La paracha nous dit : « Ils feront l’Arche en bois d’acacia, deux coudées et demie de long, une coudée et demie de large et une coudée et demie de hauteur. »[1]
Derrière la description apparemment banale des ustensiles du Michkan (Tabernacle), les commentateurs voient en les détails de sa construction, une symbolique profonde. L’un des exemples marquants se rattache au Aron Hakodech (l’Arche Sainte). De tous les ustensiles du Michkan, seules les mesures de l’Arche ne correspondent pas à des chiffres entiers – deux coudées et demie ou une coudée et demie. Nous savons que tous les ustensiles représentent divers aspects de la Avodat Hachem (le service divin) et que le Aron est lié à la Torah, plus particulièrement à son étude. Plusieurs commentateurs écrivent que les demi-mesures nous enseignent l’attitude à adopter pour étudier la Torah ; nous devons nous sentir incomplets dans notre connaissance en Torah et ne jamais nous sentir satisfaits, estimer en savoir « suffisamment ».[2]
Ce principe peut être mis en pratique de plusieurs manières. Rav Steinman écrit que chacun a besoin de l’aide de son prochain pour grandir, s’améliorer dans l’étude de la Torah ; cet apport peut parfois provenir d’une personne du même niveau, voire d’un niveau inférieur, comme nous l’enseigne la Guémara : « J’ai beaucoup appris de mes maîtres, davantage de mes amis, mais c’est de mes disciples que je me suis le plus instruit. »[3] Ceci nous montre qu’une personne ne peut pas apprendre en vase-clos, se suffire de ses Séfarim (Livres d’étude). Les échanges permettent à l’individu de découvrir d’autres aspects, d’autres points de vue sur un certain sujet, ce qui lui permettra d’acquérir une optique plus large.
De plus, peu importe le niveau que la personne pense avoir atteint (même dans un domaine en particulier), elle doit garder à l’esprit qu’il lui reste encore beaucoup à apprendre. Et même si elle pense avoir une compréhension complète d’un certain sujet, le fait de l’étudier une fois de plus peut le mener à une conception tout autre. La Guémara affirme d’ailleurs que l’on ne peut comparer celui qui a étudié un sujet cent fois à celui qui l’a exploré cent-une fois.
C’est la raison pour laquelle un érudit en Torah est appelé Talmid 'Hakham qui signifie littéralement « sage disciple ». Quelle que soit la quantité de Torah apprise, nous devons toujours nous sentir comme un élève qui doit en apprendre davantage.
L’un des Guédolim qui incarnait cette attitude (de se sentir incomplet en Torah, malgré son savoir exceptionnel dans tous les domaines) fut Rav Ovadia Yossef. Il est connu pour l’utilisation qu’il faisait de chaque moment de libre au service de l’Étude. On lui demanda un jour de fermer son Séfer pour évoquer un sujet qui ne justifiait pas, selon lui, l’arrêt de son étude. Très sérieux, il demanda rhétoriquement : « Voudriez-vous que je reste Am Haarets (ignorant) toute ma vie ? » Si Rav Ovadia avait une telle attitude, nous devons à plus forte raison développer la même mentalité.
On apprend également qu’il ne faut jamais penser avoir entièrement raison dans notre opinion, au point de ne pas accepter d’entendre des points de vue contraires ou des questions sur cette approche. Au contraire, nous devons être prêts à admettre le bien-fondé de l’opinion opposée. C’est une tâche très difficile, qui demande beaucoup d’humilité. Malgré tout, la Guémara suivante nous enjoint de le faire.
Le Tana, Chimon Haamsoni expliquait tous les mots « Eth » de la Torah, comme un ajout aux termes qu’ils accompagnent.[4] Par exemple, la Mitsva d’honorer ses parents est introduite par le mot « Eth », duquel on apprend qu’elle concerne également les grands frères et sœurs. Mais, quand il dut commenter le verset « Eth Hachem Elokékha Tira » (Tu craindras Hachem, ton D.ieu), il fut incapable de trouver quelqu’un d’autre à révérer. Ses élèves lui demandèrent ce qui adviendrait des autres « Eth » expliqués. Il répliqua : « De la même façon que j’ai été récompensé de les avoir commentés, je serai récompensé d’abandonner ces interprétations. » Rabbi Akiva enseigna ensuite que le mot « Eth » de ce verset vient inclure les érudits en Torah que nous devons craindre et respecter. Le Alter de Kelm souligne la grandeur du Tana qui n’hésita pas à abandonner la théorie qu’il avait développée toute sa vie dès qu’il ne fut plus en mesure de la justifier. De plus, il enseigna à ses disciples une leçon inestimable – le fait de renoncer à sa thèse en un instant valait autant que toutes les recherches et interprétations qu’il avait faites tant d’années durant ! Peu importe les efforts qu’une personne investit dans un certain domaine, il doit toujours se poser des questions et envisager, avec humilité, la possibilité de s’être trompé. Un tel aveu ne serait pas honteux, au contraire !
Rav Chakh était connu pour arrêter son Chiour (cours de Torah) si on lui posait une question qui récusait la base de son enseignement.
Puissions-nous émuler les Guédolim et savoir admettre notre incomplétude dans l’étude de la Torah, et ainsi, grandir exponentiellement dans notre connaissance en Torah.
[1] Chémot, 25:10.
[2] Voir Rabbénou Bé’hayé, Baal Hatourim, Kli Yakar et Ayélet Hacha’har pour les approches relatives à cette idée.
[3] Taanit 7a, Makot 10a.
[4] Kidouchin 57a.