Un des enjeux centraux des parachiot du livre de la Genèse repose sur la question de la fraternité. A cet égard, un des axes de lecture du premier livre de la Torah est d’assister, au fil des parashiot, au dénouement de cette relation qui apparait à la fois comme une très grande proximité mais aussi une rivalité.
Que l’on pense à l’épisode de Cain et Avel, de Yishmael et Yitshak, de Esav et Yaakov, ou encore de Yossef et ses frères, la relation entre les frères n’est pas apaisée, et la fin du livre de Béréchit tente d’y apporter une réponse, notamment à travers la figure de Yehouda qui devient progressivement un personnage central dans la famille de Yaakov.
Rappelons tout d’abord que Yehouda n’est pas le fils ainé de Yaakov, il est le quatrième fils de Yaakov. L’ainé est Réouven qui se caractérise également par une forme de leadership dans la fratrie mais un leadership parfois affecté par l’émotion et la sensibilité qui semble le desservir.
Reouven s’élève le premier contre la condamnation à mort de Yossef, et il obtient qu’il soit plutôt jeté dans un puits. Toutefois cela ne réglait pas la question de sa survie, il pensait probablement venir le chercher plus tard, mais cette issue n’apparaissait pas clairement aux yeux de ses frères. C’est finalement Yehouda qui va plaider pour le sortir de ce puits et le vendre comme esclave à des marchands arabes. Sa situation n’est certes pas enviable mais elle permet aux frères de ne pas être directement responsable de la mort de Yossef.
Rav Shmoulevitch souligne que Yehouda se caratérise ainsi par son sens des responsabilités. En effet, constatant que le condamnation à mort de Yossef ne pouvait pas être assumée moralement par les frères, il suggère de revenir sur cette sentence, l’annuler, et lui trouver une alternative. Il fait ainsi l’expérience qu’un jugement réprouvé par la morale n’est pas un bon jugement, et il en tire toutes les conséquences.
Dans la paracha de cette semaine, Yehouda revient à la manœuvre dans une situation particulièrement épineuse. Yossef est alors vice-roi d’Egypte, et il accuse ses frères (qui ne l’ont pas reconnu) d’être des espions. Yossef emprisonne Shimon, et il exige qu’on lui apporte Binyamin, resté auprès de Yaakov, pour attester la sincérité de ses frères. Toutefois, Yaakov refuse d’envoyer son plus jeune fils au risque d’être lui aussi emprisonné. Cette situation n’est toutefois pas tenable, car la famine menace et ils ne pourront y échapper qu’en retournant en Egypte afin d’ay acheter des provisions.
A nouveau, Réouven, le fils ainé, a une bonne intuition mais la solution qu’il propose n’est pas opérante car trop exaltée par l’émotion. Il suggère en effet de se porter garant que Binyamin ne sera pas emprisonné et affirme que s’il échoue, il est prêt à ce que ses deux fils meurent, D. préserve.
Yehouda intervient après lui en se portant garant lui-même de la réussite de la mission, et s’engageant à supporter lui-même la responsabilité d’un échec « tous les jours de sa vie », quitte à perdre sa part dans « le monde futur ». (Rav H. Shoumlevitch, Sihot Moussar, trad. Pr. F. H. Lumbroso).
C’est précisément cette démarche de responsabilité individuelle qui achève de convaincre Yaakov de laisser partir Binyamin. Et de fait, son engagement ne sera pas feint, il proposera plus tard à Yossef de rester lui-même esclave auprès de lui à la place de son frère Binyamin.
C’est ainsi que la relation de fraternité, mise à mal dans le début du livre de Béréchit, connaît un tournant avec Yehouda. A la question posée par Cain « Suis-je le gardien de mon frère ? », Yehouda apporte une réponse définitive « Oui, je suis le gardien de mon frère et je suis prêt à m’engager pour lui ».
Il fait également une forme de « tikoun », de « réparation » de la faute originelle à l’égard de Yossef mue notamment par la jalousie vis-à-vis de ce frère pour lequel Yaakov avait une tendresse particulière. Binyamin est aussi une enfant choyé par son père, le plus jeune de la fratrie, et le fils de Rachel, l’épouse bien aimée de Yaakov.
Toutefois, ces éléments n’ont plus tellement d’importance aux yeux de Yehouda qui semble avoir compris que son rôle et sa vocation ne dépendent pas de la relation que son père entretient affectivement avec ses frères, mais davantage de la mission qu’il s’assigne à lui-même et des responsabilités qu’il est prêt à endosser.
C’est précisément cette approche qui va déterminer la ligne de conduite de Yehouda et qui va lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans l’histoire.
A cet égard, il est intéressant de noter que, lorsque Tamar lui apportera les preuves de leur union, il ne cherchera pas à fuir sa responsabilité mais il la reconnaîtra publiquement avec une grande humilité. Au lieu de condamner à mort Tamar, il célèbre sa grandeur et reconnait son acte. Ce faisant, il a ouvert la voie au futur Mashiah’, rédempteur de l’humanité qui sera la descendant de cette union placée sous le signe d’un double esprit de responsabilité : celui de Tamar prête à se laisser tuer plutôt que de faire honte à Yehouda, et celui de Yehouda qui est prêt à s’humilier publiquement plutôt que de fuir sa responsbailité.
Cette question de la fraternité qui se poursuit dans les prochaine sections de la paracha de Béréchit n’est pas anecdotique, elle est fondamentale en ce sens qu’elle pose la question de la « responsabilité » vis-à-vis d’autrui. Elle dépasse le cadre de la famille, puisque chaque membre du peuple Juif a vocation à voir dans l’autre son « frère » et donc d’agir à son égard avec « responsabilité ».
C’est précisément de ce sentiment collectif de responsabilité que viendra, avec l’aide d’Hashem très rapidement, le Mashiah’ !