Un épisode célèbre de la Paracha de cette semaine réside dans la séparation entre Avraham et son neveu Loth. En effet, comme l’explique Rachi, une querelle éclata entre leurs bergers à propos du respect de la propriété d’autrui. Les bergers d’Avraham reprochaient aux bergers de Loth de laisser paître leurs troupeaux n’importe où, sans égard pour les champs d’autrui. Les bergers de Loth leur objectaient que l’Eternel a promis cette terre à Avraham, or ce dernier n’ayant pas d’enfant, c’est Loth qui héritera d’Avraham. Ils estimaient donc que cette terre finirait tôt ou tard par leur appartenir et qu’ils pouvaient en disposer à leur guise. Les bergers d’Avraham n’étaient pas de cet avis, et faisaient remarquer que, pour le moment, « Le Cananéen et le Phérizien habitent dans la terre » et cette dernière leur appartenait. Il fallait donc les respecter.
Le Zohar donne une lecture complémentaire de ce passage et souligne que Loth souhaitait, en réalité, revenir aux cultes des idoles. En effet, il s’était laissé influencer par « Le Cananéen et le Phérizien qui habitaient la terre » et il souhaitait les imiter. Voilà pourquoi, plus tard, quand il se séparera d’Avraham, nos Sages nous disent qu’il voulait se séparer du « D.ieu d’Abraham ». Derrière la querelle des bergers, pointait ainsi une querelle spirituelle fondamentale.
Face à une telle attitude, Abraham ne transige pas et décide de se séparer de son neveu. En dépit de sa très grande hospitalité et de sa bonté infinie pour les hommes, Abraham comprend qu’il en va de l’avenir spirituel de sa famille et qu’aucun compromis n’est possible.
Or, à cet égard, un passage du Talmud étudié cette semaine dans le programme du Daf Hayomi (étude quotidienne d’une page Talmud) peut donner un éclairage complémentaire à cet épisode et nous permettre de mieux comprendre l’enjeu de cette dispute.
En effet, dans le Traité Nida, page 13b, Rabbi Ami explique « l’art » du mauvais penchant (le Yétser Hara’), sa stratégie pour faire fauter les hommes. Il développe l’idée suivante « Un jour, le Yétser Hara’ te recommande d’agir d’une certaine manière [de faire un péché], le lendemain d’agir d’une certaine manière [de faire un autre péché], et le jour suivant, il finit par te convaincre d’aller servir les idoles ».
Le Yétser Hara’ agit ainsi par touche successive, par approche progressive. Il ne suggère pas à l’homme d’abandonner immédiatement toute pratique, de remettre en cause toute sa foi, mais il lui suggère simplement de ne pas prêter attention à telle ou telle faute, de « s’autoriser » telle ou telle transgression.
Rav Israël de Ruzhin zatsal souligne ainsi que le Yétser Hara' ne cherche pas à accroître les péchés que l’homme commet. Il souhaite « simplement » l’habituer à fauter, et notamment à commettre les mêmes fautes jour après jour. Or, ce faisant, l’homme s’enferme progressivement dans un cercle vicieux qui l’éloigne du service authentique de D.ieu et peut l’entraîner, D.ieu nous en préserve, à l'idolâtrie ! (Ner Israël, rapporté par Daf Yomi Digest)
C’est précisément cet écueil qu’Avraham souhaitait éviter à tout prix : ne pas transiger avec les vertus morales, en l’occurrence le vol et le respect de la propriété d’autrui. Tolérer à ses côtés de telles fautes répétées au quotidien aurait envoyé un signal négatif à tous ceux qui le suivaient et aurait nui à sa proximité avec l’Eternel. Il fallait y mettre un terme rapide et définitif, d’autant plus que Loth et ses bergers avaient bâti un argumentaire théorique qui justifiait à leurs yeux les transgressions qu’ils commettaient. Ils n’étaient donc pas enclins à entendre raison ou à faire Téchouva, à se repentir.
Rav Chalom Schwadron zatsal propose une perspective complémentaire de ce même passage du Talmud. "Il est intéressant de noter que le Yétser Hara’ n'exige pas qu'on arrête d'accomplir des Mitsvot ; il pousse simplement l’homme à suivre ses instructions. En réalité, il veut contrôler les décisions prises par les individus. »
Cette logique est très pernicieuse car elle finit par altérer la capacité de jugement des hommes et les détourner de la Torah. Comme l’explique Rav Schwadron, le Yétser Hara’ peut même agir au sein du référentiel de la Torah : il encouragera ainsi un étudiant en Yéchiva à étudier la Torah jusqu'à très tard dans la nuit, quitte à compromettre son réveil pour la prière de Cha'harit. Ou bien, il peut encourager une autre personne à exprimer son zèle dans l’accomplissement des Mitsvot aux dépens de sa sollicitude envers ses semblables.
« En réalité, le Yétser Hara’ veut être à la place du « conducteur » et encourager l’homme à suivre ses envies [comme il le désire, sans se contraindre]. Il sait qu'une personne qui n'agit que lorsqu'elle est encline à le faire finira par cesser d'accomplir les Mitsvot. Nous devons nous rappeler que l'essentiel est d'accomplir les Mitsvot de la Torah parce que c'est la volonté du Créateur. Nous ne devons pas nous laisser influencer par la logique irrésistible du Yétser Hara' qui nous fait oublier D.ieu (à D.ieu ne plaise !) » (Kol Dodi Dofek, rapporté par Daf Yomi Digest).
C’est ainsi qu’il était nécessaire pour Avraham de se monter intransigeant dans le respect des Mitsvot et des valeurs morales afin de ne laisser aucun espace au « mauvais penchant » pour déposer les germes de son œuvre destructrice.
Chacun, à son niveau, peut ainsi essayer de tirer la force de maintenir, à tout le moins, son niveau de pratique actuel, en refusant les stratégies ou les prétextes que nous suggèrent le Yétser Hara’ pour nous refroidir, nous faire croire que c’est au-delà de nos forces, que ce n’est pas si important, ou bien qu’on peut « aborder les choses différemment. »
En consolidant notre Emouna (foi en D.ieu), notre volonté d’accomplir les préceptes divins, nous pourrons nous rapprocher continuellement du service authentique de D.ieu, enrichir notre pratique des Mitsvot au fil de notre vie et disposer, avec l’aide d’Hachem, d’un jugement éclairé pour apprécier les situations qui se présentent à nous.