La Paracha de Terouma introduit la notion fondamentale dans notre tradition du Michkan, du « sanctuaire », qui deviendra plus tard le Temple, et qui est un élément central dans la vie spirituelle du peuple juif. Cette centralité est paradoxale car cela fait plus de 2000 ans que le Temple a été détruit et qu’il n’a pas pu être reconstruit, à cause de nos fautes. Pour autant cette absence n’a jamais effacé ni affaibli l’importance que le Temple revêt dans notre tradition. Il reste une de nos aspirations spirituelles les plus fortes et est associé avec l’espoir messianique.
Le « sanctuaire » représente dans notre tradition la « maison » que l’homme doit construire pour l’Eternel. Les prophètes, puis les maîtres de toutes les époques ont relevé avec insistance l’étonnement que peut susciter un tel projet : comment l’homme peut-il avoir l’ambition de réaliser une maison pour l’Eternel ? Le prophète Isaïe rapporte ces propos de l’Eternel : « Le ciel est Mon trône, et la terre mon marchepied, quelle est la maison que vous pourriez me bâtir ? ».
Une maison est une nécessité pour un homme, mais elle ne semble pas adaptée pour l’Eternel qui n’a pas besoin de lieu matériel pour habiter le monde. D’ailleurs le verset lui-même qui donne l’ordre aux hommes de créer un sanctuaire reflète cette ambiguïté « Ils me feront un sanctuaire et Je résiderai en eux » (Exode 25.8). Le texte aurait dû dire « et Je résiderai en lui », que signifie ce pluriel « en eux » ?
Et, pourtant, D.ieu, dès les premiers versets de notre Paracha, demande aux hommes de Lui bâtir une « maison ». Nos Sages établissent un parallèle entre la construction du monde par D.ieu Lui-même pour y accueillir l’homme, lors des premiers chapitres de la Genèse, et la construction du Michkan par l’homme pour offrir une résidence à D.ieu. Au mouvement de retrait partiel de la présence divine pour permettre à l’homme d’exister et d’avoir un libre-arbitre dans ce monde, répond le mouvement de dévoilement de la présence Divine dans le monde par le biais du Michkan. Ces deux dynamiques se répondent mutuellement pour permettre au monde de trouver son point d’harmonie.
La construction du « sanctuaire » est également le « Tikoun », la « réparation », de la faute originelle qui avait conduit à un éloignement de la présence divine.
Bref, comme chacun le comprend, la construction du « Michkan » a vocation à ancrer l’homme sur terre tout en lui permettant de se relier à l’Eternel. Le judaïsme ne prône pas une forme de mise en retrait du monde, une retraite de la vie matérielle, pour se concentrer aux spéculations métaphysiques dans le secret des alcôves désertes des lieux de méditation. Non, la vie spirituelle d’un juif se déroule davantage au cœur du monde, au milieu des hommes, dans le cœur battant de la société.
Or, quelles sont ces lieux de vie où se joue le devenir de chaque génération ? Les maisons, les foyers de chaque famille.
En demandant aux hommes de Lui bâtir une « maison » à taille humaine, avec un plan précis, des mesures définies, des objets symboliques tel qu’un chandelier, une table, des tentures, des rideaux, des bassins, etc., l’Eternel s’adresse à l’homme en lui parlant de son quotidien, en décrivant le lieu qui lui est le plus familier : sa propre maison. Or, un des écueils de la familiarité réside dans la banalisation. Voilà pourquoi, l’Eternel rappelle à l’homme que la maison de D.ieu « ressemble » à la maison de l’homme, transformant ainsi le banal en merveilleux. Il appartient, en outre, à l’homme de permettre à D.ieu de résider dans sa propre demeure. Les maître du Talmud ne disent-ils pas : « Si l’homme et la femme sont vertueux alors la Chekhina réside au milieu d’eux ».
Et, de fait, nous comprenons l’exclamation énoncée par le prophète Isaïe : « quelle maison peut-on construire pour l’Eternel ? » Ce projet n’a aucun sens si l’on s’en tient à sa dimension matérielle. En revanche, il assigne à chaque homme un merveilleux défi : faire résider D.ieu chez lui, dans son foyer ! Qui aurait pu imaginer une telle idée si elle n’avait pas été énoncée par l’Eternel lui-même ?
