La Paracha de cette semaine revêt une solennité particulière pour de nombreuses raisons. En effet, elle constitue d'une part l'ultime interpellation de Moché Rabbénou aux enfants d'Israël, et elle est lue d'autre part juste avant Roch Hachana.
Nous comprenons ainsi immédiatement que les enjeux évoqués par cette Paracha sont essentiels : ils nous révèlent des secrets de l'aventure humaine et nous indiquent ce qu’Hachem attend de nous.
Dans la relation qui lie les parents aux enfants, le langage populaire dit volontiers que « les parents ont donné la vie aux enfants » avec l’aide d’Hachem. Or un verset de notre Paracha vient mettre en question ce postulat, en effet la Torah nous dit « J'ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité ; choisis la vie ! Et tu vivras alors, toi et ta postérité. » Alors, la vie, un « don » ou un « choix » ?
En réalité, la Torah énonce à de nombreuses reprises (cf. Paracha Réé) qu’Hachem a placé l'homme de manière fondamentale, et tout au long de sa vie, face à un choix : la bénédiction ou la malédiction, la vie ou la mort. Ce choix qui se pose à l'homme le renvoie ainsi en permanence à sa liberté, à son libre arbitre.
Dans la Torah, l'homme n'est voué à aucun destin, il n'est enchaîné à aucune fatalité qui décide de sa vie à sa place. Contrairement aux tragédies grecques qui mettaient des familles entières aux mains d'un destin qui les dépassait et les condamnait à des malheurs sur plusieurs générations, la Torah postule la liberté fondamentale de chaque homme. Chacun est ainsi libre de décider de son avenir, libre de choisir la voie qu'il veut emprunter.
Rappelons ces mots du Rambam dans les lois sur le repentir (Hilkhot Téchouva, chap. 5, v. 1 et 2) : « A tout homme a été donné le libre arbitre. S'il désire s'engager dans la voie du bien et être un juste, il ne tient qu’à lui. S'il veut au contraire s'engager dans la voie du mal et être un méchant, il lui est tout loisible également. [...] C'est lui, en réalité, qui décide lui-même et en pleine conscience, s'engage dans la voie qu'il désire. »
Mais la Paracha va encore plus loin : elle ne se contente pas de poser cette alternative, elle exhorte l'homme à s'orienter dans la seule direction souhaitable, celle de la vie, bien sûr.
Reconnaissons qu’il peut paraître étonnant de demander à l'homme de choisir la vie. En effet, la vie ne semble pas relever d'un choix positif de l'homme, elle s'impose à chacun de nous : nous vivons, c'est un état de fait. Les Sages nous suggèrent plusieurs clés de compréhension de ce verset essentiel.
La première lecture possible de ce verset consiste à considérer que l'homme est tiraillé durant sa vie par de multiples envies, des tentations, des pulsions qui le mènent dans des chemins de vie différents. Or, toutes ces envies ne sont pas porteuses d'un même élan vital, certaines peuvent même mener l'homme parfois à s'autodétruire. La psychanalyse a fait de ces pulsions mortifères un champ d'étude, et Freud a souligné combien la civilisation moderne a pu être animée par une force d'autodestruction puissante, notamment au cours de la Première Guerre mondiale.
Ce qui se joue au niveau des civilisations se joue également au niveau de l'individu, et la Torah n'a pas attendu le 20ème siècle pour mettre en garde l'homme sur cette réalité.
Comme nous le savons, l'homme doit lutter contre un principe de négativité, de destruction qui se nomme « Yétser Hara » (mauvais penchant), qui se renouvelle chaque jour pour le mener à la faute et l'éloigner précisément des chemins de vie préconisés par la Torah. Il ne faut probablement pas imaginer le Yétser Hara' de manière caricaturale comme incarnant le mal et le revendiquant, auquel cas peu d'homme tomberait dans ses filets. La grande difficulté avec le Yétser Hara' est qu’il prend parfois le masque du bien, il feint de préconiser une conduite morale, de défendre des valeurs importantes pour piéger l'homme et le faire chuter.
