La lecture de la paracha de Béréchit est toujours une étape symbolique forte et émouvante de notre tradition. Elle souligne non seulement le renouvellement de la lecture de la Torah mais elle nous rappelle également l’origine de l’homme, sa vocation éminemment spirituelle et sa proximité avec l’Eternel.
Lorsque l’homme a été créé, les Sages du Talmud font observer que le terme employé pour déisgner cette création est étonnant par sa syntaxe. Le terme « Vayitser » « L’Eternel a créé » est orthographié avec deux youd alors qu’il ne devrait en prendre qu’un. Et nos Sages de nous donner ce joli commentaire (Traité Erouvin, 18b) : les deux youd viennent rappeler à l’homme qu’il doit faire un choix tout au long de sa vie : servir son « Yotser » (son Créateur, l’Eternel) ou bien son « Yetser » (ses pulsions/envies négatives) ; œuvrer pour faire triompher son « Yetser Hatov » (son bon côté), ou bien se laisser dominer par son « Yetser Hara » (son mauvais penchant).
D’emblée, l’Eternel prévient donc l’homme et le met face à ses responsabilités. Nous sommes souvent surpris par la clarté avec laquelle le texte de Béréchit s’exprime, relisons encore ces mots qui ont une valeur intemporelle et qui rappelle à chacun d’une part sa responsabilité mais d’autre part les ressources immenses dont il dispose : « Le Seigneur dit à Caïn; "Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu? Si tu t'améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte : il aspire à t'atteindre, mais toi, sache le dominer ! » (Béréchit 4.6)
La paracha Béréchit nous parle donc de l’homme, de sa nature profonde, elle l’exhorte à donner le meilleur de lui-même et à révéler qui il est vraiment. Ce dévoilement est nécessaire car il n’est pas naturel. « Connais-toi toi-même » aimait à dire Socrate, et, de fait, parfois l’homme ignore qui il est vraiment, il ignore quelles sont les ressources dont il dispose, il ignore le potentiel qui est logé en lui, il ignore tout le bien dont il est capable.
Toutes ses richesses dont l’homme est porteur trouvent leur origine dans sa capacité de perfectibilité, à s’améliorer comme le dit le texte biblique « si tu t’améliores », à raffiner sa nature première.
Les Maîtres de la Guemara définissent trois éléments qui permettent de révéler la nature profonde d’un homme : « Bi-shelosha devarim Adam nicar : be kisso, be kosso, be ka’asso » « Trois choses permettent de connaître la véritable d’un homme : sa poche, son verre, et sa colère. Certains rajoutent : son rire » (Traité Erouvin, 65b). Les maîtres jouent ainsi sur la proximité orthographique des termes « Kisso » (sa poche), « Kosso » (son verre), « Ka’asso » (sa colère).
Cette assertion signifie, tout d’abord, que la véritable nature de l’homme se révèle lorsqu’il doit affronter certaines pulsions, certains désirs liés à sa dimension matérielle : les désirs du corps avec la capacité à maîtriser son rapport au vin et à l’ivresse ; sa relation à l’argent, aux richesses matérielles qui témoigne de sa générosité et de sa sensibilité aux besoins d’autrui, ou au contraire de son égoïsme illustré par son avarice ; et, enfin, sa relation à la colère, à l’emportement qui témoigne du recul qu’il a sur les évènements de la vie, et de sa foi dans la providence divine qui emprunte parfois des voies inattendues.
Par ailleurs, ces trois termes : le verre, la poche, et la colère sont révélateurs de la nature profonde de l’homme car elles permettent de le cerner dans toutes les dimensions de sa vie : l’homme a un recours occasionnel au verre, il est confronté à la « poche » durant sa vie professionnelle et économique, généralement la journée, et la colère permet de l’apprécier de manière plus globale, dans sa vie familiale comme professionnelle, jour comme nuit, un homme est confronté au défi de se maîtriser.
Enfin, la proximité orthographique de ces trois termes est également porteuse d’un sens profond. Ces trois termes ont en commun le vocable « Kaf-Samekh » « Kess » qui renvoie à une racine qui désigne le voilement « mékhassé » qui signifie « cacher » « voiler ». L’homme peut emprunter différents masques durant sa vie, mais ceux-ci tombent au gré des circonstances : d’une boisson enivrante, d’une sollicitation financière, ou d’une déception, d’un emportement.
Les lettres qui viennent déchirer le voile dans nos trois termes sont le « youd » (« Kiss », la poche), le « ayin » (« Ka’ass », la colère), et le « vav » (« Koss », le verre). La valeur numérique de ces trois lettres s’élève à 86 qui est également la valeur numérique du mot « Hateva » « la nature » ainsi que du nom « E_lo_kim » qui désigne notamment l’Eternel dans le début de la paracha de Béréchit et qui renvoie à D.ieu comme dirigeant le monde selon le principe de la justice et conformément aux lois de la nature.
Finalement, la « nature » première de l’homme perce à travers ces trois dimensions symboliques : le verre, la poche, et la colère et déchire le voile que l’homme veut parfois mettre sur lui. Toutefois, là n’est pas le dernier mot de l’histoire, car, l’homme peut dépasser sa nature première et transformer les sentiments qu’il ressent en se travaillant, et notamment en se rapprochant de l’Eternel. De même, nous dit-on, que D.ieu s’est levé du siège de la stricte justice avec lequel il avait pensé gouverner le monde à l’origine pour rejoindre le siège de la « miséricorde » ; de même, l’homme a la possibilité de transformer sa nature première, de se parfaire et de dévoiler les véritables trésors qui sommeillaient en lui.
Notre génération, contrainte désormais de porter des masques, d’être confinée, retranchée derrière les murs de nos demeures, pourrait utilement lire cette sidra de Béréchit comme une exhortation à raffiner notre vie intérieure. Ainsi, lorsque le temps sera venu de retirer nos masques, et de retrouver une vie pleine et entière en société, nous pourrons dévoiler ce que nous avons de meilleurs avec l’aide d’Hashem.
Rappelons, en guise de conclusion, que cette racine « Kess » est également celle qui désigne le « Kissé », le trône céleste, mais qui est incomplet tant que le Machiah n’est pas là. Aussi, ce travail sur nous-mêmes auquel nous exhorte les Maîtres du Talmud comme la parcaha de Béréchit, est une des clefs pour hâter, avec l’aide d’Hashem, la venue du Mashiah’ et la reconstruction du Beth Hamikdash.