Et, de fait, la maison, loin d’être un lieu banal, est le lieu par excellence de révélation de l’homme à lui-même. C’est là où il est appelé à donner le meilleur de lui-même, à lutter contre toutes les pulsions délétères qui l’attaquent et l’assaillent. Lorsque l’homme ferme la porte de chez lui, qu’il est affranchi du regard de la société, c’est là qu’il donne la véritable mesure de sa personnalité. Qu’en est-il de sa bonté ? De sa patience ? Qu’en est-il de sa capacité à maîtriser sa colère ? Qu’en est-il de sa spiritualité ? Qu’en est-il de sa générosité à l’égard de ceux qui viennent frapper à sa porte ?
C’est ainsi que Bil'am s’exclamera malgré lui : « Ma Tovou Ohalékha Ya'acov Michkénotékha Israël » « Comme elles sont belles tes tentes Ya'acov, tes demeures Israël » (Bamidbar, 24.5), désignant ainsi les maisons des Bné Israël par le terme de « Michkan » « sanctuaire ».
Les maisons familiales des enfants d’Israël doivent aspirer à être ce point de jonction entre le Ciel et la terre, entre spirituel et le matériel. A travers les efforts que chacun accomplit pour donner le meilleur de lui-même, pour lutter contre ses mauvais instincts, pour faire preuve de générosité et de bonté à l’égard de sa famille mais aussi en accueillant les étrangers et les personnes fragiles, l’homme dépasse sa nature matérielle spontanée pour faire advenir sa véritable dimension spirituelle. L’homme doit aussi accomplir un effort de contraction de lui-même, de son égo, de sa volonté pour faire une place à autrui, à sa femme/son mari, et bien sûr à ses enfants. C’est là aussi, probablement, le sens du « prélèvement » « Terouma » que chacun doit apporter et qui donne son titre à notre Paracha.
Pour construire une maison dans laquelle D.ieu réside, il faut opérer un prélèvement sur son égo pour faire place à l’autre, pour faire régner le « Chalom », la paix, et permettre ainsi à D.ieu de résider auprès de nous. Ce prélèvement n’est authentique que s’il provient du cœur de chacun « Achser Yidévénou Libo », comme le demande l’Eternel au début de notre texte.
C’est ainsi que l’Eternel a vocation résider auprès des hommes, dans leur intimité, dans leur maison. Le Kedouchat Lévi rapporte à cet égard une interprétation intéressante donnée par les sages de la Guémara (Pessa'him 88). Ces derniers attirent notre attention sur la formulation employée par chacun des patriarches pour désigner leur perception de la présence de D.ieu. Avraham désignait la présence divine comme « Har » « une montagne », c'est-à-dire quelque chose de bien au-dessus de notre niveau, dominant l'homme. Its'hak le percevait comme « Sadé » « un champ », couvrant d'immenses étendues de terre, mais partageant la terre avec l'homme. Ya'acov le percevait comme « Bayit » « une maison », c'est-à-dire un terme intime, regardant D.ieu « comme s'il était à la maison avec les êtres humains ». Contrairement aux premiers patriarches, Yaakov percevait l’Eternel comme accompagnant constamment l'homme, tout comme une maison est le symbole d'une présence permanente.
Concluons par cette anecdote. Un 'Hassid s'est approché du 'Hidouché Harim zatsal, lorsque le Tsadik était un jeune enfant. Il a sorti une pièce d'or et a fait une offre à l'enfant : "Je te donnerai cette pièce si tu peux me dire exactement où se trouve Hachem", dit l'homme en souriant. Le jeune prodige lui rétorqua immédiatement : "Et je t'en donnerai deux si tu peux me dire où Il n'est pas !"
Puisse l’Eternel nous donner la force de faire résider l’Eternel auprès de nous, dans nos maisons et nous donner le privilège d’en faire des « petits sanctuaires » dans l’attente de l’avènement très rapide du Machia'h et du troisième Beth Hamikdach !