La paracha de cette semaine commence par nous raconter comment Hachem accordera au peuple juif la paix et la subsistance. « Si vous vous conduisez selon Mes lois, si vous gardez Mes préceptes et les exécutez… »[1] Les commentateurs notent ici une redondance ; trois propositions différentes parlent du même sujet : l’observance de la Thora. Quelle différence y a-t-il entre chacune d’elles ?
Rachi, rapportant Thorat Kohanim qui explique la première partie du verset, écrit que « Si vous vous conduisez selon Mes lois » fait référence à la amélout baThora[2]. La deuxième proposition, « Si vous gardez Mes préceptes » est un ajout, « Tu dois te démener pour la Thora afin de la garder et de l’accomplir… »[3]
On nous dit donc que pour recevoir notre récompense, il nous faut travailler dur pour la Thora, mais que ces efforts doivent être fournis dans l’intention de la respecter. Ceci semble difficile à comprendre : comment peut-on s’échiner à l’étude de la Thora, sans avoir réellement l’intention d’en observer les lois ? En général, si l’on fait des efforts, c’est justement parce que l’on apprécie l’importance de la Thora au point de vouloir se surpasser pour comprendre la parole de D. telle qu’elle est écrite dans la Thora.
On en déduit qu’il existe malheureusement des gens qui étudient la Thora, mais sans avoir l’intention de s’y conformer. Mais qu’en est-il des personnes qui peinent sincèrement pour l’étude de la Thora ? Comment peuvent-elles ne pas être intéressées à ne pas observer la Thora ?
Il s’agit en réalité de quelqu’un qui étudie, mais qui ne réalise pas que cette analyse est censée modifier sa personnalité. Il ne fait donc pas de lien entre son étude et sa avodat Hachem. Il apprécie peut-être grandement l’étude de la Thora et la grandeur de cette mitsva, mais il ne va pas plus loin et ne comprend pas que ce qu’il apprend doit l’aider à améliorer son comportement dans tous les domaines de la vie. C’est peut-être à cette faille que la Thora fait allusion quand elle parle d’efforts qui ne sont pas fournis dans le but d’accomplir les mitsvot.
Il est important de noter que le fait d’étudier pour transformer sa personnalité n’est pas limité à l’étude des lois. Toute forme d’étude, si elle est faite avec la bonne approche, peut faire évoluer la personne et la faire devenir quelqu’un de plus raffiné et spirituel.
Le Sfat Émet propose à ce propos une explication fascinante sur une partie des birkot haThora[4]. Nous demandons à Hachem : « Véaarev na Hachem Elokénou eth divré Thoratekha… », que l’on traduit généralement par : « S’il Te plaît, Hachem, notre D., rends Ta Thora agréable… ». Il souligne que le mot « véaarev » est composé d’une racine de trois lettres qui sont, ayin, rech et beth, formant le mot érev. Il peut signifier « mélanger » ; le mot « soir » se dit « érev » en hébreu – c’est le moment où l’obscurité commence à se mélanger à la lumière.
Ainsi, le Sfat Emeth explique que nous demandons également à Hachem de mélanger la Thora que nous étudions à notre essence, afin qu’elle ne reste pas une connaissance superficielle.[5]
Dans le même ordre d’idées, les Gudeolim mettent grandement l’accent sur le fait que la Thora doit s’infiltrer dans la personne et affecter son comportement. On demanda à rav Moché Feinstein zatsal pourquoi le premier traité appris par les garçons est Baba Metsia, qui évoque les lois de propriété. Il répondit que c’était pour imprégner chez les enfants en bas âge le concept de propriété et qu’ils développent une certaine sensibilité quant aux biens appartenant à autrui.
L’objectif de l’enseignement est donc clairement de rendre les enfants plus attentionnés et gentils et pas seulement de leur transmettre des connaissances.
Malheureusement, on peut ne pas faire le lien entre ce que l’on étudie et notre vie quotidienne.
Deux étudiants en yéchiva vinrent un jour consulter leur Roch Yéchiva (directeur) pour régler un différend. L’un d’eux avait emprunté à son camarade un walkman qui s’était accidentellement cassé. Ils débattaient pour savoir si l’emprunteur devait rembourser la perte. Celui-ci prétextait que puisque l’objet s’était abîmé fortuitement, il ne devait pas payer pour le dégât.
Le sujet d’étude à la Yéchiva, à cette période, était justement les lois concernant ce genre de cas et le Roch Yéchiva fut choqué de voir que deux jeunes hommes qui venaient d’apprendre ce qu’il fallait faire dans un cas identique au leur, n’étaient pas capables de retranscrire ceci dans la réalité. Il alla voir rav Moché Feinstein pour lui en parler et prendre conseil. Ce dernier expliqua que ces garçons étaient sujets au problème soulevé précédemment — ils considéraient leur étude de la Thora comme une activité intellectuelle qui n’avait pas de rapport avec leur vie quotidienne.[6]
Nous avons expliqué l’importance de faire pénétrer dans nos cœurs la Thora que nous instillons dans nos esprits ; elle doit aussi s’exprimer dans notre conduite. Pour y parvenir, il faut tout d’abord réaliser que cette étude nous transforme. Aussi, après avoir appris quelque chose, il faut de tenter d’intégrer cette connaissance et de la mettre en pratique dans notre vie.[7]
Un élève studieux annonça fièrement à son rav qu’il avait « traversé » tout le Chass (Talmud). Le rav lui répondit : « Mais est-ce que la Chass t’a traversé ?! »
Puissions-nous tous mériter d’apprendre et d’agir comme la Thora nous le prescrit.
[1] Vayikra, 26:3.
[2] Traduit par « travailler dur pour la Thora », cela demande bien plus d’efforts qu’une simple « étude de la Thora ».
[3] Rachi, Vayikra, 26:3. La troisième proposition « et les exécutez » fait référence à l’accomplissement même des mitsvot.
[4] Il s’agit des bénédictions récitées une fois par jour, avant d’étudier la Thora.
[5] Propos entendus du rav Moché Weinberger chlita.
[6] Propos entendus du rav Moché Weinberger chlita.
[7] Propos entendus de mon rav, le rav Its’hak Berkovits chlita.