Parmi les différents personnages qui composent le livre de Béréchit, la figure des matriarches, et au-delà des femmes, occupe une place centrale et mérite une attention toute particulière.
La semaine dernière, nous évoquions la figure de Rachel qui est restée dans notre tradition un personnage particulièrement attachant. En effet, elle incarne la figure maternelle par excellence pour l’ensemble des générations et on a coutume de la présenter comme la meilleure avocate des enfants d’Israël. Aussi, à notre époque, les femmes et les hommes se pressent près de son tombeau afin de prier pour qu’elle intercède en leur faveur auprès de Hakadcsh Baroukh Hou.
En effet, la vie de Rachel fut courte mais particulièrement intense, « remplie de passion et de combats, marquée d’une abnégation et d’un dévouement comme rarement l’histoire des hommes en a enregistrés » (Rav. E. Munk). Et de fait, en dépit de sa belle rencontre avec Jacob, elle acceptera de laisser sa place à sa sœur aînée Léa le jour des noces. Elle lui transmettra même les signes de reconnaissance secrets que Jacob et elle avait partagés afin qu’elle ne soit pas humiliée. Après son mariage, elle fut confrontée, à l’instar des autres matriarches, à une longue période de stérilité. Mais ses « prières multiples » et sa piété, sa grandeur d’âme et sa générosité parvinrent à changer la nature, à mettre un terme à sa stérilité et lui donner la possibilité d’enfanter deux garçons : Yossef et Binyamin.
Cette semaine, notre Paracha nous présente une nouvelle héroïne de la Torah jusque-là restée dans l’ombre à travers une scène particulièrement déroutante pour le lecteur : Tamar et sa rencontre entre Yéhouda. Cette dernière, déçue d’avoir été « oubliée » par Yéhouda qui lui avait promis son dernier fils comme mari va se déguiser en « courtisane », pour séduire le fils de Jacob.
En dépit des circonstances de cette rencontre qui semblent peu flatteuses aux yeux d’un lecteur moderne, nos Sages mettent en avant la piété de Tamar et son désintérêt. Rachi nous précise immédiatement qu’elle était si pieuse qu’elle avait l’habitude de couvrir « son visage dans la maison de son beau-père, et sa vertu était insoupçonnable (Sota 10b). ».
Notre tradition souligne ainsi que Tamar était animée uniquement par le désir de donner une descendance à son mari défunt, et d’accomplir ainsi la Mitsva du Lévirat.
Et même dans l’adversité, lorsqu’elle sera condamnée pour sa supposée attitude dévoyée, Tamar ne se départira de sa hauteur de vue et de sa dignité, elle fera preuve d’une maîtrise de ses sentiments et d’une grande lucidité. Elle demande simplement à Yéhouda, sans l’accuser publiquement, de reconnaître les gages qu’il lui avait laissés, et le fils de Ya'acov comprend ce qui s’est passé, il reconnait son erreur, et s’écrit « Elle est plus juste que moi, car il est vrai que je ne l'ai point donnée à Chéla mon fils » (Genèse, 38.26).
Et c’est précisément de cette union guidée par un esprit prophétique comme nous l’enseigne notre tradition aussi bien chez Tamar que Yéhouda que naîtra plus tard le Roi David, et bien sûr, le Machia'h.
Comme nous le comprenons, les femmes semblent avoir une prédisposition pour percevoir les grands enjeux spirituels de la vie.
C’est ainsi que les Sages du Talmud nous enseignent que « l’Eternel a donné une compréhension supplémentaire « Bina Yétéra » aux femmes par rapport aux hommes » (Nidda 45b). Nos maîtres reconnaissent ainsi aux femmes une perspicacité particulière qui leur permet notamment de déceler rapidement la vérité du mensonge, de comprendre l’intériorité d’un homme, son authenticité. C’est ainsi que dans le Traité Brakhot du Talmud (page 10b), les femmes sont réputées être expertes pour comprendre le caractère de leurs invités et leurs qualités morales.
Essayons d’approfondir davantage ce que signifie cette « Bina Yétéra » « cette intelligence supplémentaire ».
