La Parachat Yitro est un moment particulièrement symbolique dans le calendrier Juif puisqu’elle coïncide avec la lecture des « 'Assérèt Hadibrot » « les dix paroles / commandements ». Cet évènement fondateur dans l’histoire du peuple juif met en relief l’importance des liens familiaux à différents égards.
Tout d’abord, les dix paroles que nous allons lire ce Chabbath nous rappelle une des particularités fondamentales de la tradition juive : la révélation de D.ieu au Sinaï n’était pas adressée à une seule personne (contrairement aux récits des autres religions) mais à l’ensemble du peuple. Et dès lors, s’est opérée une tradition ininterrompue de génération en génération. C’est ainsi que, depuis des millénaires, notre peuple a traversé l’histoire en opérant un miracle unique dans l’aventure humaine : transmettre fidèlement un héritage ancestral, en dépit des persécutions, des exils, et des vicissitudes de l’histoire. Combien d’empires beaucoup plus puissants et nombreux se sont effondrés ? Combien de civilisations ont été englouties par l’histoire ? Combien de cultures n’ont plus d’autre existence que dans les galeries des musées ?
Cette aventure miraculeuse, nous la devons avant tout à la providence Divine, naturellement, mais également au souci qui a animé chaque génération d’assurer une transmission fidèle aux futures générations.
A cet égard, nos Sages, et notamment Na'hmanide, nous disent que lorsque D.ieu a demandé aux enfants d’Israël quelle garantie ils pourraient Lui donner que la Torah serait bien gardée, ces derniers ont répondu qu’ils la transmettront à leurs enfants et que jamais « les parents ne mentiront aux enfants » !
C’est dans cette confiance inaltérable entre parents et enfants que le peuple Juif a puisé notamment sa force de transmission à travers les siècles.
Il se joue donc dans la relation entre les parents et les enfants une question fondamentale. Cet enjeu nous est rappelé notamment dans notre Paracha à travers la Mitsva bien connue du « respect des parents » qui fait partie du décalogue « Tu respecteras ton père et ta mère afin que tes jours se prolongent… ».
Ce commandement est paradoxal à plus d’un titre : il semble tout à fait naturel et universel, mais il est l’un des plus durs à accomplir rigoureusement tant son périmètre est difficile à circonscrire ; il évoque des relations entre des hommes, mais pourtant, il fait partie des cinq premiers commandements régissant les relations entre l’homme et son Créateur.
Essayons donc d’approfondir le sens de ce commandement. Dans le traité Kidouchin (31 a), les Maîtres du Talmud nous disent : « Lorsqu’une personne honore son père et sa mère, Hachem dit : "Je considère que c’est comme si Je résidais auprès d’eux et qu’ils M’honoraient" ».
Tout se passe comme si notre tradition voulait nous inviter à ressentir que dans la relation qui unit parents et enfants, l’homme peut apprendre, toute proportion gardée, des notions fondamentales relatives à la foi et à la transcendance qui, en principe, échappent complètement à l’entendement humain.
La relation aux parents a ceci de spécifique qu’elle accompagne l’homme tout au long de sa vie, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Ce n’est pas une relation que l’homme choisit, mais elle « s’impose » à lui, car elle est à l’origine de son existence. Ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler, en partie, les liens qui unissent l’homme au Maître du monde. D’ailleurs, le Talmud précise : « Trois associés sont à l’origine de l’homme : son père, sa mère, et le Saint béni soit-Il » ».
En réalité, à travers le respect qu’un homme témoigne à ses parents, il s’éveille également à certaines dispositions de cœur et d’esprit qu’il doit développer à l’endroit de l’Eternel.
L’image des parents habite bien souvent un individu tout au long de sa vie, et cette image l’oblige à se comporter de la meilleure manière possible. Peu importe que ses parents soient présents ou non à ses côtés, un homme ressent dans sa sensibilité quelle attitude est digne de lui, de l’éducation qu’il a reçue et celle qui ne l’est pas. Chacun sait spontanément comment il doit agir pour qu’à travers ses actes ses parents soient honorés. Leur image et le respect qui leur est dû l’habitent en permanence, même s’ils ne se trouvent pas physiquement à ses côtés à un instant donné.
Or, toute proportion gardée, c’est également ce qui est demandé à l’homme de ressentir à l’égard du Maître du monde. Cette conscience de la présence de D.ieu permanente à ses côtés l’oblige à surveiller ses actes, ses paroles, voire même ses pensées ; elle l’exhorte à essayer de donner le meilleur de lui-même en permanence. Nos Sages nous rappellent que lorsque l’homme se comporte dignement, lorsqu’il suscite l’admiration de ceux qui l’observent, alors c’est également un honneur pour le Créateur du monde.
Autre illustration, les parents chérissent chacun de leurs enfants même si certains commettent parfois des erreurs, des fautes ; il désirent qu’ils s’amendent et se ressaisissent et ils savent gré à ceux qui leur tendent la main pour les aider à se relever, à ceux qui les ménagent par des paroles bienveillantes et qui s’abstiennent de les accabler davantage. Bien souvent les fratries s’illustrent par une solidarité et un amour à toute épreuve, aussi bien en vertu de l’amour naturel que chacun éprouve envers l’autre, mais aussi par égard pour les parents qui y sont très sensibles.
Or, vous l’avez compris, là encore, la Torah ne ménage pas ses efforts pour exhorter les hommes à la solidarité, la fraternité, la bienveillance les uns envers les autres. Or, on ne peut probablement comprendre mieux cette ambition de notre tradition et l’attitude qui est attendue de nous qu’en nous plaçant sur le terrain de la famille. De même que l’on refuserait d’accabler un frère dans l’adversité, D.ieu nous en préserve, de même nous devons tout faire pour juger avec bienveillance et aider nos sœurs et nos frères qui s’égarent ou avec lesquels nous ressentons moins de proximité. C’est là aussi une manière d’honorer la Maître du monde. Et, bien souvent, nous faisons alors de grandes découvertes sur la nature humaine et sur nous-mêmes.
Enfin, le respect dû aux parents est la forme la plus élémentaire de la gratitude que nous leur devons pour nous avoir donné la vie, avec l’aide de D.ieu, pour tous les sacrifices qu’ils ont consenti pour nous élever, et pour toutes les bontés et l’amour qu’ils nous donnent au quotidien. Notre tradition pense que celui qui ne parvient pas à respecter ses parents en dépit cette dette immense que nous avons à leur égard, aura également du mal à ressentir la gratitude appropriée à l’égard du Créateur du monde, et à percevoir toutes Ses bontés à notre égard.
Nul n’ignore que les relations familiales ne sont pas toujours aussi constructives, elles peuvent parfois se transformer, D.ieu nous en préserve, en un lieu de tensions voire d’oppression. Les psychologues ont toutefois montre qu’en dépit de ces difficultés, les enfants gardent en eux une force de résilience qui leur permet de se construire pour le meilleur malgré une enfance difficile. En effet, à côté des parents, il reste le troisième associé, le Maître du monde, qui aime, écoute et protège tous Ses enfants avec le même amour infini.
Puisse l’Eternel nous permettre d’accomplir cette Mitsva exigeante du respect des parents et de nous rapprocher également ainsi de notre Créateur.