Tout en adressant Sa sévère réprimande dans cette Paracha, Hachem nous réconforte en disant : « Je Me souviendrai de Mon alliance avec Yaacov, et de Mon alliance avec Its’hak et Je Me souviendrai aussi de Mon alliance avec Avraham… »[1] Une question évidente se pose : pourquoi les Patriarches sont-ils mentionnés dans un ordre anti-chronologique ? Rachi rapporte le Torat Kohanim et explique que si le mérite de Yaakov, qui est le plus « petit » des Avot ne suffit pas, celui d’Its’hak aidera, et si même lui n’est pas suffisant, le grand mérite d’Avraham conviendra[2]. Ainsi, Yaakov est mentionné en premier, car les Patriarches sont classés par ordre ascendant de mérites.

On peut comprendre la « petitesse » de Yaakov de deux façons. Certains écrivent qu’il était le plus jeune, mais plusieurs estiment qu’il était en effet celui du niveau spirituel le plus bas.[3] Pourtant, ’Hazal affirment que Yaakov était l’élite des Patriarches, le seul dont toute la progéniture fut vertueuse, tandis qu’Avraham et Its’hak eurent des enfants qui ne méritèrent pas de faire partie du peuple juif. Alors, comment comprendre que la vertu de Yaakov ne suffise pas à délivrer le peuple juif ? Et pourquoi, si l’on suit cet ordre d’idées Avraham est-il plus élevé qu’Its’hak ?

La perfection des Midot (traits de caractère) de Yaakov ne lui octroie pas pour autant le plus grand mérite. Celui-ci grandit en fonction de la difficulté de la tâche accomplie. En quoi la mission de Yaakov fut-elle plus simple que celle d’Its’hak et en quoi celle de ce dernier fut-elle moins ardue que celle de son père ?

Avraham naquit dans une société idolâtre – il dut commencer sa mission à partir de rien et créer un nouveau mode de vie, une nouvelle idéologie, une nouvelle « ère » de l’histoire.[4] Un tel travail nécessite un effort incroyable, car cela demande d’aller à l’encontre de tous et de commencer quelque chose de lent et à petite échelle, puis de le développer patiemment. Ist’hak est né dans un monde où cette nouvelle conception existait déjà. Mais il dut tout de même inaugurer quelque chose — le concept de tradition, le fait de suivre loyalement les directives fixées par le père[5]. Yaakov n’eut pas besoin d’innover une religion ou l’idée de Massoreth — il eut certes de grandes épreuves dans sa vie, mais en un sens sa tâche fut plus simple que ses aïeux. Son mérite pour aider au salut du peuple juif, bien qu’immense, était donc moins élevé que les autres.[6]

Rav Mattityahou Salomon parle longuement de cette force innovatrice chez Avraham Avinou.[7] Il écrit qu’Avraham était un « Mat’hil », un initiateur. Il fut un révolutionnaire, un pionnier…, le fondateur du peuple juif. Quand nous tentons de l’émuler, nous nous inspirons généralement de son ’Hessed. Nous apprenons d’ici une autre Mida (qualité) qu’il nous faut développer – la capacité d’innover.

L’individu a une tendance naturelle à s’habituer à un certain mode de vie, à son observance des Mitsvot, à son comportement, à ses relations avec autrui… Il est parfois bénéfique de prendre du recul et d’analyser la situation pour détecter la nécessité d’une nouvelle approche dans ces domaines. Les nouveautés peuvent s’avérer très salutaires, surtout quand elles visent le bien-être du Klal Israël. Prenons l’exemple de Sarah Shneirer – son idée d’ouvrir une structure éducative pour filles basée sur l’étude de la Torah fit face à une forte opposition. Néanmoins, elle continua obstinément et son entreprise eut un impact incroyable sur le peuple juif.

Et pour prouver que les projets novateurs peuvent être très bienfaisants, on remarque que le Yétser Hara sait rendre ce genre de nouveautés très difficiles à mener à bien[8], d’où la fameuse expression : « Kol Haat’halot Kachot » — tous les débuts sont épineux. Quand on prend une décision d’innovation, il est important de les mener à bonne fin, en dépit des challenges que l’on risque de rencontrer en route.

Avraham Avinou n’est pas décrit comme l’« élite » des Patriarches, mais par son côté précurseur, il ouvre la marche. Puissions-nous tous mériter d’apprendre de lui et de concrétiser les projets que nous entreprenons, quand cela s’avère nécessaire.


[1] Parachat Bé’houkotaï, Vayikra, 26:42.

[2] Rachi, ibid. Torath Kohanim, 26:49.

[3] Voir Maskil Lédavid, 24:42 ; Rabbi Yaakov Milissa (l’auteur de ’Havot Daat et Nétivot) rapporté dans Béchem Omro.

[4] La Guémara dans Avoda Zara 9a, affirme que l’Histoire juive se divise en trois époques bimillénaires – la première s’appelle « les deux mille ans de néant », la deuxième est connue comme « les deux mille ans de Torah » — cette période débute au moment où Avraham commença à diffuser la Torah à travers le monde.

[5] Matnot ’Haïm, p. 30.

[6] Évidemment, les épreuves que Yaakov dut affronter furent très difficiles, voire décourageantes ; il ne s’agit pas de déprécier ses combats pour les surmonter, mais uniquement de montrer que dans le domaine de l’innovation, sa tâche fut plus aisée que celle de ses prédécesseurs.

[7] Ibid. p. 29.

[8] Il est connu que tout ce qui est réellement important est difficile à conclure, parce que le Yétser Hara fait son possible pour empêcher cet aboutissement.