Avec le livre de l’Exode, il est intéressant de constater que le lien qui unit les hommes à leur Créateur prend bien souvent les traits d’une relation de parent à enfant. Le texte biblique nous dit ainsi « Alors tu diras à Pharaon : "Ainsi parle l'Éternel : Israël est le premier-né de mes fils ; or, je t'avais dit : Laisse partir mon fils, pour qu'il me serve et tu as refusé de le laisser partir". » (Exode 4.22). Et, précisément, nous verrons qu’en examinant les enseignements inhérents à cette approche, nous pourrons en déduire des implications en matière d’éducation.
Dans la Paracha précédente de la Sidra « Bo », nous avons vu que la cellule familiale était le lieu central des étapes qui ont précédé la sortie d’Egypte : cérémonial du Korban Pessa'h au sein de chaque famille, devoir de ne pas sortir de chez soi... Tout se passe comme si la maison incarnait à la fois un lieu de protection et d’éducation afin, notamment, de se séparer de la culture égyptienne et de ses valeurs. Pour s’éloigner de ce contre-modèle, les enfants d’Israël sont appelés à se réunir dans leur famille et à affermir dans leur cœur leur foi en un D.ieu unique, notamment au gré des fameuses questions que les enfants, chacun selon sa nature, posent à leurs parents.
Avec la Paracha de cette semaine, nous changeons de perspective. Le peuple n’est plus esclave en Egypte, il est sorti de ce pays, chemine vers sa libération définitive du joug égyptien. Notre Paracha a ceci de spécifique qu’elle s’ouvre et se clôt sur le récit d’une guerre, contre les Egyptiens pour la première, et contre 'Amalek pour la seconde.
Toutefois, une différence de taille oppose ces deux combats : dans le premier c’est D.ieu qui mène le combat « L'Éternel combattra pour vous ; et vous, tenez-vous tranquilles !" (Exode 14.14), alors que dans la deuxième, ce sont les hommes eux-mêmes qui combattent, avec l’assistance divine évidemment mais les hommes semblent à la manœuvre « Moïse dit à Josué : "Choisis des hommes et va livrer bataille à 'Amalek". » (Exode 17.9)
Or cette évolution est caractéristique du processus d’éducation qui doit prévaloir au dans la relation entre parents et enfants. L’objectif de l’éducation est d’évoluer d’une situation où c’est le père qui mène les combats pour le bien de leur enfant (lui enseigner les vertus, l’éloigner des mauvaises fréquentations…) à une situation où les enfants sont capables eux-mêmes de mener leurs batailles.
Comme l’explique le Rav Jonathan Sacks, les parents doivent ainsi, progressivement, laisser de la place aux enfants afin qu’ils puissent trouver leur place dans le monde. Notre tradition nous enseigne ainsi qu’à l’origine du monde, D.ieu a dû contracter sa présence pour permettre à l’homme d’exister de manière autonome et d’avoir un libre arbitre. Les parents doivent probablement, à leur échelle, s’inspirer de cette démarche pour apprendre à laisser progressivement de l’autonomie à leurs enfants.
En réalité, la parentalité tout comme l’enfance doivent s’appréhender non de manière figée, mais de manière dynamique, en évolution permanente, en quête du « fine tuning », du meilleur équilibre. L’enfant a besoin de la présence protectrice de ses parents durant son enfance, elle est même nécessaire à sa survie les premières années. Mais progressivement, l’enfant gagne en maturité, et la sollicitude des parents évoluent en parallèle, elle se fait moins technique et plus affective, puis elle continue à modifier ses contours au fil de la progression des enfants. Cette relation ne perd jamais de sa force, mais elle emprunte des voies différentes, donnant à l’enfant puis à l’adulte tout au long de sa vie l’assurance d’un amour indéfectible, essentiel à son équilibre.
Il ne s’agit naturellement pas d’une tâche aisée, et le texte biblique ne l’ignore pas. Non seulement, car les parents doivent apprendre à laisser « partir » les enfants, ce qui représente une forme de déchirure ; mais, en outre, car cela suppose parfois de les voir marcher dans les mauvaises directions, préjudiciables à leur équilibre à court terme mais parfois nécessaires à leur évolution, et leur autonomie future.
C’est précisément là le sens de la « colère » de D.ieu qui est évoquée par le texte de la Torah. En effet, si l’on peut se permettre ces images en parlant de l’Eternel, il ne s’agit pas tant d’une « colère », d’un sentiment d’exaspération que d’une angoisse et un dépit de voir un fils emprunter des mauvais chemins et faire des mauvais choix.
Comme nous l’avons vu la première guerre sur laquelle s’ouvre notre Paracha est celle miraculeuse contre les Egyptiens devant la mer, la deuxième est celle que les hommes mènent eux-mêmes contre leurs ennemis. La première a changé les lois naturelles avec l’ouverture de la mer, elle était nécessaire car les hommes ne savaient pas se battre mais elle n’a pas modifié profondément la nature du peuple qui va d’ailleurs se rebeller quelques versets plus loin ; la seconde guerre, en revanche, a changé les hommes, elle leur a permis de se rapprocher de l’Eternel, et, ce faisant, de découvrir les ressources que le Maître du monde a déposées en eux.
Ce sont précisément les combats intérieurs que nous sommes capables de relever qui sont de nature à nous élever durablement. Il est légitime de solliciter la providence divine pour nous venir en aide là où les forces nous manquent parfois pour mener le combat seul, mais il est important de comprendre que parfois, lorsque nous avons le sentiment de mener des luttes personnelles difficiles, il se joue à ce moment des enjeux capitaux susceptibles de nous élever spirituellement, de nous faire gagner en sagesse, et donc d’améliorer de manière substantielle notre qualité de vie.
En réalité, ces combats, nous ne les menons jamais seuls. L’Eternel est toujours à nos côtés pour nous aider et nous soutenir, mais Sa présence est discrète. Il serait probablement beaucoup plus simple pour l’Eternel d’intervenir directement, mais comme nous l’avons vu avec la traversée de la mer, cela n’a pas de lendemain. L’Eternel souhaite que l’homme grandisse durablement, voilà pourquoi Il voile sa présence afin de laisser l’homme mener certaines batailles nécessaires à son équilibre. C’est notamment le cas des guerres contre 'Amalek, qui se renouvellent à chaque génération et qui symbolisent les luttes contre le « Yétser Hara’ », le « mauvais penchant » qui s’évertue à empêcher l’homme de grandir.
Puisse l’Eternel permettre à tous les parents d’accompagner avec harmonie leurs enfants grâce à une éducation éclairée, et aux enfants de devenir des adultes autonomes, sages et susceptibles à leur tour d’éclairer le monde !