La Torah distingue différentes sortes d’intelligence : le Da’at (la connaissance), la ‘Hokhma (la sagesse), ou encore la bina. C’est précisément cette dernière forme d’intelligence qui semble être particulièrement l’apanage des femmes. Selon nos Sages, la « Bina » est liée à la « Hargachat Halev » « les sentiments du cœur » (Rav Y. Kamenetsky, rapporté par Rav Rozenberg) qui permet de percevoir la réalité sous un angle particulier, au-delà des calculs de la raison. La psychologie moderne évoquerait probablement « l’intelligence émotionnelle ».
Nos maîtres nous indiquent également que cette forme d’intelligence permet de développer naturellement une approche spirituelle de la vie, de saisir de manière intuitive les enjeux spirituels. Voilà pourquoi, les femmes du peuple juif, les mères, les grands-mères se sont souvent caractérisées par une très grande Emouna (foi) dans la providence divine. Bien qu’elles n’aient souvent pas les mêmes connaissances théoriques que les hommes, elles savent s’adresser à D.ieu, elles savent prier, et elles savent vivre avec l’Eternel au quotidien. Cette foi leur donne une force toute particulière, susceptible de rassurer leurs proches, de bâtir leurs foyers et de transmettre l’amour de la Torah.
Comme nous l’avons vu dans la Paracha Toledot, c’est Rebecca qui a eu la première l’intuition que ce qui se jouait entre ses garçons, Jacob et Essav, n’était pas anecdotique mais relevait d’un antagonisme fondamental. Cette intuition n’a cessé de se confirmer au cours de l’histoire, Jacob représentant le peuple Juif, et Essav Rome et l’Occident.
De même, plus tard, elle perçoit avec une grande acuité le risque de laisser son mari, Isaac, bénir Essav à la place de Ya'acov, et elle mettra toute son énergie pour préserver l’avenir spirituelle de sa famille, et finalement du peuple d’Israël. C’est elle qui enverra son fils chez son frère pour qu’il y trouve une femme, en l’occurrence Rachel !
Cette lucidité féminine était déjà l’apanage de Sarah. En effet, constatant l’influence délétère d’Ichma'ël, elle demanda à Avraham de le renvoyer. Et l’Eternel de dire au patriarche « Ecoute sa voix » « Chéma’ Békola » ! Nos Sages nous disent ainsi que Sarah avait une capacité prophétique, une forme de « Roua’h Hakodech » supérieure à celle d’Abraham, ou, tout au moins, d’une nature différente.
Et nous retrouvons la même expression employée par Rebecca à l’égard de son fils Ya'acov à de nombreuses reprises « Chéma’ Békoli » « Ecoute ma voix ! ».
Nos Sages attirent ainsi notre attention sur ces multiples occurrences où la Torah recommandent aux hommes d’écouter la voix de leur épouse, aux enfants d’écouter la voix de leur mère. Ils nous engagent ainsi à y être particulièrement vigilants car les femmes pieuses du peuple d’Israël sont porteuses d’une profonde sagesse.
Mentionnons pour conclure cette histoire du Talmud, rapportant le mérite de l’épouse d'Abba 'Hilkiya. Ce dernier avait été sollicité par les Sages d’Israël pour prier en faveur du peuple afin que la pluie tombe sur la terre d’Israël. Il monta s’isoler avec son épouse sur leur terrasse et tous deux se mirent à prier. Rapidement des nuages se sont accumulés près de son épouse et la pluie tomba. Elle avait donc été exaucée avant lui. Le Tsadik expliqua ce mérite de la manière suivante : « Parce que ma femme est souvent à la maison, qu'elle donne du pain aux pauvres et que, par conséquent, son aide aux nécessiteux est immédiate […] En conséquence, ses prières sont exaucées sans délai. Pour ma part, je donne de l'argent aux pauvres et, par conséquent, le bénéfice de mon don n'est pas immédiat. Pa ailleurs, ses prières ont peut-être été exaucées en premier parce que lorsque certains brigands vivaient dans notre quartier, j'ai prié pour qu'ils meurent, mais elle a prié pour qu'ils se repentent. Et en effet, ils se sont repentis » (Ta'anit 23b).
Ces éléments sont une goutte d’eau dans l’océan des textes qui décrivent avec force les mérites éminents des femmes. Puisse Hachem leur accorder Sa protection et leur permettre de continuer à bâtir les foyers du peuple Juif dans la sainteté, en restant fidèles à leur vocation d’être chacun une « femme vertueuse », une « Echèt ‘Hayil ».