibn Ezra, Mordekhaï s’adresse ainsi à Esther de façon voilée, en évoquant son aventure : « Qui sait si ce n’est pas pour un tel moment que tu es parvenue à la royauté ? » (Esther 4, 14). Il est évident que la question de Mordekhaï n'est que théorique, car il sait bien, lui, pour quelle raison elle est devenue reine. Quand il dit : « Qui sait », il affirme, sans le dire : « Apprends à voir clair, au-delà des évènements apparents, qu’il y a une Providence Qui t’a mise dans cette situation pour que tu puisses sauver ton peuple ». Rien de clair n’est dit, mais il faut voir clair, au-delà des faits apparents ! Il suffit de réfléchir et d’approfondir les circonstances.
Toute la leçon de Pourim est incluse dans cette optique. Les faits sont parfois obscurs, pas vite compréhensibles, mais si notre foi est solide, alors, il apparaîtra qu’il y a un sens, une direction dans l’Histoire. C’est pour cette raison que l’on ne récite pas le Hallel à Pourim, car, comme le disent les Sages, « Keriata Zo Hilloula » : raconter l’histoire, lire la Méguila, c’est la plus grande louange au Tout-Puissant. Réciter le texte, lire la Méguila, présenter les faits et l’enchaînement des circonstances, c’est assurément la meilleure preuve de notre remerciement au Créateur. Quand Moché Rabbénou demande à voir, à comprendre la voie de l’Eternel, il s’attire la réponse : « Tu ne peux Me voir que par derrière, car Ma face ne peut pas être vue » (Chémot 33,23). On ne peut voir et comprendre vraiment les évènements que « par derrière », c’est-à-dire par leurs conséquences.
Il nous faut comprendre que le monde n’est pas toujours à notre portée, mais jamais il ne faut oublier Qui en est l’Auteur. C’est ainsi que l’on peut dire que le monde matériel est un masque qui cache le Maître du monde. Lorsque l’on dit qu’à Pourim, la perspective est l’inverse de la situation habituelle (quand on dit « Vénaafokh Hou » – voyons les choses à l’envers à Pourim), cela signifie que l’on est conscient que la réalité est différente de ce qui apparaît généralement, car ce n’est qu’à Pourim, qu’on découvre la Vérité : le monde est une apparence extérieure d’une réalité intérieure. De ce fait, en buvant à l’excès, on parvient à la situation de ne plus savoir où est le Bien (Béni soit Mordekhaï), et où est le Mal (Maudit soit Haman), situation d’Adam Harichon AVANT la faute, quand il ne savait pas encore distinguer le Bien du Mal.
Il s’agit, à ce stade, d’une situation idéale, mais provisoire, car l’excès ne saurait jamais être encouragé. La jouissance physique obtenue à Pourim, autorisée une fois dans l’année, est comparée à l’abstinence, également provisoire, obtenue par le jeûne à Yom Kippour, en liant les deux termes : « Kippourim Képourim » (comme Pourim). L’abstinence de Yom Kippour comme l’excès de Pourim sont des éléments – uniques dans l’année – qui doivent nous permettre de mieux voir, toute l’année, la vraie signification du monde matériel, en retirant le masque qui cache l’Auteur de la Création.