Toutefois, notre tradition nous enseigne que D.ieu n'a pas laissé l'homme seul face au Yétser Hara, il lui a donné un remède qui le protège de ses attaques : la Torah. C'est ainsi que l'étude régulière de la Torah, le respect des commandements, l'exigence vis-à-vis de soi-même permet à l'homme de rester en éveil et de ne pas se laisser séduire par des discours fallacieux et dangereux. C’est probablement là un des sens du commentaire de Rachi sur notre verset :
Tu choisiras la vie : Je vous engage à choisir la part de la vie. C’est comme quelqu’un qui, ayant dit à son fils : « Choisis-toi une belle part dans mon héritage ! », l’aura installé dans la part la plus belle et lui aura affirmé : « C’est celle-là que tu dois choisir ! »
Tel un père soucieux pour ses enfants, Hachem nous a donc mis entre les mains un cadeau unique, infiniment précieux : la Torah qui nous permet au quotidien de savoir comment choisir la vie.
L'étude de la Torah donne à l'homme un baromètre pour l’aider à décider de ses actions, et savoir, par exemple, si telle action est authentiquement bonne ou bien si elle dissimule une face plus obscure. Voilà pourquoi la vie, et notamment l'élan vital et positif que nous donnons à notre existence au quotidien, est avant tout un choix. Elle suppose une décision assumée d'être maître de son destin, et d'adopter la Torah comme mètre-étalon de ses actions, de ses paroles et de ses pensées.
Evidemment, cette ambition est très grande et peut donner le vertige. Il faut peut-être commencer en se disant que chaque action, chaque parole, chaque pensée auxquelles nous imprimons le sceau de « la vie » sont des lumières que nous créons dans le Ciel et qui nous renforcent et, au fur et à mesure, avec l’aide d’Hachem, nous parviendrons à multiplier ces lumières.
Nos Sages nous suggèrent également de voir dans cette exhortation de la Torah à « choisir la vie » une invitation à faire le choix de la vie spirituelle, et de ne pas s'en tenir uniquement à la vie matérielle. En effet, la vocation de l'homme ne peut être réduite à ses occupations matérielles qui s'imposent à lui et ne lui demandent, il est vrai, aucun choix.
En revanche, un choix se pose à l'homme lorsqu'il doit dépasser ses réactions naturelles et pulsionnelles pour faire prévaloir ce qu'il sait au fond de lui être le bien. C'est ainsi que l'homme choisit effectivement la vie lorsqu'il parvient à soumettre ses réactions instinctives aux prescriptions de la Torah, lorsqu'il renonce à certaines envies parce qu'elles sont interdites. Et bien sûr, comment ne pas mentionner, à quelques jours de Roch Hachana, le repentir, la Téchouva comme choix de vie fondamental. L'homme qui parvient à reconnaitre ses erreurs, à les confesser verbalement et à y renoncer définitivement ressent au fond de lui une énergie vitale incomparable, il reprend le contrôle de sa vie et choisit positivement la vie qu'il désire mener, et non celle que les hasards de sa naissance et de son environnement avaient décidé pour lui.
On pourrait commenter sans fin cette Paracha, alors qu’en réalité, les mots de la Torah sont parfaitement clairs et se passent de tout commentaire. Relisons les derniers mots de Nitsavim qui résument la destinée du peuple juif de manière limpide : « Aime l'Éternel, ton D.ieu, écoute Sa voix, reste-Lui fidèle : c'est là la condition de ta vie et de ta longévité, c'est ainsi que tu te maintiendras dans le pays que l'Éternel a juré à tes pères, Avraham, Its’hak et Ya'acov, de leur donner. »
Puissions-nous avoir le mérite de choisir la vie comme nous y invite notre Paracha, de progresser dans l’étude de la Torah, la pratique des Mitsvot et le raffinement des Midot (traits de caractère) afin de remercier Hachem pour toutes les bontés dont Il nous comble et pouvoir ainsi déployer les trésors de notre âme, de notre Néchama ! Puisse Hachem nous inscrire tous dans le livre de la vie, de la vie matérielle et de la vie spirituelle pour nous et nos familles, et nous permettre d’assister très prochainement à la reconstruction du Temple et d’accueillir le Machia’h !